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« Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. »

Pascal Bellanca-Penel avait une passion pour son métier d’enseignant de physique-chimie. Après 23 ans de carrière dans l’Éducation Nationale et au terme d’une décennie de plus en plus difficile à gérer, 2019 marque la fin définitive de sa carrière et aussi le début d’une nouvelle vie où il apprend à vivre avec un TSA. Éternel enthousiaste et foisonnant de projet, il vient de lancer un podcast pour sensibiliser différemment les professionnels de la santé au spectre de l’autisme.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Pascal Bellanca Penel, j’ai 50 ans, j’ai enseigné la physique et la chimie la moitié de ma vie au Lycée, dont deux années en classe prépa, à Istanbul ; deux années merveilleuses de découvertes. J’ai suivi en parallèle des études d’histoire et de philosophie des sciences et j’ai obtenu mon doctorat en 2016 sur un sujet d’histoire de physique nucléaire. Le métier d’enseignant m’a passionné toute ma vie et m’a porté du matin au soir et beaucoup occupé pendant ce que l’on appelle  « les vacances ». Ça a été un grand privilège pour moi de partager ma passion de la physique avec ces milliers de jeunes gens.

Mais, depuis une dizaine d’année, chaque année était un peu plus difficile. En 2018, j’ai perdu le sommeil, des douleurs thoraciques sont apparues, sans que je fasse de lien avec une angoisse quelconque. J’ai toujours été très intolérant au bruit. Le brouhaha des élèves m’a toujours beaucoup gêné, mais là, c’était devenu insupportable physiquement.

Je pensais que tout cela était le signe que je vieillissais. Les rentrées ont toujours été particulièrement éprouvantes, mais celle de 2019 fut la dernière pour moi. La réforme Blanquer des lycées est dans doute la goutte d’absurdités qui m’a fait basculer dans l’autre monde. J’ai toujours été très impliqué dans des collectifs de recherches liés à l’enseignement et j’y trouvais un réel plaisir. Je participais à 3 ou 4 d’entre eux. Lors de la réforme, je voyais quotidiennement la différence entre l’affichage (« l’école de la confiance ») et la réalité du terrain. C’est devenu pour moi insupportable. Je suis allé voir un psychiatre qui m’a hospitalisé pendant 3 semaines. De fil en aiguille, j’ai finalement eu deux diagnostics de TSA au CRA puis au TS2A. Je suis maintenant, une « personne concernée » par l’autisme.

J’ai compris beaucoup de choses rétrospectivement par rapport à mes angoisses, mes douleurs et à ma fatigabilité. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais il y avait des manifestations depuis toujours. Je suis marié depuis 24 ans, ma femme a toujours su qu’il y avait quelque chose d’atypique chez moi. Cela a été parfois très compliqué pour mon entourage, qui a dû vivre mes angoisses, mes intérêts totalement envahissants et parfois, mes décompensations. Le fait d’avoir une vie professionnelle « suffisamment bonne et acceptable » pour l’institution, se payait par contrecoup sur le plan privé, personnel et familial. Cela, jusqu’à ce que je n’arrive plus à circonscrire mes difficultés dans mon cercle privé et que ça déborde du coté professionnel. Mais je crois être resté professionnel jusqu’au bout ; je l’espère en tout cas.

Quel est votre parcours d’usager ?

Ça commence en 2019 avec ce psychiatre qui me propose de m’hospitaliser pour une durée de trois semaines dans le cadre d’un programme qu’il avait mis en place. Je quitte son cabinet sous le choc (ai-je vraiment besoin d’être hospitalisé ?) mais j’accepte finalement d’aller dans cette clinique sans aucune appréhension mais comme dans un état second. Pour moi, il y avait deux espèces de hors-lieu, de lieux que je n’avais jamais investi dans mon imaginaire des possibles : la prison et l’hôpital psychiatrique. Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. C’est juste un endroit où des professionnels prennent soin de vous et des liens que vous avez au monde. J’ai trouvé ça fantastique et tellement apaisant d’être pour la première fois de ma vie, dans un lieu coupé du monde qui fonctionne ; plus rien de sa toxicité ne pouvait me faire de mal. J’ai été très privilégié. Cette clinique privée est un écrin magnifique, arboré, silencieux ; un espace apaisant et totalement bienveillant. Je sais évidemment que toute institution est dysfonctionnelle, par certains côtés, mais j’ai eu beaucoup de chance de trouver ce psychiatre et cette clinique sur mon chemin. 

Pendant les 3 semaines, j’ai participé aux activités journalières. Il y avait tout un programme pour « nous remettre dans le circuit ». Je suis sorti avec 15 jours d’arrêt, hyper angoissé de ce que pourrait être la suite. Je n’ai pas été médiqué durant ce premier séjour en clinique. C’est après ma sortie, que j’ai chuté et que j’ai été aspiré par le trou noir de la dépression. Je me suis retrouvé face à un immense vide. J’ai été suivi en hôpital de jour à partir de janvier 2020 avec la promesse d’un suivi psychothérapeutique en libéral. J’ai mis du temps à trouver ma psychothérapeute car je voulais faire de l’EMDR, une technique que j’avais expérimenté en clinique. Mais au bout de deux entretiens, elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas continuer son travail avec moi avant d’en savoir plus. Elle suspectait un TSA et voulait connaître « les murs porteurs de mon psychisme ». J’ai donc pris contact avec le CRA et j’ai été diagnostiqué en mai 2020. C’est comme ça que je suis rentré dans la psychiatrie. Enfin, j’avais eu des contacts avec les psychiatres tout au long de ma vie, mais aucun n’avait mis le doigt sur un TSA. Mais de manière globale, j’ai une gratitude énorme pour tous les soignants que j’ai rencontré. Je leur dois beaucoup.

Que signifie comorbidités selon vous ?

On parlait de « murs porteurs » du psychisme. Je pense que les comorbidités sont des murs non porteurs, mais qui sont très visibles en revanche, car très colorés dans mon imaginaire. Ils prennent beaucoup de places mais ne soutiennent pas la structure psychique de la personne. Ils peuvent donc se construire et se déconstruire tout au long de la vie, mais ont la particularité d’être plus visibles que les murs porteurs.

Je pense aussi à la notion d’écran en référence à une personne que j’ai rencontré grâce au podcast, Florence, qui a un parcours tellement difficile. Elle a été diagnostiquée entre 28 et 30 ans. Elle a tellement de comorbidités : des TOCs extrêmement forts, un trouble anxieux généralisé tellement important que tout cela faisait écran à son TSA.

Les SISM viennent de s’achever, avez-vous une expérience en lien avec la santé mentale à partager avec nous ?

J’ai découvert un podcast qui s’appelle les garde-fous. Dans l’épisode du 31 janvier 2021, ils ont interviewé le psychiatre Mathieu Bellahsen. Il est très engagé et a écrit un livre qui s’appelle « la santé mentale : vers un bonheur sous contrôle ». Dans ce podcast, il raconte que dans un rapport officiel de 2009, la santé mentale était définie comme la capacité de s’adapter à une situation à laquelle on ne peut rien changer. Je trouve ça horrible ! Cela présuppose qu’il y a des situations auxquelles on ne peut rien changer. C’est la plus grande des violences. Pourtant, il n’y a rien qu’on ne puisse déconstruire. Dysfonctionner reviendrait à ne pas ou ne plus s’adapter à une situation considérée comme inamovible. Si c’est ça, il faut que tout le monde se mette à dysfonctionner. Pour moi, une bonne santé mentale c’est l’inverse, c’est la capacité à arrêter de s’adapter à un moment donné, la capacité à dire stop à un système qu’on considère toxique.

La crise sanitaire liée au COVID semble derrière nous, comment appréhendez-vous ce retour à la vie d’avant ?

J’ai adoré la période COVID : ma famille était autour de moi, ce qui me rassurait beaucoup car j’ai toujours peur qu’il leur arrive quelque chose. Il n’y avait plus de circulation et on entendait à nouveau le chant des oiseaux. Le chant des martinets en particulier est une source de joie extraordinaire pour moi. Cela me fait penser au programme Papageno pour la prévention du suicide. Papageno est un personnage de la Flûte enchantée de Mozart qui projette de se suicider après avoir été éconduit par Papagena. Au moment où il passe à l’acte, un chant d’oiseau le ramène à la vie, le reconnecte avec la beauté du monde. D’où l’envie de vivre.

Maintenant que la vie reprend plus ou moins son cours, je remarque que les surcharges arrivent vite. Je sais qu’après une interaction de 2h, il va me falloir 2h pour m’en remettre, soit dans le silence total ou avec mon casque sur lequel j’ai des enregistrements naturalistes. Toutes les interactions que j’engage me coûtent beaucoup psychiquement. J’organise donc mon emploi du temps en fonction. Avant, je ne sais pas comment je faisais. Je ne m’écoutais pas. Je travaillais comme un forcené, les week-ends, les vacances… J’ai appris au bout de 15 ans de travail, au cours d’un déjeuner entre collègue, que certains ne travaillaient pas le week-end. Cela m’a semblé surréaliste. C’est tellement délicat pour moi la relation sociale qu’il faut que je « borde » de tous les côtés. Pour moi 1h de cours, c’était 10h de mon temps. Beaucoup de préparation angoissée en amont, une performance de prof attentif à chacun où je dois savoir réagir à tout ce qui se passe et des ruminations post-cours ; bref, l’épuise totale.

Ce qui est dur, c’est que je ressens maintenant des situations de handicap, que je ne ressentais pas avant. Je n’ai pas de souci avec le handicap dans le sens où je sais qu’il n’y a que des situations de handicap et que ce n’est pas essentiel à ma personne. Mais j’ai 50 ans, je n’ai plus la même énergie pour compenser, il faut que je compose avec tout ça.

Vous avez lancé un podcast qui s’appelle TroubleS dans le spectre à destination des professionnels de santé. Comment vous est venu l’idée ?

Ma première idée, c’était de parler au psychiatre que j’ai rencontré en 2019, qui m’a hospitalisé et qui a continué de me suivre pendant quelques temps. Il m’a un jour questionné sur mes avancées avec ma psychothérapeute. Quand je lui ai dit que cette psychologue avait émis l’idée d’un TSA, il m’a dit « si vous êtes autiste, moi je change de métier ». Finalement, quand j’ai partagé avec lui mon diagnostic, il a été un peu choqué, mais par la suite, il a complètement intégré cet élément de mon psychisme dans l’appréhension de ma personne et de cette dépression résistante. J’ai trouvé ça assez fort de sa part de revenir sur une son appréhension première. Il est devenu un allié.

L’autre élément déclencheur, c’était lorsque j’ai participé à un atelier au CRA et que tous les participants sans exception ont fait part de difficultés avec le personnel soignant. En rentrant chez moi, je me suis dit qu’il fallait atteindre ces gens-là, et qu’on les rende sensible à la parole à toute l’étendue du spectre, à travers la parole des personnes concernées. L’idée du podcast est née comme ça. J’en ai parlé au TS2A, au CRA et au CRR. Et puis, la belle équipe (Floriane, Céline, Aude, Romain, Sandrine et Alejandra) s’est constituée pour développer ce projet.

Je voulais communiquer sur un mode sensible, mais pas un mode savant. Je sais qu’en France, la tradition psycho-psychanalytique est encore très forte. Les stéréotypes sur l’autisme sont aussi institutionnels. Avec ce podcast, on ne cherche pas à convaincre, mais à enrichir les représentations des personnels de santé. Le personnel soignant est souvent très « sachant ». Il est entraîné à s’endurcir face à des situations parfois très complexes à gérer. Je pense que se rendre perméable et se laissant affecter par les autres est aussi très important. Avec ce podcast, je ne cherche pas à rajouter une couche expérientielle, je ne suis pas en train de dire non plus qu’il n’y a que les personnes TSA qui détiennent la vérité. Ce podcast est une proposition de lien qu’on fait aux professionnels de santé pour qu’ils tissent ou retissent différemment leurs relations avec les personnes concernées. S’ils ont la possibilité et la disponibilité de se laisser affecter par ce qu’ils vont entendre, alors, c’est gagné pour nous.

Si vous aviez un conseil pour les professionnels soignants, quel serait-il ?

Je pense qu’il est très important qu’ils adoptent – pompeusement –  une « posture épistémique ouverte », c’est-à-dire qu’ils ne se placent pas systématiquement en position de « sachant ». Les praticiens ou les psychiatres ont une parole, mais ils ne sont pas les seuls à savoir. Il est important que la voix des personnes concernées soit aussi portée et représentée.

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