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SenseToKnow: vers un dépistage de l'autisme précoce et automatisé?

Une étude récente publiée dans Nature Medicine relate les résultats remarquables d’une nouvelle application, nommée SenseToKnow (S2K), dans le dépistage précoce de l’autisme. Cette application a été créée par des chercheurs·es de l’université Duke en partenariat avec le Centre Borelli à Paris. Sam Perochon, l’un des principaux auteurs de l’étude, a accepté de répondre à nos questions.

Pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet ?

Cette application est le fruit d’une collaboration de longue date entre Geraldine Dawson, directrice de recherche en psychologie du développement, spécialisée dans l’autisme à Duke University, et Guillermo Sapiro, directeur de recherche en mathématiques appliquées au sein de l’université de Duke, avec qui j’ai fait un stage de 10 mois pendant mon cursus à l’ENS Paris-Saclay. C’est passionné par le sujet que j’en ai fait mon sujet de thèse, que j’effectue aujourd’hui à cheval entre le Centre Borelli et Duke. La Dre Geraldine Dawson et son équipe ont apportés toute l’expertise clinique, travaillant en étroite collaboration avec des personnes concernées et des psychiatres, tandis que le Dr Sapiro, son équipe et moi-même avons développé des algorithmes pour analyser les données récoltées. Cet article est un aboutissement dans le sens où il compile tous les marqueurs comportementaux mis en évidence ces dix dernières années et sur lesquels sont basés les différents modules constitutifs de l’appli. L’intérêt de cette étude et de cette application, réside dans le fait qu’elles couvrent un large spectre de marqueurs comportementaux reliés à l’autisme, permettant ainsi de couvrir une grande partie de la complexité des manifestations individuelles de l’autisme chez les individus concernés.

Comment fonctionne l’application ?

L’application se compose de 10 vidéos très courtes, d’une durée de 30 à 45 secondes chacune, et d’un petit jeu appelant les enfants à interagir avec l’écran. Chaque composante a été pensée autour d’une hypothèse de recherche basée sur l’état de la littérature concernant les manifestations comportementales précoces de l’autisme. Cela permet de mettre en évidence chez les utilisateurs·rices de l’application, des marqueurs comportementaux de l’autisme que nous avons validé années après années, en lien avec le regard, les micro-expressions faciales, les clignements d’yeux, les mouvements de la tête, le contrôle moteur et l’intégration visuelle d’information, la réponse à l’appel du prénom, etc… Par exemple, certains marqueurs se basent sur l’extraction de 49 points d’intérêt sur le visage, et s’intéressent à la complexité des micro-expressions associées aux mouvements de la bouche et des sourcils, en particulier pendant les vidéos à caractère social ou non-social.

 

Nos recherches ont permis de montrer qu’il était possible de reproduire ou d’adapter des tests connus de la littérature, pour diagnostiquer l’autisme, mais aussi de révéler de nouveaux marqueurs grâce à des avancées technologiques permettant des mesures beaucoup plus fines et précises. C’est le cas de la mesure du temps de réponse à l’appel du prénom, ou de la mesure de la synchronisation entre le regard de l’enfant et la personne qui parle dans les vidéos. Chez les individus neurotypiques par exemple, on observe une anticipation du regard plus prononcée vers la personne qui s ‘apprête à parler, une caractéristique moins marquée chez les personnes autistes.

Quelles sont les conditions d’administration de l’appli ?

L’ensemble des données de notre étude, comprenant 475 sujets, a été collecté dans 4 centres de recherche en Caroline du Nord. Les familles participent volontairement à l’étude lors d’une visite médicale de routine non obligatoire pour les enfants âgés de 18 à 24 mois (appelée well-child visit aux Etats-Unis). La prévalence du TSA dans cette étude, dépassant les 10% par rapport aux 2% observés dans la population générale, indique que les familles se présentant dans ces centres se questionnent sur une éventuelle atypicité développementale de leur enfant. Le test dure une douzaine de minutes. L’enfant est assis sur les genoux de son parent. En début de session, une vidéo sert au calibrage automatique du regard, affinant l’estimation des coordonnées X (axe horizontal) et Y (axe vertical) du regard de l’enfant sur l’écran. À la fin de l’administration de l’appli, un petit jeu ludique est présenté à l’enfant pour évaluer sa motricité fine. Les conditions d’administration visent à favoriser un environnement non contraignant où l’enfant n’est en aucun cas forcé de regarder la vidéo. Notre intention est de permettre l’expression libre des saillances comportementales liées aux traits autistiques.

D’un point de vue technique, comment enregistrez-vous le regard ?

L’enregistrement s’effectue via la caméra frontale de l’iPad qui sert également de support de l’application. Dans une première phase, le développement d’algorithmes était nécessaire pour identifier la personne d’intérêt dans les enregistrements, notamment lorsque plusieurs personnes apparaissent à l’écran, comme le parent accompagnant ou d’autres frères et sœurs. Ensuite, nous avons utilisé des algorithmes pour estimer avec précision le regard simplement à partir des enregistrements. Nous sommes aussi très vigilants avec la qualité des vidéos pour être sûr qu’elles soient bien conformes à notre protocole. Nous avons donc établi un indicateur de qualité des conditions d’administration, qui comprend des paramètres tels que la proportion du visage de l’enfant dans la vidéo qui doit être suffisamment grande ou une luminosité suffisante. Il est à noter que les performances de l’estimation sont généralement meilleures pour les coordonnées X que pour les coordonnées Y. Cela dit, tous les marqueurs ne sont pas exclusivement liés au regard. C’est aussi ce qui fait la force de cette application. Les marqueurs comportementaux, basés sur le regard, représentent seulement l’une des composantes de cette application.

À votre avis, est-ce que cette application serait en mesure de mieux dépister l’autisme que les professionnels ?

Je trouve que l’idée d’explorer des moyens standardisés que permettent l’utilisation d’algorithmes ou la technologie en général, pour réduire les biais de subjectivité dans les dépistages actuels est vraiment intéressante. Cela apporterait une certaine objectivité aux processus de détection. Cependant, dire que cela pourrait remplacer à terme le travail des professionnels·les me semble très peu probable. L’objectif de ces travaux est plutôt d’automatiser certaines tâches réalisées dans le cadre du dépistage de l’autisme. Des comparaisons de performances entre les tests de dépistage existants et l’application doivent guider cette réponse. Je pense avant tout que cette approche offre l’avantage de rendre le dépistage beaucoup plus accessible et rapide, ce qui constitue un progrès significatif.

Avez-vous eu des faux positifs ?

Les performances sont remarquables :  l’appli a réussi à reconnaître 87,8 % des enfants autistes et 80,8 % des enfants non autistes, et 40,6 % des enfants identifiés par l’appli comme présentant des traits autistiques ont par la suite fait l’objet d’un diagnostic clinique d’autisme. Il subsiste donc toujours des cas de faux positifs, qui s’expliquent notamment par l’hétérogénéité des phénotypes comportementaux liés à l’autisme. Certains enfants présentent des comportements qui sont à la fois très neurotypiques sur certaines caractéristiques et très autistiques sur d’autres.

Enfin, l’une des exigences du projet est de pouvoir donner une explication sur la prédiction faite par l’appli. Cette explication prend la forme d’un phénotype comportemental associé à la détection, qui indique parmi les variables de l’appli celles qui ont été importantes pour établir la prédiction. Il est important de souligner que les tests ne sont en aucun cas parfaits, et nous ne disposons d’aucun marqueur véritablement prédictif. L’application vise à saisir des saillances comportementales diverses en lien avec l’autisme. Une perspective envisageable pourrait être de poursuivre le développement de marqueurs comportementaux associés à cette application, relatifs aux vocalisations de l’enfant, au degré d’attention jointe avec le parent, ou aux évènements de pointage souvent observés. Cependant, il convient de reconnaître les limitations importantes de cette approche. Étant donné l’hétérogénéité des manifestations symptomatiques de l’autisme, certaines facettes sont difficiles à imaginer capturer avec une application de ce type, comme celles liées à l’acquisition du langage ou aux comportement répétitifs.

Quelle est la prochaine étape pour cette appli ?

Avec le COVID, nous avons développé un protocole permettant aux familles d’administrer l’application à leur enfant au sein de leur foyer. Les premiers résultats semblent indiquer que la fiabilité de l’application reste constante malgré les différences structurelles observées. On constate, par exemple, une grande diversité des appareils utilisés (téléphone, tablette, ordinateur, etc.). Nous essayons donc de voir si la taille de l’écran exerce une influence sur la qualité de la calibration du regard et donc des résultats. Il est aussi important de noter que, contrairement à notre installation habituelle avec une tablette sur un trépied, les familles placent souvent leurs téléphones sur une table, ce qui peut réduire la détection des oscillations dynamiques du dispositif qui sont utiles pour capturer la force avec laquelle les enfants tapent sur l’écran quand il est posé. Cela peut donc altérer la fiabilité des marqueurs liés au contrôle moteur.

En outre, actuellement, les familles ne sont pas totalement autonomes dans l’utilisation de l’application. À chaque session, un assistant de recherche se connecte via Zoom pour superviser le déroulement de l’expérience et recueillir des informations précieuses sur la manière dont s’est passée l’administration de l’application.

Pour faciliter la mise en place pour les familles, nous avons créé une chaîne YT  qui héberge des vidéos simples et claires, en anglais et en espagnol, permettant d’expliquer aux parents et aux enfants le fonctionnement de l’application et son objectif. Nous avons également défini des critères pour évaluer la qualité de l’administration et déterminer si une réadministration est nécessaire.

Une fois que les performances de l’appli à domicile auront été validées dans le cadre d’une étude clinique sur une large cohorte, alors, nous envisagerons de passer à l’étape de diffusion massive de l’application.

Pour aller plus loin

Inclusion dans l’enseignement supérieur pour les personnes avec TND : constat et perspectives

Présentation

L’inclusion dans l’enseignement supérieur constitue un principe essentiel visant à assurer un accès équitable à l’éducation pour tous, quelles que soient leurs différences et leurs besoins spécifiques. C’est non seulement une question de justice sociale, mais aussi un impératif pour valoriser pleinement les talents et les contributions de chacun au sein de la société.

Parmi les groupes nécessitant une attention particulière figurent les personnes présentant des troubles du neurodéveloppement tels que les troubles du spectre autistique (TSA), le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), les troubles dyslexiques (DYS), et d’autres encore. Leur nombre croissant dans l’enseignement supérieur souligne l’importance de répondre adéquatement à leurs besoins.

Cependant, malgré les efforts déployés, il est évident que l’enseignement supérieur peine encore à fournir les ajustements et le soutien nécessaires à ces personnes. Ces aménagements sont pourtant cruciaux pour leur réussite académique et à plus long terme leur estime de soi.

Face à ce constat, il est important de se demander pourquoi cette situation persiste. Quels sont les défis rencontrés par les personnes atteintes de troubles du neurodéveloppement lorsqu’elles évoluent dans l’enseignement supérieur ? Comment pouvons-nous faire évoluer les pratiques et les perceptions pour favoriser une véritable inclusion ?

Dans le cadre de ce webinaire, nous aurons l’opportunité d’entendre différentes perspectives grâce à nos deux intervenants: Alexandre Arbey, maître de conférences et lui-même concerné par les TSA, partagera son point de vue en tant qu’enseignant-chercheur, tandis que Michel Allouche, responsable du SESSAD les Passementiers, nourrira notre réflexion en partant du point de vue des étudiants qu’il accompagne dans leur parcours scolaire.

Intervenants

  • Alexandre Arbey, enseignant-chercheur à l’Institut de Physique des deux Infinis de Lyon (IP2I)
  • Michel Allouche, responsable du SESSAD les Passementiers de l’hôpital du Vinatier et responsable partenariat du Centre d’Excellence iMIND

Informations pratiques

Quelles frontières entre illettrisme et dyslexie?

Affiche comportant toutes les informations du webinaire. Un personnage en train de lire un livre est en bas à gauche. Un nuage de lettres sort de son livre.

Présentation

L’illettrisme désigne la situation d’une personne qui a appris à lire et à écrire, mais en a complétement perdu la pratique. Cette condition demeure un défi persistant pour notre société puisque cela concerne 7% de la population adulte qui a été scolarisée en France (soit environ 2,5 millions de personnes).

La dyslexie, quant à elle désigne un trouble du neurodéveloppement qui concerne environ 7% de la population française. Les individus présentant une dyslexie, qu’elle soit diagnostiquée dès leur plus jeune âge ou à l’âge adulte, peuvent être confrontés à des défis majeurs lorsqu’il s’agit de développer et maitriser des compétences en lecture et en écriture.

Bien qu’il soit possible d’identifier des points communs entre ces deux conditions, une réflexion autour des causes et de leurs manifestations respectives demeure essentielle pour l’identification des facteurs de risques et d’association.

Comment différencier illettrisme et dyslexie ? Le fonctionnement du cerveau des adultes illettrés et des adultes dyslexiques présentent-ils des similarités lorsqu’ils sont en train de lire et d’écrire ? Dans quelle mesure les difficultés de lecture que l’on présente enfants peuvent-elles conduire à l’illettrisme à l’âge adulte ? Comment les adultes illettrés et les adultes dyslexiques parviennent à s’adapter à leurs difficultés et ainsi améliorer leur niveau de lecture ? Enfin, existe-t-il des différences dans la réponse aux interventions entre ces deux conditions ?

Les intervenants

  • Nicole Philibert, présidente de l’association AtoutDys
  • Eddy Cavalli, enseignant-chercheur et responsable de l’équipe Cognition des Apprentissages et du Langage (CAL) du laboratoire EMC de l’Université Lyon 2. Les recherches d’Eddy Cavalli sont soutenues par l’Agence Nationale de la Recherche par le financement ANR-18-CE28-006 DYSucces.

Informations pratiques

Identité trans et TSA : démêler le vrai du faux

Illustration montrant une personne avec une chevelure mi-longue et portant un t-shirt bleu,blanc et rose. LE fond est en dégradé de rose et bleu et on peut lire le titre du webinaire et les informations sur la date, l'heure et les invités.

Présentation

La transidentité et les Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA) représentent deux aspects importants de la diversité humaine, chacun apportant sa propre complexité et sa richesse à l’identité des individus.

En France, il existe des idées reçues qui entourent ces deux réalités, mais aussi des zones d’intersection où se posent des questions cruciales. Les personnes trans, qui ressentent un décalage entre leur identité de genre et leur sexe enregistré à la naissance, peuvent également être autistes, et cela soulève des défis particuliers en matière de compréhension, de soutien et d’inclusion.

Dans le climat actuel, il nous semble essentiel de démystifier certaines idées reçues en s’appuyant sur les données actuelles de la science et les recommandations internationales, d’encourager la sensibilisation et de promouvoir le respect des droits et de la dignité de toutes et tous.

Les intervenants

  • Guilhem Bonazzi, psychiatre au pôle HU-ADIS, responsable de la consultation diagnostique TSA et Variance de genre.
  • Ethan Bernier, Ingénieur Business Analyst spécialisé en Data pour les secteurs de la Santé et de la Défense, détecté TSA, HPI et TDAH, marié et parent de 2 jumeaux de 22 ans.

Replay disponible :

La dépression chez les personnes autistes : comment la prévenir et accompagner ?

Présentation

La prévalence de la dépression est beaucoup plus importante chez les personnes avec un TSA que dans la population générale. Cela s’explique souvent par la difficulté à en reconnaitre les premiers signes et à demander de l’aide. Le traitement est plus long chez les personnes autistes et les conséquences sur la vie sociale, familiale et professionnelle sont souvent désastreuses, d’où l’importance de faire de la prévention auprès de ce public spécifique.

Comment reconnaître les premiers signes de la dépression et que faire pour qu’elle ne s’installe pas ? Nos deux expertes du jour, Véronique Barathon et Sandrine Sonié, s’attèleront à nous éclairer sur la question.

Les intervenants

  • Sandrine Sonié, psychiatre et coordinatrice du Centre de Ressources Autisme Rhône-Alpes, grâce à sa pratique quotidienne auprès de patients, nous expliquera ce qu’est la dépression, comment la prévenir et que mettre en place au quotidien.
  • Véronique Barathon, pair-aidante au TS2A, nous parlera de ses épisodes dépressifs, comment elle les a surmontés et les garde-fous qu’elle a mis en place dans son quotidien.

Replay disponible :

Que sait-on des origines génétiques du TDAH ?

Présentation

Le 12 juin prochain aura lieu la troisième édition de la Journée nationale du TDAH à l’initiative de deux associations : TDAH-Pour une égalité des chances et TypiK’AtypiK. C’est avec plaisir que nous vous proposons, à cette occasion, un webinaire consacré aux questions du diagnostic génétique dans le TDAH.

Le TDAH est un trouble du neuro-développement multifactoriel, impliquant une interaction complexe entre des facteurs génétiques et environnementaux. Comprendre les bases génétiques de ce trouble est essentiel pour améliorer la précision du diagnostic et développer des approches de traitement plus ciblées. Or, il s’avère que très peu de familles ont accès au diagnostic génétique. Comment l’expliquer ?

Pendant ce webinaire, nous explorerons les dernières avancées de la recherche en génétique du TDAH. Nous évoquerons l’intérêt d’entreprendre ces investigations mais aussi les freins et inquiétudes rencontrées par les personnes concernées.

Les intervenants

  • Pr Laurence Faivre, Professeur Universitaire Praticien Hospitalier au CHU de Dijon, responsable du centre génétique des maladies rares et coordinatrice de la filière AnDDI-Rares reviendra sur les connaissances actuelles des origines génétiques du TDAH et expliquera quand et comment accéder à un diagnostic génétique.
  • Stéphane Chetreff, formateur proposant des accompagnements sur les TND aux personne concernée et aussi aidant, nous fera part des éventuels freins rencontrés dans l’accès au diagnostic génétique du TDAH, au travers de son expérience et de l’expérience des familles qu’il accompagne.

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Le pari de la recherche participative : instaurer un dialogue avec les personnes concernées

Montage mettant en scène, à gauche des chercheurs et à droite une foule de personnes. Les photos de Danièle Langloys et Amélie Soumier sont au centre avec leurs noms, leurs titres et l'heure et date de l'évènement.

Présentation

Que chacun.e puisse accéder à une bonne compréhension de la science en général et de la recherche fondamentale en particulier est essentiel pour la société comme pour les citoyens. Aujourd’hui, un changement de paradigme pousse les chercheur.es à ouvrir leurs laboratoires au grand public et à montrer ce qu’ils étudient, pourquoi le faire, comment ils s’y prennent… Intégrer le plus possible les personnes concernées dans toutes les phases du processus est aussi l’un des nouveaux objectifs. Cette collaboration, du fait de sa nouveauté, nécessite des explications et des ajustements, et donc une construction commune.

Dans ce webinaire, nous avons invité Amélie Soumier, chercheure en neurosciences et Danièle Langloys, présidente d’association, pour les entendre sur leurs attentes respectives, leurs points de vue et sur des pistes qu’elles ont identifiées pour permettre un dialogue fructueux.

Les intervenants

  • Amélie Soumier, chercheure en neurobiologie cellulaire et moléculaire, s’intéresse aux réseaux de l’ocytocine fortement suspectés comme étant impliqués dans l’apparition des troubles du spectre autistique grâce à une approche innovante d’imagerie cellulaire qui permet de cartographier le développement cérébral.
  • Danièle Langloys est la présidente de l’association Autisme France.

Replay disponible :

De la recherche fondamentale au patient, il n’y a parfois qu’un pas.

Thomas Boulin, chercheur au CNRS et directeur de l’équipe « Neurobiologie moléculaire et cellulaire de C. elegans » du laboratoire MeLiS, a réalisé une partie des tests de validation diagnostique qui a permis à un organisme américain, l’UDN, d’identifier l’origine génétique des troubles du neuro-développement (TND) d’une jeune patiente, le syndrome NEDEGE qui résulte d’une mutation du gène NBEA. Lui qui d’habitude se passionne pour des questions de recherche fondamentale, a éprouvé un regain d’enthousiasme à pouvoir appliquer sa recherche pour confirmer le diagnostic d’une jeune patiente américaine.
Photo équipe Thomas Boulin

« La recherche, ce n’est pas un chercheur qui se lève le matin en décidant d’étudier une pathologie pour savoir comment elle fonctionne. Ça ne se passe pas comme ça, sinon, on n’aurait plus de cancer ».

C’est avec ces mots que Thomas Boulin a commencé son récit. En effet, la recherche scientifique reste un mystère pour beaucoup. On distingue la recherche fondamentale, qui vise à comprendre les phénomènes biologiques et dont le but est le progrès de la connaissance, à laquelle on oppose souvent, de façon erronée, la recherche appliquée dont le but est de répondre à une question précise, par exemple clinique. Alors que le financement de la recherche se fait aujourd’hui essentiellement par appels d’offres ciblés, la recherche fondamentale est davantage critiquée sur son utilité, en comparaison à la recherche appliquée, plus concrète à première vue. Or, sans recherche fondamentale, pas de recherche appliquée car celle-ci s’appuie sur le socle de connaissance issu de la recherche fondamentale. L’équipe de Thomas Boulin du laboratoire MeLiS étudie le fonctionnement des canaux potassiques qui régulent l’activité électriques des neurones. En d’autres termes, il cherche à comprendre les conditions nécessaires, au niveau moléculaire, pour que l’information circule correctement dans nos réseaux neuronaux. Ses travaux se situent donc dans le champ de la recherche fondamentale. C’est pourtant grâce à ces travaux qu’il a pu développer un nouvel outil diagnostic pour le syndrome NEDEGE.

Le parcours diagnostic dans les maladies rares

Beaucoup de maladies rares ont une origine génétique. Le parcours patient classique consiste à faire des examens génétiques pour identifier des gènes-candidats, c’est-à-dire des gènes comportant une mutation qui pourrait être à l’origine de la maladie rare. En plus du génome du patient, on séquence donc le génome des parents car ces mutations apparaissent fréquemment après la fertilisation de l’ovocyte par un accident génétique lors de la reproduction de l’ADN. On dit qu’il s’agit de « mutations de novo ». Aucun des deux parents n’ayant la mutation, la comparaison du génome des parents et de l’enfant permet d’identifier cette liste de gènes-candidats. Souvent, le parcours médical s’arrête là car les médecins n’ont pas forcément les savoirs, ni les outils technologiques pour aller plus loin. C’est là qu’entre en scène Hugo Bellen, un généticien de la mouche Drosophile et son réseau américain, UDN, Undiagnosed Diseases Network, dont l’originalité est de mettre des plateformes technologiques de pointe au service du diagnostic génétique et de démontrer qu’une mutation est bien à l’origine de la maladie du patient.

Qu’est-ce que l’UDN?

L’UDN, pour Undiagnosed Diseases Network, est un réseau américain de quatorze sites universitaires et hospitaliers les plus prestigieux du pays, financé par le NIH. Un patient, ou sa famille, en errance diagnostique peut déposer auprès de cet organisme un dossier composé de tous ses antécédents et tests médicaux. Pour les patients pris en charge, l’UDN étudie tous les éléments du dossier et va actualiser certains tests ou faire des tests complémentaires, à la lumière des avancées technologiques et scientifiques les plus récentes. C’est entièrement pris en charge par le réseau, ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on connaît le coût des frais médicaux aux États-Unis.

Dossier UDN N°068

Bien que doté de moyens très importants, ce réseau s’appuie aussi sur l’expertise de collaborateurs internationaux et lance régulièrement des appels à la communauté scientifique. C’est ainsi qu’un jour apparaît sur ce portail le cas d’une jeune fille américaine porteuse d’un trouble du neuro-développement sévère avec un trouble du développement intellectuel et des crises d’épilepsie fréquentes pour laquelle l’UDN a identifié le gène Neurobeachin (NBEA) comme gène-candidat principal. En effet, une étude de 2019 très récente avait montré un lien entre les troubles du neuro-développement, l’épilepsie et ce gène. Quand Thomas voit cet appel, ça fait tilt !

Il se trouve que Sonia El Mouridi, doctorante dans l’équipe, avait découvert un rôle nouveau de la Neurobeachin dans les processus biologiques qui intéressent l’équipe. N’étant pas le cœur de son projet de doctorat, cette observation était simplement présentée dans une annexe de sa thèse sans avoir été formellement publiée. Qui aurait pu prédire que, quelques années plus tard, forte de ces résultats et de son expertise sur le ver C. elegans, l’équipe de Thomas allait pouvoir réaliser pour l’UDN une partie des tests de validation fonctionnelle démontrant que cette mutation inconnue jusque-là était bien à l’origine des troubles de la patiente et aider ainsi à confirmer le diagnostic génétique de la maladie rare de cette jeune fille.

Comment l’équipe s’y est-elle prise ?

Un modèle animal sur mesure

Pour démontrer l’effet délétère d’une mutation identifiée chez un patient, il est très souvent nécessaire de passer par des modèles animaux. La souris serait tout à fait pertinente mais cela reste extrêmement cher et long et surtout, impossible à réaliser à grande échelle. L’approche préconisée par l’UDN et Thomas Boulin s’oriente donc vers des modèles animaux plus simples, moins coûteux et où le temps de génération est plus rapide. Ainsi la drosophile, le poisson zèbre, mais aussi le ver C. elegans sont des modèles de choix. On est en droit de se demander en quoi la drosophile ou le ver C. elegans sont des modèles pertinents pour étudier l’humain étant donné que nous n’avons pas grand-chose en commun à première vue. Il s’avère en réalité, que notre patrimoine génétique n’est pas si différent. Les gènes affectés dans les maladies rares sont souvent des gènes très importants, maintenus au cours de l’évolution, et que l’on retrouve chez l’humain, mais aussi chez la drosophile ou le ver C. elegans. C’est ce qu’on appelle la conservation évolutive.

Qu’est-ce que C. elegans ?

Le nématode C. elegans est un ver d’un millimètre de long, à peine visible à l’œil nu. Il est l’un des modèles animaux utilisés en biologie depuis 50 ans pour disséquer les processus biologiques fondamentaux, comme par exemple la mort cellulaire programmée qui est impliquée dans le cancer. Cet « organisme modèle pionnier » est très prisé pour les études génétiques du fait de sa robustesse, de son temps de génération extrêmement rapide (3 jours), des nombreux outils génétiques disponibles et de son coût très limité.

La révolution CRISPR-Cas9

Récapitulons : nous avons une patiente, un gène candidat, NBEA, et un modèle animal, le ver C. elegans, spécialité de l’équipe de Thomas. La première étape a donc consisté à reproduire la mutation identifiée chez la patiente dans le génome de C. elegans afin de créer un « modèle sur mesure ». Grâce à la technologie des « ciseaux moléculaires » CRISPR-Cas9, on peut aujourd’hui d’introduire une cassure dans un gène cible afin de forcer la cellule à la réparer avec une séquence génétique artificielle, contenant la mutation. Avant de mettre au point cette technologie, on avait tendance à surexprimer les protéines mutées, ce qui a souvent des effets délétères et peut entraîner des artefacts. L’approche CRISPR-Cas9 permet maintenant de faire des modifications génétiques de façon très fine, sans modifier ce qu’il y a autour. On peut ainsi étudier l’impact d’une mutation dans un modèle animal de la façon la plus fidèle possible.

La validation de mutation

La Neurobeachin est une protéine immense composée de 2500 lettres, ou acides aminés. Or, la mutation de la patiente n’affecte qu’un seul de ces acides aminés, et ce, en opérant un simple remplacement par un autre acide aminé. Or les dysfonctionnements produits par ce type de substitutions sont presque impossibles à prédire théoriquement. Grâce aux animaux génétiquement modifiés, Thomas et son équipe ont donc procédé à différents tests fonctionnels pour vérifier l’impact de la mutation sur le fonctionnement de la Neurobeachin. Grâce à ces tests, l’UDN a été en mesure de conclure avec certitude que cette mutation sur le gène NBEA de la patiente était bien à l’origine de sa maladie rare.

De l’importance d’identifier ces syndromes

Valider l’impact d’une mutation et mettre un nom sur un syndrome permet d’apporter la certitude au patient, à ses proches et à l’équipe médicale que la pathologie est bien liée à la mutation d’un gène. L’errance diagnostique prend fin, ce qui représente souvent un grand soulagement psychologique pour la famille. Une fois que le diagnostic a été posé, les personnes concernées par ce syndrome peuvent se rencontrer : d’une part pour échanger sur leur quotidien, se conseiller, s’épauler et d’autre part pour avoir une idée de l’évolution de la maladie. Ils peuvent aussi se regrouper en associations dans le but de communiquer et de lever des fonds pour encourager les travaux de recherche dans ce domaine. Il y a sans doute d’autres patients dans le monde avec une mutation de la Neurobeachin, dont on pense simplement qu’ils sont épileptiques ou qu’ils ont un trouble du neuro-développement. Le véritable enjeu aujourd’hui est d’associer les deux, troubles du neuro-développement et Neurobeachin, pour que les généticiens testent aussi ce nouveau gène si les symptômes sont concordants.

Que sait-on sur la Neurobeachin (NBEA)?

Il existe encore peu d’informations sur cette protéine. Elle est essentiellement exprimée dans le cerveau et joue vraisemblablement un rôle très important dans les systèmes de contrôle de l’activité cérébrale. NBEA a été identifié comme gène candidat pour des maladies avec TND en 2003. Une simple mutation de ce gène peut entraîner des conséquences très sévères du point de vue neuro-développemental. Certains gènes supportent facilement des mutations dans leur séquence. D’ailleurs, si l’on compare le génome de deux personnes lambda, on va s’apercevoir qu’il y a beaucoup de différences entre elles, ce qui est tout à fait normal. Mais certains de nos gènes supportent moins bien les mutations. NBEA est un exemple de ces gènes extrêmement contraints qui ne tolèrent presque aucune mutation.

Depuis, l’équipe de Thomas a décroché un financement sur 4 ans de l’Agence Nationale de Recherche pour mieux comprendre les bases moléculaires et cellulaires du fonctionnement de la NBEA. Il collabore aussi avec Tristan Sands de l’Université de Columbia sur la validation diagnostique chez de nouveaux patients.

« Le travail de Sonia n’avait pas du tout pour finalité de résoudre l'errance diagnostique de cette petite fille. Or c’est ce qui s’est passé, l’histoire est belle et donne du sens à notre recherche. Et cela montre à quel point la recherche fondamentale est nécessaire et importante, et qu’il ne faut pas être trop contraint dans nos idées. », souligne Thomas.

En résumé

Description des étapes qui mènent la découverte du syndrome NEDEGE

Webinaire #6: Enfants prématurés, quand parler de TND ?

Montage photo avec le professeur Edouard Gentaz, le professeur Pierre Fourneret et le titre du webinaire.La prématurité est un facteur favorisant les troubles du neuro-développement. Un tiers environ des enfants nés prématurés sont concernés. Ils sont censés bénéficier d’un suivi médical particulier jusqu’à leur septième année, or ce n’est pas toujours le cas. Plus ces troubles sont pris en charge tôt, plus l’impact sur la vie de l’enfant s’en trouve réduit. Mais comment savoir si son enfant est sur une trajectoire de développement typique ou atypique ? À quel moment consulter ? Une fois les difficultés identifiées, que peut-on faire en tant que parents ou proches ?

Les intervenants

Pour ce sixième webinaire, voici nos deux intervenants:

  • Pr. Edouard Gentaz est professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève et directeur de recherches au CNRS (LPNC-Grenoble). Il dirige, à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE), le laboratoire du développement sensori-moteur, affectif et social de la naissance à l’adolescence. Il décrira les caractéristiques d’un développement typique et abordera le concept de « bornes développementales ».
  • Pr. Pierre Fourneret est pédopsychiatre, PU-PH, chef du service Psychopathologie du développement de l’hôpital Femme-Mère-Enfants de Lyon et spécialiste des troubles DYS. Il donnera la marche à suivre pour permettre une prise en charge rapide et efficace de l’enfant concerné. Il présentera aussi le panorama des structures à la disposition des parents concernés (le rôle des PCO 0-6 ans, 7-12 ans, comment y accéder, les réseaux régionaux de périnatalité…).

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Webinaire iMIND

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Webinaire #3: TCA vs TSA, vers une vision intégrative

Le service de nutrition du CHU de Rouen a développé une expertise en détection de troubles du spectre de l’autisme (TSA) sur les dernières années car cette patientèle est très représentée

En savoir plus

Penser ensemble l’inclusion dans la ville

Présentation

Le GIS autisme et troubles du neuro-développement et le Centre d’excellence iMIND vous proposent une journée de réflexion sur la thématique novatrice de l’inclusion dans la ville, animée par Agnès Jolivet Chauveau, co-fondatrice de la Formidable Armada.

De la neuroarchitecture à l’insertion professionnelle, en passant par le sport inclusif, nous explorerons de nombreuses façons de rendre notre société plus accueillante pour les personnes ayant des troubles du neuro-développement.

Programme

8h45 – 9h15 : Accueil café

9h15 – 9h20 : Mot de bienvenue de Caroline Demily et Angela Sirigu

 9h20 – 9h30 : Intervention de Catherine Barthélémy, Directrice du groupement d’intérêt scientifique (GIS) Autisme et troubles du neuro-développement (TND)

9h30 – 9h40 : Intervention de Claire Compagnon, Déleguée Interministerielle Autisme et troubles du neuro développement

9h40 – 9h50 : Intervention de Pascal Mariotti, Directeur du Centre Hospitalier Le Vinatier

9h50 – 10h10 : Intervention de Jean Mathy (Noetic Bees) – Le projet Ligne bleue: une expérimentation pour améliorer notre expérience des transports en commun avec le concours de personnes autistes.

10h10 – 10h30 : Intervention de Chams-Ddine Belkhayat (Bleu network) – Handicap et Inclusion, faire un pas de côté pour se mettre sur le chemin

10h30 – 10h45 : Pause-café

10h45 – 11h05 : Intervention de Sylvia Wirth (Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod) – Comment le cerveau construit l’espace ? Le nôtre et celui des autres.

11h05 – 11h25 : Intervention de Zelda Prost et du Dr Guilhem Bonazzi (Le Zibou Lab) – Le Zibou Lab : un lieu de travail et de rencontres au cœur de la ville

11h25 – 11h45 : Intervention de Vincent Williard, éducateur sportif APA (pôle HU-ADIS au Centre Hospitalier Le Vinatier) – L’activité physique adaptée au service de l’inclusion

11h45 – 12h05 : Intervention de  Mélanie Dautrey (pôle HU-ADIS au Centre Hospitalier Le Vinatier) – Diplôme Universitaire de pair aidance familiale en santé mentale et neuro-développement : les familles comme partenaires de l’inclusion

12h05 – 13h30 : Pause déjeuner

13h30 – 13h50 : Intervention de Marie Pièron (UNiversité Paris Cité/Club autisme, troubles du neuro-développement et vision) – L’autisme: une perception singulière de la ville

13h50 – 14h10 : Intervention de Hajer Atti (Architecte et doctorante en neurosciences iMIND) – Le rôle de la Neuroarchitecture dans la rémittence des troubles neuro-développementaux, le cas de l’autisme

14h30 – 15h00 : Intervention de Mélie Michel (CH le Vinatier), Lionel Thabaret – Cent7 Architecture – agence d’architecte sélectionnée pour construire la nouvelle unité de neuro-développement sur le pôle HU-ADIS et Etienne Cassier – Atelier Espinosa – architecte d’intérieur – Le soin sera aussi architectural 

15h00 – 15h15 : Pause café

15h15 – 15h45 : Intervention d’Isabella Pasqualini, architecte et neuroscientifique à l’université de Lucerne – Design within: perspectives towards inclusion

15h45 – 16h30 : Intervention de Magda Mostafa, professeure associée de l’Université américaine du Caire – Autism, Neurodiversity and the Built Environment: Addressing the Codification Gap | a Case for a Sensory Decolonisation

16h30 : Conclusion et remerciements

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Le 19 juillet 2022 par Raphaele von Koettlitz

TSA et genre : pourquoi les femmes autistes sont-elles sous-diagnostiquées ?

Nous avons eu le plaisir de parler avec Muriel Salle et Magali Pignard de ce que cela signifie d’être une femme autiste et la façon dont la médecine s’est emparée de la question. Muriel est Maîtresse de conférences spécialiste de l’histoire des femmes, du genre, et de la médecine à l’Université Lyon 1 et Magali est cofondatrice de l’Association PAARI (Personnes Autistes pour une Autodétermination Responsable et Innovante) et du Tremplin Autisme Isère.

Nous avons retracé brièvement l’histoire de la médecine pour mieux comprendre le déficit de repérage de l’autisme chez les femmes, de l’accès au diagnostic jusqu’à l’accompagnement. Nous avons également discuté des constructions sociales et culturelles et du conditionnement autour du genre et de la façon dont cela joue sur le camouflage et la manifestation des caractéristiques autistiques qui ne correspondent pas forcément aux représentations stéréotypés.

Les taux de prévalence

Commençons par les faits : les femmes autistes sont systématiquement sous-diagnostiquées par rapport aux hommes. Selon la CIM 10, le sex-ratio montre que 3 à 4 hommes sont diagnostiqués pour une femme, et selon le DSM 5 c’est 4 hommes pour une femme. Lorsque l’on creuse un peu, une méta-analyse menée par Loomes et al 2017 montre que ce chiffre se réduit en fait à 3 pour 1 lorsque l’on élargit le champ pour inclure les femmes qui n’ont pas reçu de diagnostic clinique, en raison d’un biais de genre inhérent. “Il est important de se rappeler que les taux de prévalence et de diagnostic sont deux choses différentes, de comprendre les conséquences de ce sous-diagnostic, qui invisibilise les gens, et de questionner quelles variables sont à l’œuvre”, dit Muriel.

Il est important de préciser que sur le plan clinique, le diagnostic TSA repose sur une dyade autistique qui est présente chez les femmes et les hommes. “Il n’y a pas d’autisme au féminin ou au masculin ; on dit ça pour aller vite, mais le fonctionnement ou la symptomatologie de l’autisme est la même chez les femmes et les hommes. En revanche, cela peut se manifester différemment chez les femmes et les hommes notamment à cause du conditionnement social, de l’identité unique de chacun.e et du stade de vie.” dit Magali.

Pourquoi les filles/ femmes autistes passent “sous les radars” ?

“Pendant longtemps on n’a pas repéré de femmes autistes. Dans le champ de l’histoire de la médecine on peut confirmer que les troubles du spectre de l’autisme (TSA) ont été construits comme un trouble masculin”, dit Muriel. Les psychiatres Léo Kanner (en 1943) et Hans Asperger (en 1944) sont très connus pour leurs travaux sur l’autisme. Leurs premières études de cas portaient quasi exclusivement sur des garçons : 4 garçons pour Asperger, 8 garçons et 3 filles pour Kanner “Le prisme à travers lequel on comprend le trouble est donc bien biaisé”, explique Muriel. Et ce, malgré le fait qu’une première étude ait été réalisée en 1926 par Grounia Soukhareva, une médecin Russe (voir aussi S. Wolff et Les enfants autistes de Grunya Efimovna Sukhareva et Kevin Rebecchi), sur des garçons et des filles. Elle a publié la première description de l’autisme dans une revue scientifique, portant sur six garçons et 5 filles en tout, et elle a dressé un tableau masculin et un tableau féminin. Cependant, comme de nombreuses autres figures féminines de l’histoire, elle a été effacée de la narration.

Muriel continue : “Les travaux sur les femmes autistes sont plus récents, et datent principalement des années 2000 (voir A. Lacroix et F. Cazalis pour une discussion sur ce sujet). Il existe un biais de genre ancré dans l’histoire de la médecine, qui est à l’origine du développement d’outils de diagnostic adaptés à la population masculine. Le test ADOS, par exemple, fait ressortir davantage les traits et caractéristiques associés à des garçons, ce qui veut dire que les filles passent davantage sous le radar. On parle alors d’androcentrisme : il s’agit d’un biais théorique et idéologique qui consiste à adopter un point de vue masculin sur le monde, sa culture et son histoire, marginalisant ainsi culturellement les femmes.”

Comme démontré par une étude suédoise, des parents ont indiqué que les questions qui sont posées aux filles avec un TSA pendant les évaluations de diagnostic ne sont pas les bonnes, parce qu’elles ont en fait été élaborées pour repérer les garçons TSA.

Une courte histoire de la médecine genrée

C’est là qu’on rentre au cœur de l’expertise de Muriel, “Si l’on considère le domaine de la médecine au sens large, de nombreuses maladies ou conditions sont liées au genre. De manière générale, en médecine, on a construit le savoir à partir des corps des hommes. On pense aux femmes secondairement, comme les exceptions à la règle. Beaucoup de maladies sont construites selon ce modèle pour des raisons historiques. On travaille d’abord sur le corps masculin car il est coutume que l’homme “représente” l’espèce humaine. Le fait que les chercheurs aient longtemps été principalement des hommes jouent aussi”.

“Dans cette perspective, les femmes sont envisagées comme physiologiquement pathologiques, car une femme, de toute façon, ça dysfonctionne. Une femme qui va bien, va mal en réalité. Quand on regarde les discours médicaux sur la puberté, les règles, la grossesse, la ménopause etc., tous ces événements physiologiques féminins sont perçus comme des signes de dysfonctionnement. Et c’est lourd de conséquences. Prenons l’exemple de l’endométriose, elle a été décrite pour la première fois en 1860 et c’est loin d’être une maladie anecdotique en termes de prévalence dans la population française (on estime qu’une femme sur 10 est concernée). Pourtant, on devra attendre jusqu’à 2016 pour voir la mise en place du premier plan d’action de la Haute Autorité de Santé (HAS). Donc la question est, qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ? Beaucoup de publications sont sorties mais c’était considéré comme un dysfonctionnement ‘acceptable’. Faire la différence entre des règles douloureuses et des douleurs d’endométriose, c’est difficile, surtout dans cette perspective masculine, quand on considère que, de toute façon, les femmes souffrent au moment de leurs règles. Donc il ne se passait pas grand-chose.”.

“Un autre exemple, les maladies cardio-vasculaires, qui sont réputées être des maladies masculines, pourtant on sait aujourd’hui que les femmes sont davantage touchées. C’est même la première cause de mortalité pour les femmes en France. Elles ont beaucoup plus de risque de mourir d’un infarctus ou d’un AVC que d’un cancer de sein, mais on en parle peu. Mais l’inverse existe aussi :  l’ostéoporose est une condition considérée comme ‘féminine’, ce qui fait que les hommes sont largement sous-diagnostiqués avec des conséquences similaires ».

“Il faut se rappeler qu’un savoir, même un savoir scientifique, est construit dans le cadre d’une société. Ce n’est pas parce que le savant a mis une blouse blanche, qu’il s’est débarrassé de toutes ses représentations et ses stéréotypes.” Elle ajoute, “Il faut donc toujours s’interroger : comment les savoirs sont-ils fabriqués ? Qui pose les questions ? Comment sont pensées ces questions ? ”.

Éveil féministe dans la médecine

La publication du livre, ou plutôt d’un manuel féministe (écrit par et pour les femmes), ‘Notre Corps nous même’publié en 1973 (aux États-Unis) et en 1977 en France (La traduction précise serait ‘Nos corps nous même’ de l’anglais) a marqué un tournant dans le discours porté sur les femmes et leur corps. Cet ouvrage soulignait l’importance de la création de connaissances et d’approches centrées sur les perspectives et les besoins des femmes : l’importance de se réapproprier son corps. Cela a déclenché un mouvement féministe aux États Unis pendant les années 70, qui a diminué un peu pendant les années 80 et est reparti de plus belle dans les années 2000.

Jusqu’alors, les femmes et leurs points de vue étaient généralement mis de côté dans le champ de la médecine.

“Aujourd’hui, il y a plus de savoirs dit ‘féminins’ non seulement parce qu’il y a plus de femmes impliquées dans la production des savoirs médicaux, mais aussi grâce aux femmes (et hommes) féministes. Cette évolution n’est pas due simplement au fait qu’il y a plus de femmes qui participent à l’élaboration des savoir, mais aussi à l’élaboration de savoirs critiques, principalement par les femmes, mais pas que.” dit Muriel.

Les signes d’autisme ‘féminins’ moins reconnaissables ?

Magali nous parle de son parcours de diagnostic tardif, “lors de mon évaluation diagnostique, quand la psychologue interrogeait ma mère avec des questions ciblées sur les manifestations de l’autisme durant l’enfance, elle reconnaissait des signes de l’autisme chez mon frère, mais pas chez moi (ou beaucoup moins). Ni moi ni mon frère avons eu un diagnostic tôt car à l’époque il n’y avait même pas de centre de diagnostics. Mon frère a été étiqueté schizophrène (à raison), et les médecins sont passés à côté de l’autisme. C’est seulement quand j’ai pris conscience de mon autisme, quand j’en ai parlé à ma mère, qu’elle a compris que c’était le cas pour mon frère aussi (en plus de la schizophrénie) ”.

Elle poursuit, « L’intérêt spécifique de mon frère était de mémoriser les plaques d’immatriculation. Ses troubles étaient plus extériorisés et plus reconnaissables. Par exemple, il a jeté sa guitare par la fenêtre. Et moi, je me scarifiais, ce qui est évidemment beaucoup plus discret. J’ai joué avec mes poupées, mais sans imagination. Je regardais les autres enfants pour comprendre comment jouer avec et je reproduisais exactement la même chose. Bien sûr il n’est pas aisé de savoir ‘quelle est la façon adaptée de jouer avec une poupée’, c’est peut-être une autre question, mais quand même c’est un comportement, malgré sa subtilité, à interroger ! Les personnes autistes imitent beaucoup pour suivre les codes sociaux et s’intégrer. Nos symptômes sont donc influencés par notre conditionnement sociétal”.

“Il faut se rappeler aussi qu’un enfant autiste, avant d’être autiste est un enfant” ajoute Muriel. “La sociologie de l’éducation a largement démontré la puissance de la socialisation différenciée. C’est-à-dire que les petites filles sont socialisées comme des petites filles et les petits garçons comme des garçons. Ou, pour le dire autrement, on ne naît ni fille ni garçon, mais on le devient en apprenant, notamment, les comportements appropriés. ”

Avant d’être diagnostiquée autiste à l’âge de 38 ans, Magali a été diagnostiquée dépressive. Son médecin n’a pas creusé plus profondément et a donc raté les raisons sous-jacentes qui expliquaient ses difficultés. Cette errance diagnostique est fréquente, beaucoup de femmes sont diagnostiquées plus tardivement dans leur vie. Cela peut être attribué à divers facteurs comme le fait que d’autres troubles prennent le pas sur leur autisme si c’est plus prononcé et plus reconnaissable. Une personne autiste a environ 3 – 5 troubles associés en général, et le taux d’anxiété, la dépression et les troubles de comportements alimentaires sont particulièrement courants chez les femmes. 

Dans le cas de Magali, et comme pour la grande majorité de personnes, l’âge joue aussi sur l’apparence et l’expression des signes autistiques. Elle disait que, par exemple “Quand je suis devenue parente, mon autisme a évolué avec la maternité. J’ai un peu oublié mes difficultés et je me suis concentrée sur mon fils. Je ne me comportais pas de la même manière”.

La mauvaise reconnaissance des traits autistiques chez les femmes peut aussi être attribuée en partie au camouflage, ce qui est le fait de masquer les caractéristiques de l’autisme perçues comme moins socialement acceptable selon les normes neurotypiques. Il est généralement admis que les femmes sont plus capables de s’adapter socialement que les hommes (voir Tony Attwood 2007), et que les femmes autistes arrivent plus que les hommes à imiter les personnes non-autistes en situation sociale. Muriel est convaincue que c’est culturel : “On apprend beaucoup plus aux filles à s’adapter, plus qu’aux garçons. De toute façon, dès lors qu’on vit dans un monde qui est pensé par et pour les hommes, être une femme c’est forcément devoir s’adapter. Par exemple, les petites filles lisent des histoires dont le héros est un garçon, et elles s’y identifient sans souci. Dans le sens inverse, les garçons qui lisent des histoires impliquant des héroïnes ont beaucoup de difficulté à s’identifier. De même, si on entend quelqu’un dire “Bonjour à tous” on se sent concerné même si on est une femme, mais les hommes en revanche ne le sont pas si on dit “bonjour à toutes”.

Pourquoi le sous-diagnostic des femmes autistes est-il un vrai enjeu féministe ?

“C’est simple. Pas de diagnostic, pas de soins.” dit Muriel. “Les gens qui souffrent ont besoin d’être soignés pour avoir une bonne qualité de vie”. Ceci est évidemment étroitement lié à l’égalité. Si les femmes ont moins accès aux soins, elles ont moins accès à une vie pleine et épanouie et à tout ce qui l’accompagne. Le repérage, le diagnostic et les soins qui suivent sont donc primordiaux.

Le taux élevé de violences sexuelles subies par les femmes autistes représente un autre enjeu féministe important. “Les femmes ont plus tendance à se replier sur elles-mêmes et à se faire du mal. Des études montrent que le comportement des femmes autistes, perçu comme passif, débouche sur des violences sexuelles dans un nombre de cas significatif” Magali nous explique.  “Si une femme ne sait pas qu’elle est autiste, elle ne connait pas forcément bien son fonctionnement, elle pense qu’elle est comme tout le monde, et ça joue sur la compréhension des limites de ce qui acceptable ou non. Quand j’étais jeune je faisais tout ce qu’on me demandait de faire et je me trouvais souvent dans des situations délicates où j’avais mal compris l’implicite. C’était souvent dégradant pour moi. Si j’avais eu conscience de mon autisme, et qu’on m’avait expliqué plus clairement comment maintenir les limites acceptables, avec une éducation sur le consentement par exemple, ça aurait été différent. Ainsi, on tomberait moins facilement dans un cercle vicieux de vulnérabilité où l’on a davantage de risques de se faire abuser. Malheureusement, beaucoup d’entre nous se sentent seules, avec une faible estime de soi à cause de ces dangers.”.

Muriel a complété : “Oui, beaucoup de choses s’apprennent. Si le diagnostic est posé, la personne peut accéder aux soins, par exemple bénéficier des séances de psychoéducation. Apprendre à dire non, ça ne doit pas forcément être réservé aux jeunes filles autistes, mais c’est une chose avec laquelle toutes les filles ont généralement plus de mal que les garçons. Mais le fait d’être une femme autiste peut amplifier cette difficulté. Si on enseignait le consentement à toutes les filles, ça aiderait tout le monde et encore plus les femmes autistes – une telle initiative serait utile et inclusive pour tout le monde, autiste ou non”.

Féminisme intersectionnel et médecine

Il est important de considérer une femme dans sa globalité : elle peut être victime de sexisme, mais nous devons être conscients qu’il s’agit d’une des nombreuses discriminations auxquelles elle peut être confrontée en fonction de son identité au sens large (par exemple, son âge, son origine ethnique, sa classe sociale, ses croyances religieuses, etc.). Par exemple, une femme maghrébine ou noire, ne va pas forcément avoir la même expérience dans sa prise en charge médicale qu’une femme blanche. L’existence du syndrome méditerranéen en est la preuve. C’est pour cette raison qu’une approche intersectionnelle est essentielle pour garantir que le repérage de troubles du neuro-développement et les soins par la suite sont bien adaptés aux besoins de chaque individu.

Que veut dire « une approche intersectionnelle » ? L’intersectionnalité est une notion qui a été forgée par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980 dans la foulée du Black feminism. C’est l’idée qu’une personne peut subir différentes formes de discrimination (ou bénéficier de privilèges) en fonction de différentes composantes de son identité. Il peut s’agir de l’âge, du sexe, d’un handicap, de l’origine ethnique, etc.

“On en revient à la question : qui fabrique les savoirs ? La médecine occidentale est une médecine blanche. Il ne faut pas oublier de questionner les codes culturels incorporés dans ces savoirs” dit Muriel.

“Cela joue forcément sur nos représentations des troubles. Dans notre imaginaire collectif la représentation standard d’une personne autiste est un garçon blanc et celle-ci est tellement ancrée. Les filles noires autistes rentrent moins facilement dans notre compréhension de ce trouble, néanmoins elles existent !” dit Magali.

L’étiquette d’autisme au féminin est-elle pertinente ?

Muriel nous dit “qu’il serait problématique de poser l’étiquette d’autisme au féminin car ça renforce encore plus les stéréotypes. L’idéal serait de poser un diagnostic à un niveau individuel ; et de former autrement les professionnels de santé pour qu’ils entendent que le fait d’être un homme ou une femme c’est une particularité, parmi d’autres, et de faire la différence entre le sexe et le genre. Le sexe c’est la différence biologique. Le genre est en lien avec le social et la culture, donc beaucoup de variabilité selon l’âge, le milieu social, l’origine ethnique, culturelle, etc. C’est un peu contradictoire avec la façon dont on pratique la médecine : les diagnostics et les classifications ont tendance à lisser nos particularités”.

Magali poursuit en nous disant que “Les représentations des soignants concernant le genre peuvent être handicapantes et stigmatisantes, comme beaucoup de personnes autistes ne se considèrent pas en premier comme des hommes et des femmes, mais plutôt comme des êtres humains ou même des êtres vivants. Le distinction homme/ femme n’est pas si tranchée. Les limites entre transgenre et garçon manqué sont peu claires. C’est pour ces raisons que nous ne pouvons pas nous permettre d’introduire une étiquette telle que l’autisme au féminin.”

Comment faire avancer les droits des femmes autistes ?

deux femmes qui manifestent“Je dis souvent à mes étudiants “on répond seulement aux questions qu’on pose.” Constater une différence de prévalence, c’est factuel. Se pose la question “comment ça s’explique » ? Pour quelles raisons il y a une femme autiste pour 4/ 5 hommes autistes ? Aller chercher ailleurs que les faits biologiques, les taux de testostérone etc., aller chercher le côté genre pour mieux comprendre les enjeux. Croiser les regards de la médecine et des sciences sociales, comme ça nous aurons une vision plus globale.” prône Muriel.

Magali conclut, “On est malade dans un contexte très multifactoriel. C’est l’environnement qui pose le cadre, qui peut être une ressource ou un handicap.”, c’est donc primordial de comprendre le contexte de chacune pour pouvoir bien répondre à ses besoins.

 

Ressources :

Diagnostic

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À l’occasion de notre premier webinaire, Marine Dubreucq et Adeline Lacroix nous parle de parentalité quand on est une personne autiste.

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28/06/2022, par Jennifer Beneyton

"Un tiers de nos patients en addictologie présentent un TDA/H"

Le Dr Lucie Pennel travaille au sein d’un CSAPA, un Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie, qui est rattaché au Service Universitaire de Pharmaco-Addictologie du CHU Grenoble Alpes. Avec le Professeur Dematteis, chef de service, ils ont développé un service d’Addictologie qui ne compte aucun lit d’hospitalisation. C’est pourtant un centre de dernier recours où sont orientés les usagers et les patients en situation complexe. Au fil du temps, ils sont montés en expertise sur le diagnostic du TDAH afin de mieux prendre en charge leurs patients. En effet, environ un tiers présente soit un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), soit un Trouble du Spectre Autistique (TSA), voire les deux.

Quels types d’addiction traitez-vous dans votre CSAPA ?

Jusqu’à récemment, les structures se spécialisaient en fonction d’un produit ou d’un comportement. Ces dernières années, un véritable virage a été réalisé en addictologie. Les directives nationales ont soutenu le développement de CSAPA généralistes et les stratégies thérapeutiques ne sont plus uniquement déterminées par le type de produit consommé, mais par l’usage que les patients en font c’est à dire leur mode de fonctionnement avec le produit (comportement, émotions, relations…).

D’ailleurs en addictologie, la poly-addiction est aujourd’hui la règle : les patients consomment plusieurs produits ou pratiquent différents comportements addictifs de façon simultanée ou au fil du temps. Auparavant, lorsque les patients venaient pour un problème d’opiacés dans un centre spécialisé, le traitement était centré sur l’arrêt du produit et un traitement de substitution était initié. Si le patient transférait vers l’alcool ou d’autres produits et/ou comportements, il était orienté vers les spécialistes du domaine. Aujourd’hui, les stratégies thérapeutiques sont globales, intégratives et personnalisées. Les addictologues savent que les différentes conduites addictives sont l’expression d’une même pathologie. Ils ne visent pas seulement l’arrêt d’un produit ou d’un comportement, mais aident le patient à comprendre à quoi leur sert le produit, pour leur permettre de réapprendre à vivre sans, dans un objectif d’amélioration globale de leur qualité de vie.

D’autre part, on sait aujourd’hui qu’un patient ne se dirige jamais vers un produit ou un comportement par hasard et si on ne comprend pas comment il l’utilise, c’est-à-dire quelles sont ses motivations à consommer ou à pratiquer un comportement addictif, il est très difficile de l’aider. Tout le monde met en place des stratégies d’autorégulation avec certains produits d’appétence : on va manger du chocolat quand on est un peu fatigué ou car c’est notre petit plaisir ou notre pause dans la journée, on va faire un peu plus de sport parce que l’on se sent plus stressé, on va boire un verre de vin à la fin de la journée ou de la semaine pour se détendre et « souffler » etc… L’addiction commence par être une stratégie d’autorégulation en réponse à différentes contraintes, puis au fur et à mesure cette stratégie va s’automatiser et l’usager va en perdre progressivement le contrôle sous l’influence de différents facteurs (personnels, environnementaux, accessibilité des produits, …).

S’intéresser uniquement aux produits, et non à l’usager et à son mode de fonctionnement, ne permet pas de mettre en place une démarche thérapeutique efficace à long terme. Par exemple certains patients vont utiliser la cocaïne pour s’apaiser et d’autres pour se stimuler. Certains prennent de l’alcool pour se donner du courage le matin avant de partir au travail, d’autres en prendront le soir pour gérer les tensions ou conflits familiaux ou au contraire la solitude. Même si certains aspects sont communs, les stratégies thérapeutiques à proposer ne seront pas les mêmes. Il est primordial d’analyser de façon personnalisée la dynamique fonctionnelle du patient, en interaction avec son environnement. C’est la raison pour laquelle nous travaillons exclusivement en ambulatoire et nous considérons tous les types d’addiction avec et sans produit. Il est plus facile d’arrêter les produits lorsque l’on se retrouve dans un environnement protégé, sécurisé avec une équipe qui gère les symptômes de manque physique. Tous les patients qui ont réalisé plusieurs sevrages institutionnels vous diront que la difficulté n’est pas d’arrêter les produits, mais dès la sortie ou quelques semaines après, de ne pas les reprendre…

Les prises en charge en ambulatoire durent plus ou moins longtemps que des prises en charge en hospitalisation ?

La question est : veut-on traiter la dépendance ou l’addiction ? Lorsque l’on hospitalise un patient, on traite la dépendance physique au produit. C’est rapide et assez simple. Alors que traiter l’addiction, c’est-à-dire la dépendance psychique, c’est beaucoup plus compliqué et long. Les patients qui ressortent d’hospitalisation ne sont plus dépendants physiquement. Par contre, ils ne savent toujours pas fonctionner sans le produit ou le comportement. Si parallèlement à la baisse des produits ou comportements addictifs, on ne travaille pas une montée en compétence sur les stratégies d’adaptation qui permettent au patient de ne plus avoir recours au produit, le patient va revenir à ses stratégies initiales, celles qu’il a apprises souvent assez tôt et qui ont été ensuite répétées pendant un certain temps. L’addiction est un comportement appris sous l’influence de différents conditionnements, qui s’est ensuite totalement automatisé, et où un produit ou un comportement est utilisé pour s’adapter à des contraintes individuelles et/ou environnementales.

Cette démarche thérapeutique ambulatoire nous oblige à nous centrer sur les objectifs du patient. Le rendre acteur de son parcours thérapeutique est incontournable dans cette situation où il a perdu le contrôle. Même si notre formation professionnelle nous pousse à considérer que la meilleure solution serait de tout arrêter rapidement, pour des raisons parfois vitales, nous posons systématiquement la question au patient :  quel serait pour vous un objectif acceptable et réalisable ? Pour vous donner une idée, nous avions une patiente qui prenait 120 comprimés de Xanax par jour. Elle disait être dans l’incapacité de diminuer ne serait-ce que d’un comprimé par jour sa consommation. Elle a donc choisi de baisser d’un demi comprimé, (de 120 à 119,5). Même si pour un professionnel, la quantité, et donc le risque, est quasiment le même, pour elle c’était déjà un grand pas. Cela lui a permis de commencer à participer activement à son rétablissement. Les diminutions se sont faites à son rythme et nous avons pu commencer à travailler progressivement avec elle les outils de régulation émotionnelle et relationnelle. Donc pour vous répondre, une prise en charge en ambulatoire est forcément plus longue parce qu’il faut du temps pour redévelopper les ressources qui permettent au patient de fonctionner sans qu’il ait besoin du produit.

Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas recours à des hospitalisations. Certains patients ont besoin de bénéficier d’un temps d’hospitalisation, c’est un outil thérapeutique parmi d’autres qu’il faut pouvoir proposer. L’objectif n’est d’ailleurs pas forcément le sevrage, il est parfois nécessaire de pouvoir protéger un patient de lui-même ou des autres, ou d’aménager un temps de pause. Il est parfois aussi nécessaire de permettre au patient de se rendre compte que le problème ne sera pas réglé en supprimant le produit, mais bien en lui permettant d’apprendre à s’en passer et en l’aidant à se mobiliser différemment. Donc finalement, pour nous, toutes les stratégies thérapeutiques sont des expériences qui peuvent être utiles lorsqu’on les met à profit pour faire évoluer le patient.

Comment déterminer la limite entre l’usage non problématique d’une substance et le trouble de l’usage, c’est-à-dire l’addiction ?

Il y a effectivement un continuum entre l’usage non problématique et le trouble de l’usage. Nous avons tous des comportements et des produits d’appétence qui nous aident à fonctionner dans notre quotidien. Qu’est-ce qui peut nous faire basculer ? La pathologie addictive se met en place lorsque le produit est consommé dans un contexte où les contraintes environnementales et individuelles augmentent, et que les individus cherchent des stratégies d’adaptation pour supporter certaines situations. La conduite addictive va se répéter et devenir progressivement un automatisme dont l’usager va perdre le contrôle. Il va alors poursuivre ses consommations malgré les conséquences. La conduite addictive s’accompagne alors d’une altération de son fonctionnement global et entraîne une souffrance significative. Il n’y a pas d’addiction sans souffrance.

Sur le plan clinique, le DSM5 caractérise la pathologie addictive, c’est-à-dire le trouble de l’usage, selon 11 critères comportementaux : de 2 à 3, le trouble de l’usage est léger, de 4 à 5 il est modéré, à partir de 6, il est sévère.

Mais plus simplement, la pathologie addictive peut se résumer en 4 C :

  • la perte de Contrôle,
  • la consommation Compulsive (pour éviter un malaise, une tension émotionnelle)
  • la poursuite malgré les Conséquences
  • le Craving qui est le critère qui signe la problématique addictive, c’est « l’obsession psychique ». Penser à un produit ou un comportement de façon envahissante est d’ailleurs un facteur prédictif de rechute. Typiquement la pensée prédit le comportement c’est à dire le passage à l’acte.

Lorsqu’il existe un trouble de l’usage, cela signifie que le sujet a perdu le contrôle vis-à-vis de ses consommations, et qu’il continue malgré les conséquences. Au niveau neurobiologique, on sait qu’il y a une déconnexion entre les systèmes de régulation émotionnelle et le système préfrontal de contrôle, avec la mise en place de routines comportementales très fortes. Les patients sont en pilotage automatique. Ils ne savent plus pourquoi ils consomment, ils ne sont plus en mesure de percevoir leurs difficultés et sont souvent déconnectés de leurs émotions. C’est souvent dans cette situation que les patients sont capables de nous dire que tout va bien alors que qu’ils ont perdu leur travail, leur permis de conduire, leur famille, voire qu’ils vivent dans la rue, etc… Pourtant ils continuent à consommer car l’addiction est devenue une stratégie de survie, après avoir été une stratégie d’adaptation aux difficultés individuelles et/ou environnementales. Il s’installe alors un sentiment d’impuissance, de honte et de culpabilité chez les patients qui n’arrivent plus à sortir de leur fonctionnement addictif qui s’est totalement automatisé et sur lequel ils n’arrivent plus à agir. Les soignants doivent alors avoir une lecture particulière de la pathologie, et initier un travail de renforcement de la confiance et de l’estime de soi pour permettre aux patients de retrouver un certain pouvoir d’action sur leur comportement et leur fonctionnement. On parle beaucoup d’empowerment en réhabilitation psychosociale pour les pathologies psychiatriques. En addictologie, cette notion est centrale pour orienter le parcours de soins.

Mais bien en amont de cette perte de contrôle, la prévention est majeure car l’augmentation progressive des consommations est un facteur de risque de développement d’une addiction. La prévention passe d’abord par une meilleure connaissance des seuils à risque, afin que tous les usagers apprennent à se protéger vis-à-vis des conséquences et puissent s’autodéterminer, avant qu’il ne soit trop tard. Pour l’alcool qui est le 2ème produit le plus consommé en France quotidiennement, les seuils de consommation à risque sont bien connus : « Pas plus de 10 verres par semaine c’est à dire pas plus de deux verres par jour et pas tous les jours » est un des éléments de psychoéducation indispensable à transmettre aux usagers et à nos patients. Et savoir qu’au-delà, la courbe de risque médico-psycho-social est malheureusement exponentielle.

Quand avez-vous commencé à faire le lien entre addictologie et TDAH ?

Nous avons commencé à réaliser nos premiers diagnostics structurés il y a une dizaine d’années. Notre premier patient adulte avait un long passé d’hospitalisations en psychiatrie : à l’époque il avait été diagnostiqué comme ayant un trouble bipolaire « résistant ». A son arrivée dans notre service, nous avions été étonnés par son usage des produits et médicaments : il prenait la cocaïne pour s’apaiser le soir et la codéine pour se stimuler le matin. Finalement différents éléments nous ont amenés à réaliser un bilan plus spécifique : difficultés à tenir en place durant les entretiens, long passé de régulation émotionnel par le sport à haut niveau, forte impulsivité, nombreux accidents avec conséquences ostéoarticulaires, démarrage des prises de médicaments et produits illicites suite à un accident sportif dans sa jeunesse qui l’avait contraint à l’arrêt de son activité physique… Nous avions reçu sa famille à l’époque. C’est à cette occasion que sa femme a pu nous décrire des comportements assez typiques du fonctionnement hyperactif avec déficit de l’attention, mais considérés comme habituels car totalement intégrés à la vie quotidienne familiale : il ne mangeait jamais à table, se levait en permanence, il ne pouvait pas rester au téléphone plus de cinq minutes même avec sa femme, parlait fort, était dispersé, présentait un parcours professionnel très chaotique… Ce patient était considéré comme résistant aux thymorégulateurs et peu sensibles aux neuroleptiques sédatifs malgré des dosages assez élevés. Nous avons fait passer la DIVA qui est revenue extrêmement positive et nous avons débuté la Ritaline LP parallèlement à l’arrêt des thymorégulateurs et neuroleptiques sédatifs. La transformation a été spectaculaire.

Cette première expérience a ouvert la voie. Aujourd’hui, le dépistage est étendu aux patients dont l’hyperactivité n’est pas au premier plan, voire absente, mais dont le déficit attentionnel entraine des conséquences majeures sur le fonctionnement global. Récemment nous avons identifié des patients TDA/H qui se présentaient avec une hypersomnie étiquetée « idiopathique » par les spécialistes du sommeil, mais dont le fonctionnement durant les heures de veille était typique des patients ayant un déficit attentionnel, associé ou non à une hyperactivité. Certains de ces patients étaient insérés, avec un haut niveau d’étude, mais nous expliquaient revenir épuisés de leur journée et s’effondrer de sommeil en début de soirée. Les liens entre sommeil et TDA/H sont complexes, mais constants, et nécessitent une analyse dimensionnelle personnalisée et évolutive. Le sommeil comme les dimensions fondamentales de fonctionnement de nos patients sont d’ailleurs à analyser et stabiliser en priorité. Si les rythmes de vie ou certaines dimensions majeures comme l’anxiété, le sommeil ou les douleurs, ne sont pas stabilisés, le traitement par Ritaline ne permettra pas au patient de se rétablir. Notre expérience clinique nous a montré à quel point il est majeur de respecter un certain timing dans le parcours de soins des patients, au risque de conclure à l’inefficacité d’un traitement simplement parce qu’il est proposé à un moment inopportun.

Cette lecture dimensionnelle et surtout fonctionnelle en addictologie nous permet aujourd’hui de dépister et caractériser le TDA/H chez des patients qui arrivent dans le service pour des pathologies variées. Par exemple une patiente dont le diagnostic de fibromyalgie avait été posé à l’âge de 12 ans. Elle nous expliquait s’être contrainte dès son plus jeune âge à rester immobile par différentes stratégies notamment de contractions musculaires, pour ne pas éveiller le mécontentement et la colère de ses parents qui pouvaient être extrêmement maltraitants. Malheureusement sa symptomatologie hyperalgique a donné lieu à des prescriptions d’opioïdes vis-à-vis desquels elle a développé des conduites addictives, raison pour laquelle elle est arrivée dans notre service 15 ans après les premières prescriptions. Ce qui a attiré notre attention, c’est qu’elle a fait de brillantes études en nous expliquant ne jamais avoir pu ouvrir un livre, se décrivant comme « incapable » de lire une page et encore moins d’en retenir le contenu. Encore une fois, la DIVA est revenue extrêmement positive. Son parcours de soins pluridisciplinaires lui a ensuite permis de restaurer ses rythmes de vie, de se réinvestir dans des activités physiques, de travailler sur son passé psychotraumatique, et redévelopper sa confiance en elle ainsi que des stratégies d’affirmation de soi et de communication. Ce n’est qu’en dernier lieu que la Ritaline LP a été prescrite et lui a permis d’optimiser ses ressources et développer un projet professionnel qui lui tenait particulièrement à cœur, et tout cela sans douleurs.

Observez-vous d’autres troubles du neurodéveloppement parmi vos patients ?

Actuellement, nous avons identifié quasiment 30% de TDA/H dans notre file active. Et aujourd’hui, nous identifions de plus en plus de patients présentant des troubles du spectre autistique. C’est un diagnostic qui nécessite de l’expérience et nous souhaitons nous former pour pouvoir mieux comprendre le fonctionnement de ces patients, leurs difficultés et leurs besoins. Comme toujours, « on trouve ce que l’on cherche », et plus nous serons formés et plus nous pourrons les identifier et surtout les aider dans leur parcours de soins. Car les dimensions fonctionnelles à travailler peuvent être les mêmes entre deux patients, mais nécessiter des outils thérapeutiques différents : l’anxiété chez un patient « neurotypique » ne survient pas pour les mêmes raisons que pour un patient ayant un TDA/H, un TSA ou pour un patient à haut potentiel intellectuel. Et une stratégie thérapeutique n’est pertinente à long terme que lorsqu’elle est fonctionnelle. Sur ce point, nous nous sommes beaucoup inspirés des parcours thérapeutiques développés en réhabilitation psychosociale par le Dr Giraud Baro et le Dr Julien Dubreucq : le patient est le principal acteur de son parcours de soins, il oriente les objectifs thérapeutiques en fonction de ses besoins, nous guide vers les ressources sur lesquelles s’appuyer pour l’aider à évoluer et les dimensions fonctionnelles à travailler pour restaurer son autonomie et sa qualité de vie.

RESSOURCES:

09/03/22, par Jennifer Beneyton

Comment le Méthylphénidate a changé ma vie

Après des années d’errance à ne pas comprendre l’origine de ses nombreuses difficultés et une vie en pointillé, Lucile, accompagnée de son neurologue, met le doigt sur son trouble de déficit de l’attention (TDAH). S’en suit une révolution sans précédent grâce à la prise d’un traitement médicamenteux qui lui permet aujourd’hui d’apprécier sa vie à tous les niveaux.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Lucile Hertzog: J’ai eu un parcours scolaire assez hétérogène avec des échecs, mais aussi de grandes réussites. De manière générale, quand il y a du sens et de la motivation, je peux déplacer des montagnes. Enfin, j’ai fini mes études par deux années de master en architecture de l’information pour me préparer à une carrière dans l’UX design. Mon entrée dans la vie active a été très compliquée. J’avais des problèmes d’intégration et beaucoup de mal à effectuer le travail demandé du fait de mon manque de motivation ce qui me plongeait dans des épisodes de dépression fréquents. Pour remédier à cela je suis allée consulter une psychologue. Elle m’a fait faire un bilan pré-diagnostic et m’a ensuite orientée vers le TS2A qui a confirmé le diagnostic de TSA en quelques mois.

Comme la question de l’insertion professionnelle était centrale pour moi, j’ai intégré des ateliers d’accompagnement professionnel qui m’ont aidé dans une certaine mesure, mais mon bilan neuropsychologique avait révélé un possible TDAH et j’ai souhaité explorer cette piste. C’est finalement ma rencontre avec un neurologue spécialisé dans le TDAH qui m’a réellement permis d’avancer. Le diagnostic TDAH a été posé rapidement.

Qu’est-ce que le diagnostic a changé dans votre vie ?

LH: Le diagnostic m’a permis d’avoir un traitement médicamenteux, ce qui fut une véritable révolution pour moi. Je peux travailler dans de bonnes conditions, on m’a confié d’autres missions qui nécessitent un effort cognitif dont je suis aujourd’hui capable. Je travaille le matin. Avant, je passais mes après-midis à dormir tellement j’étais vidée. Aujourd’hui, j’ai développé mon activité d’auto-entrepreneuse : je fais des sites internet dans le domaine de la santé et de la culture. Je peux désormais engager des projets, alors que pendant très longtemps, je restais prostrée, comme paralysée. Je suis les conversations beaucoup plus aisément, je n’ai plus de problème de mémoire immédiate, j’avais tendance à rentrer dans les murs et les portes et à faire tomber des objets, ce n’est plus du tout le cas ! Les relations sociales restent toujours un peu compliquées mais cela s’améliore. J’étais très envahie par les bruits, je ne sortais jamais sans mon casque anti-bruit, maintenant, c’est davantage un accessoire de confort que j’utilise de temps à autre. J’ai aussi réalisé que mes troubles de l’apprentissage étaient liés à mon TDAH, je pensais être dyscalculique mais mon traitement me permet de faire du calcul mental. Cela a dépassé mes attentes.

Est-ce contraignant de devoir prendre ce traitement ?

LH: Évidemment, ce n’est pas anodin de prendre un traitement tous les jours, mais ma vie est tellement plus épanouissante et agréable, pour moi comme pour mon entourage, que je ne le vis pas du tout comme une contrainte. Je prends mon traitement une fois le matin et puis je n’y pense plus. Je suis encore en phase d’apprivoisement de la gestion de cette molécule de Méthylphénidate. J’observe beaucoup de variations de ces effets en fonction de mon planning, je gère au jour le jour. Il faut être bien accompagné par son médecin. On commence par de petites doses et on voit ce qu’il se passe jusqu’à obtenir le grammage optimal. Il faut aussi respecter une certaine chronologie dans les traitements, par exemple, il est primordial de traiter les troubles anxieux et dépressifs avant d’introduire le Méthylphénidate sous peine d’accroître les autres troubles.

Même si ce traitement doit être proposé en première intention chez l’adulte, vous avez observé des résistances…

Oui, malheureusement, il subsiste encore une grande méconnaissance du TDAH chez l’adulte ce qui occasionne parfois des moments assez humiliants dans les pharmacies, notamment. « Vous êtes sûre que vous prenez ça ? Pourtant vous êtes adulte ! ». J’ai eu parfois à faire à des personnes qui me culpabilisaient, qui me questionnaient pendant de longues minutes, façon interrogatoire, qui mettaient un temps fou à me fournir mes médicaments, comme si je n’étais pas légitime, alors que je suis pourtant dans mon bon droit. Aujourd’hui, je ne fréquente que ma pharmacie qui me connaît bien et je n’ai plus aucun problème, mais je comprends que certaines personnes puissent être intimidées par tout ça. Face à ce manque de connaissance sur le TDAH adulte, j’ai eu envie d’organiser et de mettre à profit les connaissances que j’ai acquises tout au long de mon parcours et c’est ainsi que j’ai créé un site internet.

Votre site est d’ailleurs très informatif, clair et complet, bravo !

Il est en ligne depuis septembre 2021. J’ai beaucoup travaillé dessus pendant la crise du COVID car mon employeur m’avait mise en chômage partiel ce qui m’a laissé du temps. J’avais moi-même trouvé des bribes d’informations çà et là. Mon souhait était donc de rassembler les données, mais aussi de faire un effort de clarté pour que la lecture convienne aux personnes comme moi. Cela s’est révélé être un outil de psychoéducation très utile pour mon entourage et a servi de base aux discussions liées à mon TDAH, ce qui fait que ce n’est pas du tout un tabou dans ma famille, on en parle tout à fait librement. Il y a une partie informative et descriptive sur le TDAH, le traitement etc… mais j’ai aussi une rubrique actualité pour laquelle j’écris des articles de fond sur des sujets qui me tiennent à cœur comme par exemple récemment les personnes haut potentiel intellectuel (HPI) qui sont parfois assimilés à tort à certains troubles du neuro-développement (cf ressources). Chacun de mes articles est sourcé et relu par des professionnels du domaine.

Des projets à venir ?

J’espère continuer à alimenter ce site qui me tient à cœur. J’ai également plusieurs projets sur la thématique du TDAH, que je vous invite à découvrir prochainement sur mon site…

Quelques données récentes sur le diagnostic des adultes TDAH

Ressources :

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07/02/22, par Jennifer Beneyton

Enjeux du diagnostic TSA à l'âge adulte

Le Dr Elodie Zante a rejoint le pôle HU-ADIS du Centre Hospitalier le Vinatier en novembre 2021 en tant que cheffe de clinique. Elle a fait sa thèse de médecine sur le vécu et les enjeux du diagnostic de trouble du spectre de l’autisme chez l’adulte et partage avec nous quelques éléments de réflexion issus de son travail.

Pourquoi parle-t-on si peu des adultes autistes ?

Les premières descriptions cliniques d’autisme ont été faites à partir d’observation d’enfants par les psychiatres Léo Kanner et Hans Asperger à partir de 1943. L’autisme a très longtemps été considéré comme un trouble rare touchant des enfants, souvent associé à une déficience intellectuelle. Depuis une cinquantaine d’année, ce diagnostic a évolué pour prendre la forme d’un spectre beaucoup plus large touchant également des adultes et des personnes sans déficience intellectuelle.

L’avancée des connaissances et des recherches cliniques a permis l’émergence de l’approche dimensionnelle actuelle (DSM 5, 2013) où sont apparus des faisceaux de symptômes autistiques définissants des traits qualifiés d’autistiques. Cette évolution a considérablement augmenté la sensibilité des cliniciens au fonctionnement autistique et donc la prévalence de l’autisme.

La France a accumulé un gros retard dans le repérage des enfants porteurs de troubles du spectre de l’autisme (TSA), retard qui est aujourd’hui en train d’être rattrapé grâce aux efforts de la Stratégie Nationale, mais des générations entières de personnes avec TSA n’ont pas été diagnostiquées dans l’enfance. Ces enfants n’ont pas disparu, ils sont devenus des adultes plus ou moins bien intégrés dans notre société.

Il n’y a pas de statistiques claires, mais on estime qu’il y a environ 700 000 personnes TSA en France dont 600 000 personnes de plus de 20 ans et seulement 75 000 personnes diagnostiqués (Statistique issue d’un rapport de la Cour des Comptes, 2017). Le diagnostic d’autisme puis de TSA a longtemps été l’affaire quasi exclusive de pédosychiatres sur-spécialisés. Bien que l’accès au diagnostic de TSA à l’âge adulte s’améliore constamment, il reste encore beaucoup de chemin à faire afin de permettre un dépistage à grande échelle puis un diagnostic dans cette population adulte. Désormais, former les médecins d’aujourd’hui et de demain au dépistage et au diagnostic des troubles du neurodéveloppement (TND) à tous les âges est devenu notre priorité afin de pouvoir accompagner les personnes qui en auraient besoin avec des prises en charges adaptées.

Pourquoi est-ce si difficile d’avoir accès à un diagnostic TSA à l’âge adulte aujourd’hui ?

Je vois plusieurs raisons à cela. D’une part la France est restée très (trop) longtemps ancrée dans une tradition psychanalytique forte qui pensait que l’autisme était le résultat d’un dysfonctionnement de la relation mère-enfant. Aujourd’hui, bien que ces théories aient été discréditées par l’avancée des connaissances scientifiques, il persiste de fausses croyances dans l’imaginaire collectif, y compris parmi certains professionnels de santé.

D’autre part, les Centres Ressources Autisme (CRA) ont beaucoup aidé au début car ils étaient des centres d’information, de coordination et de diagnostic bien identifiés par les professionnels et les familles. Mais, avec le temps, les professionnels ne se sont pas emparés de la question, considérant que c’était l’apanage des CRA. On constate aussi un manque d’investissement de la part de la psychiatrie : les troubles du neuro-développement restent un champ encore relativement peu investi en France contrairement à l’Amérique du Nord. À noter qu’en France, une scission historique entre la neurologie et la psychiatrie qui jusqu’en 1968 formaient la neuropsychiatrie, a probablement impacté négativement l’exploration conjointe des TND qui sont situés à leur frontière.

Enfin, il existe encore de grandes inégalités territoriales dans l’accès au diagnostic. La pénurie de psychiatres, associée au manque de professionnels formés aux TND, rend l’accès à un bilan diagnostic de proximité compliqué, aussi bien en libéral que dans des CMPs. De plus en plus de psychologues libéraux se forment et permettent ainsi de faciliter l’accès à un bilan pré-diagnostic mais ceux-ci ne sont actuellement pas pris en charge par la sécurité sociale et leur coût constitue une source majeure d’inégalité d’accès. C’est d’autant plus discriminant qu’il persiste un écart important entre les moyens qui sont disponibles dans le secteur public et les demandes, avec entre autres, des listes d’attente importantes pouvant retarder le diagnostic puis la prise en charge de plusieurs années.

Comment améliorer cela ?

Il faut que les professionnels se forment massivement au dépistage et au diagnostic des TSA. Aujourd’hui, les futurs médecins sont sensibilisés aux TND et les futurs psychiatres ont une formation théorique mais ils sont relativement peu nombreux à faire des stages dans des services spécialisés. Aujourd’hui il est impensable qu’un psychiatre, récemment formé, ne sache pas diagnostiquer une schizophrénie mais pour les TND dont les TSA, cela reste encore relativement fréquent… Pourtant la schizophrénie et les TSA ont des prévalences similaires.

Il est vraiment regrettable que cela ne fasse pas partie des exigences actuelles, d’autant plus quand on connait l’impact d’un diagnostic sur la trajectoire des personnes concernées. Beaucoup de formations continues se développent afin de former les professionnels de santé tel que des DU et DIU et un grand plan de formation des médecins généralistes et pédiatres de 22 millions d’euros vient d’être lancé par la stratégie nationale pour l’autisme au sein des TND.

Comment se passe un diagnostic ?

Le diagnostic est médical c’est-à-dire qu’il doit être établi par un médecin. Lorsque c’est un médecin qui est consulté en premier, il va choisir les outils les plus adaptés pour cette évaluation, en fonction de la complexité du diagnostic et de ses enjeux. Depuis quelques années, de plus en plus de personnes s’orientent directement vers des psychologues libéraux formés afin de faire des bilans pré-diagnostic puis consultent un psychiatre qui conlura la démarche diagnostique. Dans tous les cas, l’exploration diagnostique se divise en 4 parties:

  • L’histoire développementale dont l’objectif est d’obtenir des informations générales sur le fonctionnement de la personne, passé et présent. Cela peut prendre la forme d’un entretien avec les proches qui connaissent la personne depuis l’enfance. Lorsque cela n’est pas possible, il est commun d’avoir recours à des photos et vidéos de famille, du carnet de santé, des bulletins scolaires etc…qui vont permettre de favoriser la récupération des souvenirs et donner des informations au professionnel. Généralement, cet examen est effectué à l’aide de l’ADIR (Autism Diagnostic Interview Revised) qui est un entretien dirigé mettant en avant les signes évocateurs d’autisme dans l’enfance via des questions précises. Cet outil de référence est très précis mais également très long à réaliser. En pratique, c’est parfois impossible à utiliser avec des adultes et n’est pas toujours nécessaire donc beaucoup de professionnels formés posent des questions adaptées de ce questionnaire.
  • Le fonctionnement interne de la personne, qui peuvent faire l’objet de questions précises sur sa compréhension et son ressenti vis-à-vis de son l’environnement physique, sensoriel et social… Parfois, l’individu peut effectuer des tests psychométriques avec une psychologue permettant de mettre en évidence son fonctionnement cognitif global: on utilise un test standardisé appelé WAIS (Wechsler Adult Intelligence Scale), le fameux « test de QI » dont le score global présente un intérêt limité bien qu’il fasse l’objet de nombreux fantasmes populaires… Ce qui nous intéresse c’est de voir la répartition des compétences cognitives de la personnes au travers de différents indices (compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement) qui permettront de mettre en évidence ses points forts et ses points faibles. Des tests de cognitions sociales peuvent également parfois être proposés afin de mieux explorer les différents mécanismes cognitifs impliqués dans la compréhension des interactions sociales.
  • Le comportement adaptatif exploré par exemple avec la VINELAND qui renseigne sur l’autonomie de la personne dans la réalisation des tâches quotidiennes afin de mettre en évidence d’éventuelles difficultés.
  • La recherche des éléments cliniques reste le point central du diagnostic. L’outil de référence pour cela est l’ADOS (Autism Diagnosis Observation Schedule) mais c’est un outil relativement long qui n’est pas réalisé en routine. Les différents signes cliniques recherchés durant une interaction standardisée peuvent être également mis en évidence autrement notamment lors d’entretien avec un psychiatre ou le psychologue formé.

Dans tous les cas, le travail en réseau présente de nombreux avantages, qu’il soit via un bilan pré-diagnostic ou via des bilans paramédicaux prescrits par le médecin. Tout d’abord cela permet d’optimiser le temps médical disponible qui est le facteur le plus limitant à l’accès au diagnostic. L’approche pluridisciplinaire peut s’avérer indispensable pour certains diagnostics complexes et pourra faciliter l’acceptation du diagnostic et le sentiment de légitimité de celui-ci. Les bilans complémentaires ainsi que la communication d’un ou plusieurs comptes rendus peuvent aussi aider à l’acceptation du diagnostic aussi bien par la personne concernée que par ses proches. Enfin la démarche diagnostique se termine par la proposition de consultations post-diagnostic que cela soit pour des prises en charge spécialisées, pour poser des questions en rapport avec le TSA ou pour échanger sur son vécu du diagnostic d’autant plus lorsque le diagnostic est tardif.

Pourquoi est-il important d’avoir un diagnostic ?

Le diagnostic de TSA va impacter la personne à plusieurs niveaux dont les enjeux vont varier selon les situations. D’une part, cela ouvre de nouvelles perspectives à la personne et met fin à l’errance diagnostique subie par la plupart de ces adultes qui est source de souffrance. Beaucoup d’adultes avec un diagnostic tardif rapportent avoir beaucoup souffert de cette différence invisible, source de difficultés souvent incomprises. La plupart du temps c’est un soulagement pour la personne concernée car cela lui permet de se sentir enfin comprise et d’envisager l’avenir autrement, en fonction de ses besoins particuliers.

D’autre part, les personnes avec TSA ont souvent moins recours aux soins de manière générale et sont plus susceptibles d’avoir des comorbidités psychiatriques et des idées suicidaires que la population générale. Le diagnostic avec des professionnels connaissant les TSA et leurs spécificités de fonctionnement pourra faciliter l’orientation de la personne vers des soins adaptés à ses besoins. C’est d’autant plus important que certaines personnes ont développé un évitement des professionnels de santé suite à des expériences vécues comme traumatisantes en lien avec des diagnostics psychiatriques erronés et des traitements inadaptés. Le processus diagnostic est un moment propice à réinstaurer une relation de confiance entre la personne et des soignants pouvant impacter positivement la santé.

Cela permet aussi de relire son histoire personnelle via le prisme du diagnostic et c’est primordial car plus on comprend son histoire, plus on peut se projeter de manière adaptée dans le futur. Savoir c’est pouvoir mieux s’adapter, ce qui permet de réfléchir à comment mobiliser ses compétences afin de compenser ses difficultés.

Par ailleurs, après des années à se sentir seul dans sa différence, le diagnostic donne lieu à un sentiment d’appartenance à une communauté qui a parfois longtemps fait défaut. Se reconnaître dans l’autre, pouvoir échanger ses ressentis et ses astuces, s’entraider, c’est la base d’une meilleure santé mentale et la fin d’un isolement souvent subi. Cela permet aussi à l’entourage de mieux comprendre la personne et son fonctionnement. Les aidants peuvent trouver du soutien via des dispositifs associatifs, des réseaux d’entraides ou des accompagnements spécialisés comme des programmes de psychoéducation spécifiques. Le diagnostic va également permettre à l’entourage d’aider à l’adaptation de la personne concernée avec son environnement physique et social.

Enfin, cela permet aussi d’avoir accès à des avantages sociaux via un dossier MDPH, mais aussi la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), qui peut donner accès à des mesures favorisant l’insertion professionnelle ou le maintien dans l’emploi.

Cela étant dit, le diagnostic n’est pas une fin en soi, il n’est qu’une porte d’entrée vers un après qui peut nécessiter un accompagnement sur mesure, et là aussi, ça avance, mais il y a encore du chemin à parcourir.

Ressources :

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Diagnostiquer les troubles du neuro-développement

Libération et légitimation de ce que je suis.

J’apprends à me respecter (enfin, j’essaie).

Un mieux être. Une meilleure écoute de mes besoins.

Apaisement, calme.

La poésie des expériences : ce sont les mots de personnes neuroatypiques qui ont reçu un diagnostic de trouble du neuro-développement. 

Á la recherche d’un diagnostic

Le processus de recherche d’un diagnostic de troubles du neuro-développement suscite de nombreux sentiments et impacts variés. Pour l’individu et son entourage, il peut transformer la compréhension que l’on a de soi-même. Il peut offrir une source de soulagement qui explique, ou du moins donne un sens, à une façon d’être. Il peut aussi donner accès aux aides et aux accompagnements. Mais avoir une étiquette peut aussi être une source de difficulté et de stigmatisation selon l’environnement et la bienveillance, ou non, des autres. 

Comme on peut le constater, un diagnostic n’est pas simplement un document, mais plutôt un processus complexe souvent chargé d’émotion et de signification.

Au cours des prochains mois, on va se pencher sur les différents aspects de la quête et de la démarche d’une évaluation diagnostique des troubles du neuro-développement, ainsi que sur ce qui se passe par la suite.

Un neuropsychologue assise en face d'une patiente tenant des papiers.

Évaluations diagnostiques pour les adultes

Une évaluation diagnostique prend une forme différente selon le TND que l’on veut évaluer. Différents tests ont été mis au point dans différents pays, dans différentes langues, pour diagnostiquer différents troubles. Dans le cas de l’autisme, cela peut impliquer de remplir un questionnaire sur soi-même et de partager des informations sur votre enfance et les difficultés que vous avez rencontrées.  

La majorité des tests, cependant,  sont conçus pour les enfants, sauf le WAIS-4, L’EFI et  l’échelle de Vineland qui sont adaptés aux adolescents et aux adultes. Cela soulève une question importante : s’assurer que nous disposons de tests efficaces et de professionnels formés pour répondre aux besoins des adultes. 

Pour mettre cela en perspective, les troubles du spectre de l’autisme (TSA) représentent, eux, entre 0,9 % et 1,2 % des naissances, soit environ 7 500 bébés chaque année. Pourtant, la Haute Autorité de santé estime qu’environ 100 000 jeunes de moins de 20 ans et près de 600 000 adultes sont autistes en France.

Où puis-je aller pour un diagnostic ?

Un diagnostic pour un trouble du neuro-développement peut être posé dans des différentes structures, tel que :

  • un service hospitalier (de pédiatrie, de génétique etc) 
  • un centre de ressources autisme
  • un centre de référence des troubles spécifiques du langage et des apprentissages
  • un centre médico-psychologique (CMP)
  • les professionnels de seconde ligne en libéral

Un diagnostic peut être réalisé par un médecin généraliste, un psychologue, un neuropsychologue ou un psychiatre.

L’attente d’un diagnostic

L’un des 5 engagements fondamentaux de la stratégie nationale autisme et troubles du neuro-développement est d’intervenir précocement auprès des enfants présentant des écarts inhabituels de développement. Il s’agit d’améliorer le repérage et de faciliter et accélérer l’accès aux évaluations diagnostiques. 

Sous l’impulsion de la stratégie nationale on voit qu’il y a une augmentation importante dans le repérage des enfants pendant les dernières années, à la suite de différents facteurs tels que la création de nouvelles plateformes de coordination et d’orientation (PCO) et la formation de davantage de professionnels.

Nombre d'enfants repérés et accompagnés. Un diagramme en barres qui montre que 150 enfants ont été repérés en février 2020, 6,800 en Fev 2021 et 11,000 en juin 2021

L’étude d’impact de la stratégie nationale autisme-troubles du neurodéveloppement.

Cependant, actuellement, un nombre important de personnes qui soupçonnent un TND doivent attendre plus d’un an pour être diagnostiqué, comme le montre le graphique ci-dessous. Les temps d’attente ont légèrement augmenté entre 2020 et 2021 pour tous les TNDs, ce qui s’explique en grande partie par la situation sanitaire.

Ces chiffres viennent de la deuxième édition de l’étude d’impact de la stratégie nationale autisme-troubles du neurodéveloppement.

De nombreux adultes cherchent à obtenir un diagnostic à la suite de difficultés qu’ils ont rencontrées. Le fait de devoir attendre longtemps pour obtenir un diagnostic représente donc un autre obstacle indésirable.

Quel est le retour général des personnes concernées sur le processus de diagnostic ?

Nous avons mené une enquête à laquelle ont répondu 100 personnes porteuses de différents troubles du neuro-développement, de l’autisme à la dyslexie, etc. En général, les réactions à un diagnostic sont variées et marquent un événement important dans la vie de nombreuses personnes. 

A la fois un peu « déboussolé » et « soulagé ».

Très souvent, une personne ressentira des émotions à la fois négatives et positives face à un nouveau diagnostic, représentant souvent un arc d’ajustement ou d’acceptation.

“Choc, honte, puis soulagement et alignement”

De nombreuses personnes interrogées ont partagé des sentiments de soulagement, de validation et de réassurance. Une personne a partagé qu’elle a été soulagée car le diagnostic l’a rendue plus sûre d’elle et a enfin pu en parler autour d’elle : elle ne se sentait plus comme une imposteure. 

Une autre a trouvé du réconfort dans le fait de pouvoir formaliser enfin sa différence ,

“J’ai été soulagée de pouvoir mettre un mot sur un point d’interrogation que j’ai eu toute ma vie. En même temps, cela a soulevé d’autres questions et problématiques.”.

Une personne a témoigné, que pour elle son diagnostic représentait un « soulagement de trouver des professionnels qui pouvaient aider. Le diagnostic a été posé à presque 18 ans, après une errance médicale très lourde (diagnostic de schizophrénie, hospitalisations en psychiatrie, tentative de suicide, …)”. 

Par contre, parallèlement, une errance médicale peut aussi révéler de la colère :

“J’ai été suivi durant des années par des psychiatres privés qui ne m’ont jamais donné de diagnostic, qui me donnaient des antidépresseurs qui ne me servaient à rien. J’ai abordé l’autisme à quelques reprises mais visiblement, c’est une piste qui ne semblait pas les intéresser. Et pendant ce temps, ma vie et mon état empirait. J’ai été dépisté en 1h, sans tests, juste un entretien, mon autisme est flagrant. Alors j’étais en colère contre ces psychiatres.”.

…Tandis que d’autres étaient dans le déni, éprouvaient de la honte et du stress. Pour certaines personnes, il s’agit d’un processus difficile de confrontation avec les traumatismes de l’enfance,

épisode dépressif à posteriori, à revisiter mes difficultés d’enfance à la lumière de cette confirmation (et constat combien il aurait été simple de m’expliquer ce que je n’étais pas en mesure de comprendre spontanément)”.

“Beaucoup de regrets sur ce qu’aurait pu être mon existence si on avait su plus tôt. Est-ce que j’aurais été harcelée comme ça à l’école ?Ce sont des questions que je me pose toujours maintenant. J’ai également été désespérée de savoir que mes difficultés ne pourraient pas disparaître… En quelque sorte, je craignais de ne jamais pouvoir être normale, et c’est effectivement le cas. Je le vis un peu mieux maintenant, depuis que j’ai rencontré d’autres autistes, mais il y a encore des jours où je le vis très mal.”.

…et après un diagnostic ?

“D’abord le chaos. Maintenant plus de confiance.”

En lisant ces différents témoignages, nous constatons que la confirmation d’un diagnostic peut être simultanément une étape positive dans la vie d’une personne, tout en soulevant d’autres questions et inquiétudes. 

Ce que nous savons, c’est que l’accompagnement d’une personne nouvellement diagnostiquée dans la compréhension de son diagnostic est extrêmement important. Un professionnel a la responsabilité de s’assurer que la personne concernée part avec une compréhension globale de ce que cela signifie par rapport à son identité, ses forces et ses challenges, le soutien auquel elle peut avoir droit, les questions relatives à la divulgation du diagnostic à son entourage, etc. 

La possibilité d’accéder à un soutien approprié après avoir reçu un diagnostic est également d’une importance capitale. Il peut s’agir d’une étape importante pour appréhender une nouvelle étiquette ou la vivre comme un fardeau. 

“Au début cela m’a confortée dans l’idée que j’étais « bizarre », j’ai fait une dépression qui était déjà latente. Puis, avec le temps et l’accompagnement, cela m’a aidée à m’accepter et à me faire respecter comme je suis.”

La majorité des personnes qui ont participé à notre enquête ont déclaré que le diagnostic leur avait permis de mieux se comprendre ainsi que leur fonctionnement, “Une meilleure acceptation et écoute de moi même et de mes particularités et souffrances.”… “je sais mieux comment je fonctionne, je sais quand je dois me reposer et ce que je dois adapter”. 

Pour beaucoup de personnes cela a aussi permis d’avoir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), la possibilité de soumettre un dossier à la maison départementales des personnes handicapées (MDPH) et débloquer une prise en charge qui leur a permis de mieux gérer leur besoins, leur santé mentale, leur fatigue,  leur vie professionnelle,  leur vie sociale… 

“Juste après le diagnostic (ou plutôt les diagnostics), j’ai été déstabilisée, le temps de « digérer ». Puis impact très positif. Les premiers mois, mes symptômes ont été beaucoup plus visibles pour mes proches. Cela fait plus de 2 ans maintenant et c’est globalement très positif. Je sais désormais ce qui me convient et ce que je dois éviter, en particulier au niveau sensoriel. Je respecte mieux les besoins de mes proches aussi (j’évite de leur parler à longueur de journée de mes centres d’intérêt). Je peux également mieux accompagner mon fils (même si nous n’avons pas toujours les mêmes particularités)”

De nombreuses personnes ont déclaré que la possibilité d’expliquer leurs besoins aux autres, en utilisant une étiquette connue, a amélioré la compréhension et les relations avec leurs proches et leurs collègues. 

“Il m’est désormais plus facile d’être compris et inclus par mes relations sociales et professionnelles, je n’ai plus besoin d’expliquer systématiquement mes besoins ou ma situation de handicap car il suffit d’en parler une fois en début de relation et la personne en face le comprend et l’accepte plus facilement. Cela m’a également permis d’avoir davantage confiance en moi, d’oser poser mes limites pour mieux adapter mon quotidien.”

Malheureusement, il existe aussi des exemples de cas où le fait de révéler un trouble du neuro-développement entraîne un jugement, une discrimination et une stigmatisation. C’est pourquoi nous, les autres centres d’excellence, les associations, les personnes concernées et nous tous collectivement avons toujours du travail à faire en changeant le regard autour des troubles du neuro-développement. Lorsqu’une personne est diagnostiquée, il faut lui rappeler, ainsi qu’à son entourage, qu’il s’agit d’une des nombreuses façons d’être, et que cela apporte une grande valeur et une diversité indispensable à notre société. Chacun a sa place.

21/12/21, par Jennifer Beneyton

De l’importance de la neurodiversité en milieu professionnel : le cas de Renault Trucks Europe

Franck Gillet est responsable RH pour Renault Trucks Europe. En 2019, il a recruté Bakay Fofana, un jeune apprenti autiste pour un contrat d’un an. Il nous raconte avec sincérité sa première réaction, sa collaboration avec Bakay au quotidien, et finalement le bilan très positif de l’expérience.

Pouvez-vous nous raconter comme s’est passé le recrutement de Bakay ?

Franck Gillet: Renault Trucks s’engage depuis des années à faire évoluer ses pratiques vers plus d’inclusion. Cela se matérialise par exemple par un handi’accord que nous faisons en sorte de renouveler tous les 4 ans. Nous sommes d’ailleurs en train de le faire actuellement.

Il se trouve que je cherchais un apprenti pour le service RH. Nous en accueillons régulièrement. Notre référente handi’accord m’a informé de la candidature d’un jeune homme autiste du nom de Bakay. Très honnêtement, ma première réaction a été plutôt tiède à l’époque. Mais en étant RH, je connais aussi la difficulté de trouver des profils qui peuvent convenir. J’ai donc convoqué Bakay pour un entretien, au même titre que les autres candidats et c’est finalement lui que j’ai retenu car c’est lui qui correspondait le mieux au poste. J’avais besoin de quelqu’un qui parle anglais et qui soit compétent dans le traitement de données. Le lieu d’exercice était très calme et isolé, ce qui collait parfaitement avec sa particularité. C’était donc la candidature parfaite pour le poste. On sentait aussi de sa part une réelle motivation pour le poste, ce qui n’est pas le cas de tous les candidats, croyez-moi !

Beaucoup de caractéristiques des personnes autistes peuvent se révéler être de vraies compétences. Comment s’est passé son intégration chez vous ?

FG: Son intégration s’est faite de façon classique, sauf que nous avions un interlocuteur privilégié en plus de l’école : le SESSAD Les passementiers. Grâce aux conseils de Monsieur Allouche et de sa collègue qui avaient soulevé quelques points de vigilance dans la façon de travailler avec des personnes TSA, nous avons particulièrement porté notre attention sur le fait de mettre les consignes par écrit. Cela demande un petit effort de rigueur et de transparence mais ce n’est pas une mauvaise chose finalement. J’ai uniquement informé mon équipe proche du fait que Bakay était autiste, pour les sensibiliser à certains points, en dehors de cela, j’ai normalisé sa présence auprès des collaborateurs plus éloignés.

Comment s’est passé la collaboration avec lui ?

FG: Tout s’est très bien passé ! Comme nos bureaux étaient proches physiquement, cela permettait d’échanger régulièrement. Je veillais à faire des points fréquemment pour savoir où il en était, s’il y avait des points de blocage, s’il fallait que je réexplique…, mais de la même manière que je le fais avec les autres apprentis. Bakay est quelqu’un d’extrêmement réactif, quand je lui demandais quelque chose, c’était toujours fait très rapidement et avec le résultat, pourvu qu’il ait bien compris ce qui était attendu. Il prenait en main les choses, il passait les coups de fil si nécessaire, y compris en anglais puisque c’était une condition pour le poste. Il était volontaire et à l’aise pour le faire.

J’ai calibré les activités de façon progressive pour ne pas qu’il se sente trop débordé au début. Je l’ai fait aussi travailler sur des sujets plus en profondeur, que nous avons abordé par étape et ça a très bien marché aussi.

J’ai aussi écarté certaines activités de ses missions car elles n’étaient pas compatibles avec sa manière d’être. Par exemple, les réunions se sont révélées plus compliquées que prévu. Écouter sans rien faire, c’était difficile pour lui. Il passait la réunion sur son téléphone, au vu et au su de tout le monde. En réunion de service, ça peut passer, mais lorsque nous sommes avec des personnes extérieures, c’est plus délicat. Par la suite, je lui ai proposé de ne plus venir et je lui faisais un résumé des points les plus importants et ça lui convenait mieux.

Cet encadrement un peu plus personnalisé que vous avez mis en place pour Bakay a-t-il été coûteux en temps pour vous ?

FG: Pas tellement plus que pour d’autres apprentis. Nous parlions aussi beaucoup des comportements sociaux et des attitudes à avoir dans le cadre professionnel. Il ne savait pas s’il devait sourire, pas sourire, quoi dire à la machine à café etc… Donc effectivement il a fallu prévoir un peu de temps pour ça, mais c’est aussi le travail d’intégration qu’on doit faire pour tout nouvel arrivant. Certaines personnes n’ont pas les bons codes sociaux non plus, et pourtant elles ne sont pas spécialement porteuses de troubles du neuro-développement.

À côté de ça, j’ai beaucoup apprécié la façon dont il s’est comporté tout au long de sa présence avec nous. Il respectait parfaitement ses horaires, il me prévenait quand il était en retard, ce que ne font pas tous les apprentis. On dit souvent que c’est une question de génération, qu’il faut qu’on s’adapte… Eh bien, pas forcément ! Il a une personnalité très attachante, quand on discutait de sa vie plus personnelle, de sa famille etc… Nous avons tissé des liens comme je les tisserais avec d’autres collègues.

Quel bilan faites-vous de cette expérience ?

FG: Il est positif mais frustrant car nous n’avons pas pu mener l’alternance jusqu’au bout (COVID oblige). J’ai essayé de rester en contact avec lui autant que possible et j’ai assisté à sa soutenance. Il s’en est sorti de façon honorable par rapport aux attendus. Il n’a pas fait plus d’erreur que d’autres étudiants que j’ai pu recevoir.

Vous disiez que votre première réaction avait été plutôt tiède. Est-ce que votre regard a changé maintenant sur les personnes TSA ?

FG: Oui, absolument. Dans mon entourage, je connais des personnes en situation de handicap. Je suis plutôt sensibilisé à cette question, mais je ne m’étais jamais posé la question de leur insertion dans le milieu professionnel. Et je pense que comme beaucoup de gens, j’avais des préjugés qui ont été déjoués. Le regard change. L’intervention du SESSAD a été primordiale car cela a permis d’aider à l’accueil, à ma compréhension du fonctionnement de Bakay et de ses besoins. Nous étions en lien de temps en temps, nous avons fait un bilan de mi-parcours pour parler de son adaptation.

Depuis le passage de Bakay, avez-vous eu l’occasion de recruter d’autres personnes neuro-atypiques ?

FG: Pas à ma connaissance. Mais l’entreprise est grande donc c’est possible. Je suis sûre que parmi nos collaborateurs, il y a des personnes porteuses de troubles du neuro-développement. Dans le cadre de notre handi’accord, nous travaillons beaucoup sur le maintien dans l’emploi. Nous proposons des aménagements de postes de travail pour les personnes déficientes visuelles et auditives. Nous offrons les aménagements nécessaires, des journées pour les rendez-vous médicaux ou les renouvellements RQTH. Nous pouvons aussi prendre en charge l’aménagement des véhicules personnels si nécessaire, etc…. Nous essayons d’instaurer un climat de confiance pour que nos collaborateurs se sentent libres de parler des obstacles qu’ils rencontrent. Nous essayons en retour de les aider à vivre leur emploi le plus normalement possible.

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« Donnez-moi le manuel ! » : les ateliers d’accompagnement professionnel pour les personnes autistes

Jessica et Gaston viennent de lancer un premier cycle d’ateliers d’accompagnement professionnel basé sur les principes de l’éducation populaire, à destination des personnes autistes en situation d’employabilité. Le principe est simple, au terme d’une réflexion collective, chacun repart avec une feuille de route visant à mettre en place les aménagements nécessaires à un meilleur épanouissement sur leurs lieux de travail. Nous en avons profité pour en savoir davantage sur leurs expériences propres, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a encore du travail pour rendre le monde professionnel plus inclusif…

Pouvez-vous vous présenter ?

Jessica : Je m’appelle Jessie, j’arrive sur la quarantaine et depuis 2019 je suis l’administratrice du groupe Facebook Café Adulte Autiste Lyon, un groupe d’entraide pour les personnes autistes. J’organise, entre autres, des rencontres entre les membres du groupe. Depuis que je suis petite, on me dit que je suis bizarre. J’ai occupé divers emplois pendant 16 ans. On me disait que je travaillais bien mais que je n’arrivais pas à m’intégrer. En 2017, j’ai eu un grave accident qui m’a mis sur le chemin du diagnostic pour mon TSA.

Gaston : Je m’appelle Gaston. Je fais des études en sociologie et en psychologie et je suis actuellement en sciences de l’éducation. J’ai été repéré par des amis comme neuroatypique en auto-diagnostic collectif. Je n’ai pas encore fait les démarches pour aller voir un psychiatre. Je suis rentré en contact avec Jessie car nous sommes tous les deux militants et nous sommes rencontrés dans des lieux alternatifs et au cours de manifestations.

Vous venez de lancer des ateliers professionnels pour aider les personnes autistes à accéder au monde du travail et à s’y maintenir. Comment vous est venu l’idée ?

Jessica : Au fil de mes échanges avec les membres du groupe Facebook, j’ai réalisé que la question des conditions de travail était au centre de nombres de conversations. Certes, nous n’avons pas tous les mêmes difficultés, mais nous pouvons nous questionner tous ensemble sur les améliorations à apporter à notre cadre professionnel. Nous avons la RQTH, nous avons des droits, nous pouvons travailler sur la question des aménagements et mettre en avant des outils pour se sentir mieux dans l’entreprise. Il est donc important de connaître les différentes options disponibles et de mobiliser le soutien et les stratégies qui conviennent à chaque personne pour maximiser l’inclusion sur le lieu du travail. J’en ai parlé avec Gaston, qui m’a aidé à poser le cadre de ce projet d’ateliers d’accompagnement professionnel.

Gaston : Je suis animateur en éducation populaire au sein de l’association Lyon à Double Sens. C’est une philosophie qui date d’avant la Révolution française et qu’on peut définir comme l’éducation du peuple, par le peuple, pour le peuple. On prend en compte la parole de chacun au même niveau, peu importe le statut social, professionnel, l’âge, etc… Parmi mes sujets de militantisme et au sein des ateliers que j’anime, la question du travail revient régulièrement : comment on agence sa vie, comment on gère la hiérarchie ou l’horizontalité. La question de l’autonomie est aussi centrale : à quel point on la laisse, à quel point on la prend. Jessie m’a parlé de son idée et elle connaissait mes compétences d’animation, elle m’a donc proposé de m’associer à ce projet.

 

Quel est le principe de ces ateliers ?

Jessica : Nous proposons donc à un groupe d’une dizaine de personnes autistes de se réunir pendant 2h pour mettre en commun les besoins et aménagements nécessaires pour améliorer leur expérience en milieu professionnel. Ce sont plutôt des personnes qui sont en emploi, dont le diagnostic TSA a été établi mais qui n’arrive pas à communiquer efficacement leurs besoins à leur employeur ou parfois qui ne les ont pas bien identifiés. Souvent leurs besoins ne sont pas pris au sérieux car ils ont leurs deux bras, leur deux jambes etc… leur handicap est invisible. À l’issue de cette réflexion commune, chacun repart avec une feuille de route adaptée à son cas. Nous espérons effectuer un suivi à 6 mois afin de voir comment les participants ont pu négocier avec leurs employeurs. Nous avons eu notre dernier atelier le 19 novembre au Vinatier. Pour les prochains, vous pouvez devenir membre du groupe Facebook Café autistes adultes à Lyon.

De gauche à droite: Jessica, Gaston, Aurélia, Christophe et Véronique

Comment qualifieriez-vous vos expériences passées dans le monde professionnel ?

Jessica : Le moins qu’on puisse dire, c’est que cela a toujours été compliqué. Avant d’être diagnostiquée, j’ai travaillé pendant seize ans, mais dans quinze entreprises différentes. Ma plus longue période dans la même entreprise c’est trois ans et demi. Ma dernière expérience s’est mal finie. À la suite de mon accident en 2017, j’ai été en arrêt par intermittence sur une longue période. Il m’était impossible de me concentrer à cause de l’intensité de mes douleurs. Mais comme je ne les manifestais pas de façon visible mes collègues m’ont reproché de simuler. Au bout d’un certain temps, même mon médecin s’y est mis. J’ai dû retourner au travail malgré les douleurs. C’est finalement un responsable d’un autre service qui m’a amenée aux urgences d’un hôpital privé à la suite duquel, j’ai été renvoyée vers un spécialiste dans une autre clinique. Son constat était sans appel : nerfs sectionnés et écrasement des parties molles du pieds. J’ai été finalement arrêtée un an et huit mois en tout pour soin et rééducation alors que personne ne m’avait prise au sérieux.

De toute façon, cela se passait mal. Lors d’une discussion un peu houleuse avec mon responsable de l’époque, il m’a poussé à plusieurs reprises. Après cet évènement, plus personne ne me parlait. Nous avons donc convenu de faire une rupture conventionnelle.

Parmi les collègues que j’ai eus, certains me trouvaient drôle, d’autres ne pouvaient pas me sentir. Les small talks m’ont toujours posé problème. Quand les collègues critiquaient d’autres collègues, ça ne me convenait pas du tout, et je le faisais savoir. Du coup je devenais critiquable. J’ai souvent eu des frictions avec mes responsables qui pensaient que je les prenais de haut alors que pas du tout. Je posais des questions de façon tout à fait naïve mais elles étaient interprétées comme insolentes.

Je me souviens d’une fois où il avait fallu réorganiser l’open space. J’ai demandé à être plus à gauche avec une fenêtre dans le dos car j’avais besoin de luminosité. On m’a mis à l’opposé, dos au couloir, avec des gens qui passaient toute la journée derrière moi et juste à côté de l’espace de pause ce qui fait que j’avais constamment du bruit autour de moi. Lorsque j’étais en communication téléphonique avec des clients, il arrivait souvent que je n’entende pas ce qu’ils me disaient. Je leur demandais donc d’interrompre et de poursuivre par email. Mes collègues m’ont fait remarquer que c’était malpoli. Or, mes clients appréciaient beaucoup mon travail, j’ai toujours eu de bons échos de leurs parts.

Parfois, pendant ma journée de travail, si c’était trop dur, j’allais me réfugier dans les toilettes pour faire un exercice de sophrologie. On m’a déjà reproché d’aller trop souvent aux toilettes. Il y a tellement de choses à dire…

Gaston : J’ai beaucoup moins travaillé que Jessica. J’ai la trentaine, je souffre de dépression chronique. Au sortir de mes études, j’ai été malade pendant longtemps. J’ai eu deux expériences professionnelles qui se sont mal terminées. D’abord, j’ai été technicien propreté dans un centre de vacances. Mes collègues ne comprenaient pas du tout que j’ai besoin de m’isoler après une session de travail collectif. Eux, ils voulaient boire des bières, socialiser.

L’autre point de dissension avec mes collègues c’est que j’ai découvert que j’avais beaucoup de problème avec les conversations phatiques, c’est-à-dire qui ne menaient à rien. Les journées se ressemblaient, on n’avançait pas et ça ne me convenait pas du tout.

L’autre expérience c’était en tant que surveillant dans un collège. J’ai appris que j’étais évalué derrière le store du bureau, à mon insu. Ça m’a mis dans une rage folle. Je me suis senti piégé. J’ai envoyé un email à ma CPE, je ne suis pas revenu. On m’a dit que je ne m’étais pas bien intégré dans l’équipe et que mon attitude vis-à-vis des jeunes n’était pas appropriée. Avec mon expérience d’éducation populaire, j’ai écouté les jeunes d’égal à égal. J’allais dans les classes d’exclusion ou les salles de colle, c’était le seul lieu où j’avais le droit de m’adresser aux jeunes sans passer par les codes qui m’étaient imposés par ma fonction. Et nous avons eu des conversations passionnantes, certains me décrivaient Michel Foucault dans le texte, sauf qu’ils ont 11 ans et qu’ils ne connaissent pas Michel Foucault, mais ils parlent de l’oppression de l’institution et de ce que ça les amène à faire dans leur vie (violence, drogue, fugue etc…). Quand je faisais remonter ça à ma direction, personne n’écoutait.

Actuellement, en dehors de mes activités associatives et militantes, je travaille dans un bar, je fais des extras. Je n’ai pas encore eu besoin de dire que je suis neuroatypique. Je vais le faire car mon contrat doit être pérenniser, mais je sais que dans l’équipe, il y a déjà plusieurs personnes neuroatypiques avec certains aménagements qui ne sont pas suffisants mais qui ont le mérite d’exister. D’autre part, c’est une SCOP donc il n’y a pas d’organisation hiérarchique, on ne peut pas m’imposer d’implicite aussi facilement que dans une entreprise typique.

La hiérarchie impose de l’implicite ?

Gaston : C’est le principe de la culture standard. La culture fonctionne toujours sur des implicites. La culture majoritaire impose les siens. Au-delà des implicites, il s’agit de savoir ce qu’on a le droit de questionner et ce qui est tabou. Avec d’autres adultes neuroatypiques, nous avons ce vécu commun de se dire dès le collège « visiblement, je ne me comporte pas correctement, mais donnez-moi le manuel et je me comporterai correctement ». Ce à quoi on nous rétorquait qu’il n’y avait pas de manuel et que chacun se comportait comme il l’entendait. Mais ce n’est pas vrai. Plus on vieillit, plus on a de l’expérience, on se fait même des « cours » entre neuroatypiques.

Jessica : Au fil de mes entretiens, en observant les recruteurs, je me suis rendue compte qu’ils crispaient certaines zones de leur visage en fonction de ce que je disais. C’est comme ça que j’ai compris qu’il valait mieux passer sous silence certaines choses. Je me suis rendue compte qu’il ne fallait pas que je dise tout, mais comment savoir ce qui est socialement acceptable ? Comment savoir à qui on peut tout dire et à qui on doit omettre certaines informations ?

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Par Raphaele von Koettlitz le 18/11/2021

InDYSpensable - “Recruter et travailler autrement"

“Qu’est-ce qui nous échappe lorsque nous jetons un CV à la poubelle à cause de fautes d’orthographe ?”, demande Laurence Gattini du MEDEF Auvergne Rhône-Alpes, qui coordonne le projet InDYSpensable avec Fabienne Descours Fayolle du Pôle Emploi Auvergne Rhône-Alpes. Laurence Gattini remarque que certains employeurs et recruteurs passent à côté de masses de talents lorsque les décisions d’embauche sont prises sur la base d’une vision normative, limitant le champ des possible et rendant invisible les compétences d’une personne.

Ce projet innovant vise à montrer aux employeurs qu’embaucher des personnes avec des troubles DYS peut être avantageux et révéler des talents souvent exclus du marché du travail.

Quel est le projet ?

Lancé fin mars 2021, InDYSpensable est une expérimentation en Auvergne Rhône-Alpes à multiples facettes dont le but est d’augmenter le nombre de personnes avec des troubles DYS sur le lieu de travail et de faire tomber les préjugés les concernant.

Les personnes ayant des différences au niveau de l’apprentissage, qui représentent d’ailleurs environ 10% de la population générale, peuvent avoir des difficultés avec certains processus, mais peuvent être douées à bien d’autres égards. On peut par exemple citer leur capacité à trouver des solutions, à s’adapter et à rebondir. Elles ont souvent une bonne appréhension de l’espace et démontrent des qualités relationnelles et communicationnelles.

L’objectif d’inDYSpensables est de munir ces personnes d’outils et d’estime de soi nécessaires à leur épanouissement et de montrer aux employeurs quelles sont leurs compétences et non pas leurs difficultés.

“Apprendre autrement, recruter autrement, intégrer en entreprise autrement et maintenir l’emploi autrement. C’est ça le sujet d’InDYSpensable.” explique L Gattini.

Actuellement, 11 centres en Auvergne Rhône Alpes participent au programme ; 5 agences Pole Emploi et 6 sites Missions Locales. Le projet est le fruit d’un travail collectif issu d’un consortium porté par le MEDEF Auvergne Rhône-Alpes et Pôle Emploi Auvergne Rhône-Alpes et constitué des experts pluridisciplinaires et complémentaires, parmi lesquels nous trouvons :

  • AtoutDys – formation, sensibilisation et professionnalisation des professionnels sur les questions des troubles DYS
  • Anne-Sophie RIOU, orthophoniste et docteure en science cognitive, avec une expertise dans les troubles DYS
  • Marion RANVIER, Directrice de Contentsquare Foundation, spécialiste de l’outil numérique adapté et de l’accessibilité digitale
  • Benjamin PARMENTIER, de Cohérence Consultant, ingénieur et consultant en pédagogie et management,
  • Annick VIDAL de Diffessens, formatrice spécialisés dans les troubles DYS entre autres

Quelle est la cible ?

Développé dans le cadre du Plan d’Investissement des Compétences (PIC), ce projet s’inscrit dans l’axe d’innovation pédagogique. Il vise les publics ‘invisibles’ ou éloignés du marché du travail qui présentent des troubles DYS.

Il s’agit notamment de jeunes âgés de 16 à 29 ans qui ont quitté l’école prématurément. On observe d’ailleurs une grande proportion de personnes avec des troubles DYS parmi les jeunes en décrochage scolaire. Cela signifie souvent qu’ils sont moins qualifiés, voire non qualifiés.

Il n’est pas nécessaire d’avoir une reconnaissance administrative de handicap (RQTH) ni un diagnostic formel d’un trouble DYS pour intégrer le programme :

« Nous souhaitons garder une posture extrêmement inclusive et ne pas rentrer sur le volet du handicap, ou en tout cas pas exclusivement sur le volet du handicap, sinon on risque d’exclure tous les autres qui ne voient pas leur trouble sous ce prisme” dit Laurence Gattini.

“On ne parle pas du handicap, mais plutôt de la diversité et de l’inclusion”

Comment sont identifiés les participants ?

L’orthophoniste du consortium est allée en immersion auprès des Pôles Emplois et des Missions Locales ainsi que les prestations d’emploi du Pôle Emploi, pour réaliser un audit visant à mettre en lumière les aspects DYS-friendly et non DYS-friendly des processus tels que l’inscription ou les entretiens avec les conseillers. Ce même travail immersif va être effectué pour les prestations des Missions Locales.

Ces constats de terrain ont permis d’élaborer un questionnaire de repérage afin de mieux identifier les demandeurs d’emploi qui sont potentiellement porteurs de troubles DYS. Il ne s’agit bien évidemment pas de diagnostiquer, mais d’adopter une grille de lecture lors d’un entretien, qui envoie des signaux d’alerte.

En effet, les questions ouvertes sur le travail, les loisirs, les intérêts, les challenges, l’expérience scolaire, etc révèlent énormément d’information utile qui aide le conseiller à mieux cibler les motivations et les forces de la personne. Très souvent, les compétences non-techniques ou ‘soft skills’, voire « mad-skils » (les passions, hobbies…) peut-être celles développées en dehors du travail ou l’école, ne figurent pas dans un CV.

Après cela, ils peuvent élaborer un plan d’accompagnement collaboratif qui sera le mieux adapté aux besoins et aux ambitions spécifiques de la personne.

Quel soutien est proposé ?

Le programme s’articule autour de plusieurs axes d’inclusion : le repérage et l’accompagnement des personnes DYS jusqu’au maintien dans l’emploi, l’innovation pédagogique, la formation/sensibilisation des entreprises et de l’écosystème partenaire (emploi, formation, insertion…).

Pour les individus, un accompagnement modulaire et individualisé est proposé, leur permettant d’affiner leurs objectifs professionnels, d’accéder à l’emploi qu’ils ont choisi et d’y rester. L’accent est mis sur l’apprentissage par immersion en entreprise.

Pour les entreprises, les recruteurs et les conseillers Pôle emploi, des formations d’une demi-journée sont dispensées par Nicole Philibert d’AtoutDys, afin qu’ils puissent mieux répondre aux besoins des personnes porteuses de troubles DYS.

Les formations/sensibilisations donnent aux employeurs des conseils pratiques pour rendre leurs processus de recrutement et leur environnement de travail plus accessibles aux personnes avec les troubles DYS.

Vers un monde du travail plus inclusif ?

Laurence Gattini explique que l’inclusivité repose souvent sur la volonté d’être inclusif, “on est inclusif si on le souhaite ». En effet, si une personne est prête à adapter son style de communication ou à prêter attention à l’accessibilité des documents qu’elle crée par exemple, le reste peut potentiellement suivre, en tout cas cela crée une première ouverture vers l’inclusion.

Le projet InDYSpensable est une expérimentation qui sera évaluée fin 2022, avec un souhait collectif de pouvoir l’essaimer par la suite et/ou pouvoir modéliser une adaptation pour d’autres publics que les DYS.

Nombreuses sont les personnes qui souffrent d’un manque d’accessibilité dans la sphère professionnelle, c’est pourquoi il est primordial que des projets comme celui-ci existent. Grâce à une sensibilisation accrue, des changements de culture et des adaptations, nous pouvons éliminer les barrières inutiles qui empêchent de nombreuses personnes talentueuses de travailler. Nous suivrons de près la suite du projet !

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Rendre l'emploi accessible à toutes et à tous

Ce mois-ci, on va s’intéresser à l’accès au monde du travail pour les personne en situation de handicap, plus spécifiquement les personnes porteuses de troubles du neuro-développement.

Un lieu de travail inclusif

Le travail fournit à une personne un revenu mais aussi un cadre qui structure sa vie et, dans de nombreux cas, il permet de se sentir “utile” à la société. Le fait de travailler peut également apporter de nombreux avantages en termes de liens sociaux, d’apprentissage, et de stimulation. 

Cependant, en raison des diverses problématiques liées à l’accessibilité et à l’inclusion, les personnes en situation de handicap sont souvent exclues du monde du travail: à l’heure actuelle,  elles sont deux fois plus susceptibles d’être au chômage. 

Il faut se demander pourquoi, et quelles en sont les ramifications. Au cours du mois, on cherchera donc à répondre à des questions telles que : 

  • À quoi ressemble un lieu de travail inclusif ? 
  • Quels sont les principaux obstacles que les personnes neuroatypiques rencontrent sur leur lieu de travail ? 
  • Que perd la société en excluant les talents des personnes neuroatypiques ?
  • Comment pouvons-nous repenser les démarches intégrales pour trouver et conserver un emploi afin qu’elles soient accessibles ?

Handicap et emploi, où en est-on ?

En 2018 en France, 2,8 millions de personnes étaient titulaires d’une reconnaissance administrative de handicap (RQTH) soit 7% de la population âgée de 15 à 64 ans, comme représenté ci-dessous . 

Cette reconnaissance permet de bénéficier de différentes mesures pour accéder à l’emploi (obligation d’emploi, accès facilité à la fonction publique, formation…) ou pour le conserver (aménagement horaire et du poste de travail). 

Les titulaires d’une RQTH sont cependant beaucoup plus souvent inactifs que le reste de la population (57% contre 28%), et ceux qui sont actifs sont plus souvent au chômage : 36% des bénéficiaires d’une RQTH sont en emploi contre 65% pour l’ensemble de la population en âge de travailler.

Pourquoi les personnes en situation de handicap sont-elles moins souvent en emploi ?

Il existe de nombreux facteurs systémiques et structurels qui font que les personnes en situation de handicap sont souvent exclues du lieu de travail. Cela va de l’obtention d’un emploi à son maintien. Voici quelques-unes des principales raisons :

  • Faible accessibilité : Selon Pôle emploi, plus de la moitié des établissements qui accueillent le public ne sont pas accessibles aux personnes en situation de handicap.

Il s’agit bien sûr d’adaptations de l’environnement de travail allant au-delà de celles dont ont besoin les personnes à mobilité réduite. Pour rendre un lieu de travail accessible, il faut aussi penser aux aspects sensoriels, par exemple le bruit, l’éclairage et l’aménagement du lieu.

  • Niveaux de qualification inférieurs : plus d’une personne en situation de handicap sur deux n’a pas le bac.

Le manque d’inclusion dans le système éducatif a un impact réel sur le parcours de vie et les possibilités d’emploi de personnes neuroatypiques et/ ou en situation de handicap.

  • Une discrimination persistante : la moitié des personnes en situation de handicap declare avoir été discriminées dans l’emploi.

Cela va des préjugés à la stigmatisation, en passant par le harcèlement et les brimades. Cela peut également signifier ne pas obtenir un emploi en raison de stéréotypes ou idées reçues sur les capacités d’une personne en situation de handicap.

Un zoom sur les obstacles rencontrés par les personnes autistes

Nous avons mené une enquête pour en savoir plus sur les obstacles et les expériences des personnes autistes sur le lieu de travail. Les difficultés les plus récurrents étaient les suivants :

 

Relations sur le lieu de travail

  • Relations avec les collègues 
  • Des pauses déjeuner et café compliquées
  • Difficultés à travailler en équipe
  • Culture non bienveillante 
  • Brimades
  • Incompréhension des besoins
  • Gestion des émotions

 

 

Modes de communication

  • Consignes peu claire 
  • Mauvaise circulation de l’information
  • Difficultés à comprendre que certaines règles ou normes sont implicites
  • Incompréhension des attentes des supérieurs

 

 

 

Organisation de la charge de travail

  • Organisation du travail
  • Gestion du temps
  • Responsabilités écrasantes
  • Démarches administratives compliquées 
  • Exigences de productivité  
  • Fatigabilité

 

 

Trouver un travail approprié

  • Malentendus sur les compétences et les aspirations
  • Difficultés d’identification des compétences par soi même 
  • Difficultés à mettre en valeur ses compétences lors d’un entretien d’embauche
  • Difficultés à demander un salaire juste

 

Processus et environnement inaccessibles

 

  • Processus de recrutement inadapté
  • Cadre horaire strict
  • Environnement non adapté (open space), trop de bruit et de lumière 
  • Pas assez de mise en place de télétravail

 

Améliorer l’inclusion professionnelle

Bon nombre des défis mentionnés ci-dessus touchent plus largement les personnes concernées par les troubles du neuro-développement. Très souvent, les pratiques inclusives sont utiles à tous et ont un impact positif sur la productivité et le bien-être de l’ensemble des salariés. C’est pourquoi la conception universelle, qui prend en compte un large éventail de styles de travail différents, avec la possibilité d’un soutien spécialisé en cas de besoin, est une approche privilégiée pour rendre le lieu de travail accessible. 

Une personne nous a dit que, pour eux, un travail inclusif, c’est : 

“la compréhension de ses propres aspirations et valeurs, un temps de travail en adéquation avec sa fatigabilité, un environnement adapté à ses particularités sensorielles, une équipe ouverte aux différences. Plus une meilleure information des employeurs sur la réalité des troubles afin de lever la stigmatisation et le frein à l’emploi.”

Il n’est pas forcément coûteux ou compliqué de mettre en place des aménagements sur le lieu de travail pour que chacun puisse travailler au mieux de ses capacités et ressentir un sentiment d’appartenance. Souvent, il s’agit simplement d’écouter et de respecter les besoins des personnes concernées. 

Qu’il s’agisse de fournir un bureau calme, sans lumière fluorescente éblouissante, des logiciels spécialisés ou un accompagnement, il existe de nombreuses façons de s’assurer que les personnes neuroatypiques peuvent travailler au mieux de leurs capacités. Il est dans l’intérêt de tous de fournir les outils dont elles ont besoin pour exploiter leurs compétences et s’épanouir. 

Sensibiliser le monde du travail aux particularités des troubles du neuro-développement par des formations adaptées et nommer des référents, peut contribuer à faire tomber les barrières sociales et la stigmatisation. Cela peut améliorer les relations et la communication avec les collègues et les managers. La sensibilisation peut également aider à donner aux individus la confiance nécessaire pour exprimer leurs besoins ainsi qu’encourager les collègues à demander comment ils peuvent s’adapter pour les soutenir.

L’information et l’accompagnement, au sein des entreprises et pour les demandeurs d’emploi neuroatypiques peut faciliter le parcours d’insertion professionnelle. Le recours à un job coaching spécialisé, qui aide à identifier des bonnes stratégies pour contourner des défis peut être extrêmement utile.

Il est bon de se rappeler que chacun, en situation de handicap ou non, présente des forces, des faiblesses, et des styles de travail différents. Cela nous aide à être plus souples et plus réfléchis lorsque nous travaillons avec les autres. La bienveillance, l’humanité, et l’ouverture d’esprit comptent pour beaucoup.

Quelques dates à retenir

Lundi 15 au dimanche 21 novembre 2021 : La 25e édition de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) 

Jeudi 18 novembre 2021 : DuoDay© a été créé sur le principe de l’immersion professionnelle pour changer le regard sur le handicap. L’idée est simple, une personne en situation de handicap compose, le temps d’une journée, un duo avec un professionnel pour découvrir son poste, ses missions et son environnement de travail.

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« Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. »

Pascal Bellanca-Penel avait une passion pour son métier d’enseignant de physique-chimie. Après 23 ans de carrière dans l’Éducation Nationale et au terme d’une décennie de plus en plus difficile à gérer, 2019 marque la fin définitive de sa carrière et aussi le début d’une nouvelle vie où il apprend à vivre avec un TSA. Éternel enthousiaste et foisonnant de projet, il vient de lancer un podcast pour sensibiliser différemment les professionnels de la santé au spectre de l’autisme.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Pascal Bellanca Penel, j’ai 50 ans, j’ai enseigné la physique et la chimie la moitié de ma vie au Lycée, dont deux années en classe prépa, à Istanbul ; deux années merveilleuses de découvertes. J’ai suivi en parallèle des études d’histoire et de philosophie des sciences et j’ai obtenu mon doctorat en 2016 sur un sujet d’histoire de physique nucléaire. Le métier d’enseignant m’a passionné toute ma vie et m’a porté du matin au soir et beaucoup occupé pendant ce que l’on appelle  « les vacances ». Ça a été un grand privilège pour moi de partager ma passion de la physique avec ces milliers de jeunes gens.

Mais, depuis une dizaine d’année, chaque année était un peu plus difficile. En 2018, j’ai perdu le sommeil, des douleurs thoraciques sont apparues, sans que je fasse de lien avec une angoisse quelconque. J’ai toujours été très intolérant au bruit. Le brouhaha des élèves m’a toujours beaucoup gêné, mais là, c’était devenu insupportable physiquement.

Je pensais que tout cela était le signe que je vieillissais. Les rentrées ont toujours été particulièrement éprouvantes, mais celle de 2019 fut la dernière pour moi. La réforme Blanquer des lycées est dans doute la goutte d’absurdités qui m’a fait basculer dans l’autre monde. J’ai toujours été très impliqué dans des collectifs de recherches liés à l’enseignement et j’y trouvais un réel plaisir. Je participais à 3 ou 4 d’entre eux. Lors de la réforme, je voyais quotidiennement la différence entre l’affichage (« l’école de la confiance ») et la réalité du terrain. C’est devenu pour moi insupportable. Je suis allé voir un psychiatre qui m’a hospitalisé pendant 3 semaines. De fil en aiguille, j’ai finalement eu deux diagnostics de TSA au CRA puis au TS2A. Je suis maintenant, une « personne concernée » par l’autisme.

J’ai compris beaucoup de choses rétrospectivement par rapport à mes angoisses, mes douleurs et à ma fatigabilité. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais il y avait des manifestations depuis toujours. Je suis marié depuis 24 ans, ma femme a toujours su qu’il y avait quelque chose d’atypique chez moi. Cela a été parfois très compliqué pour mon entourage, qui a dû vivre mes angoisses, mes intérêts totalement envahissants et parfois, mes décompensations. Le fait d’avoir une vie professionnelle « suffisamment bonne et acceptable » pour l’institution, se payait par contrecoup sur le plan privé, personnel et familial. Cela, jusqu’à ce que je n’arrive plus à circonscrire mes difficultés dans mon cercle privé et que ça déborde du coté professionnel. Mais je crois être resté professionnel jusqu’au bout ; je l’espère en tout cas.

Quel est votre parcours d’usager ?

Ça commence en 2019 avec ce psychiatre qui me propose de m’hospitaliser pour une durée de trois semaines dans le cadre d’un programme qu’il avait mis en place. Je quitte son cabinet sous le choc (ai-je vraiment besoin d’être hospitalisé ?) mais j’accepte finalement d’aller dans cette clinique sans aucune appréhension mais comme dans un état second. Pour moi, il y avait deux espèces de hors-lieu, de lieux que je n’avais jamais investi dans mon imaginaire des possibles : la prison et l’hôpital psychiatrique. Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. C’est juste un endroit où des professionnels prennent soin de vous et des liens que vous avez au monde. J’ai trouvé ça fantastique et tellement apaisant d’être pour la première fois de ma vie, dans un lieu coupé du monde qui fonctionne ; plus rien de sa toxicité ne pouvait me faire de mal. J’ai été très privilégié. Cette clinique privée est un écrin magnifique, arboré, silencieux ; un espace apaisant et totalement bienveillant. Je sais évidemment que toute institution est dysfonctionnelle, par certains côtés, mais j’ai eu beaucoup de chance de trouver ce psychiatre et cette clinique sur mon chemin. 

Pendant les 3 semaines, j’ai participé aux activités journalières. Il y avait tout un programme pour « nous remettre dans le circuit ». Je suis sorti avec 15 jours d’arrêt, hyper angoissé de ce que pourrait être la suite. Je n’ai pas été médiqué durant ce premier séjour en clinique. C’est après ma sortie, que j’ai chuté et que j’ai été aspiré par le trou noir de la dépression. Je me suis retrouvé face à un immense vide. J’ai été suivi en hôpital de jour à partir de janvier 2020 avec la promesse d’un suivi psychothérapeutique en libéral. J’ai mis du temps à trouver ma psychothérapeute car je voulais faire de l’EMDR, une technique que j’avais expérimenté en clinique. Mais au bout de deux entretiens, elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas continuer son travail avec moi avant d’en savoir plus. Elle suspectait un TSA et voulait connaître « les murs porteurs de mon psychisme ». J’ai donc pris contact avec le CRA et j’ai été diagnostiqué en mai 2020. C’est comme ça que je suis rentré dans la psychiatrie. Enfin, j’avais eu des contacts avec les psychiatres tout au long de ma vie, mais aucun n’avait mis le doigt sur un TSA. Mais de manière globale, j’ai une gratitude énorme pour tous les soignants que j’ai rencontré. Je leur dois beaucoup.

Que signifie comorbidités selon vous ?

On parlait de « murs porteurs » du psychisme. Je pense que les comorbidités sont des murs non porteurs, mais qui sont très visibles en revanche, car très colorés dans mon imaginaire. Ils prennent beaucoup de places mais ne soutiennent pas la structure psychique de la personne. Ils peuvent donc se construire et se déconstruire tout au long de la vie, mais ont la particularité d’être plus visibles que les murs porteurs.

Je pense aussi à la notion d’écran en référence à une personne que j’ai rencontré grâce au podcast, Florence, qui a un parcours tellement difficile. Elle a été diagnostiquée entre 28 et 30 ans. Elle a tellement de comorbidités : des TOCs extrêmement forts, un trouble anxieux généralisé tellement important que tout cela faisait écran à son TSA.

Les SISM viennent de s’achever, avez-vous une expérience en lien avec la santé mentale à partager avec nous ?

J’ai découvert un podcast qui s’appelle les garde-fous. Dans l’épisode du 31 janvier 2021, ils ont interviewé le psychiatre Mathieu Bellahsen. Il est très engagé et a écrit un livre qui s’appelle « la santé mentale : vers un bonheur sous contrôle ». Dans ce podcast, il raconte que dans un rapport officiel de 2009, la santé mentale était définie comme la capacité de s’adapter à une situation à laquelle on ne peut rien changer. Je trouve ça horrible ! Cela présuppose qu’il y a des situations auxquelles on ne peut rien changer. C’est la plus grande des violences. Pourtant, il n’y a rien qu’on ne puisse déconstruire. Dysfonctionner reviendrait à ne pas ou ne plus s’adapter à une situation considérée comme inamovible. Si c’est ça, il faut que tout le monde se mette à dysfonctionner. Pour moi, une bonne santé mentale c’est l’inverse, c’est la capacité à arrêter de s’adapter à un moment donné, la capacité à dire stop à un système qu’on considère toxique.

La crise sanitaire liée au COVID semble derrière nous, comment appréhendez-vous ce retour à la vie d’avant ?

J’ai adoré la période COVID : ma famille était autour de moi, ce qui me rassurait beaucoup car j’ai toujours peur qu’il leur arrive quelque chose. Il n’y avait plus de circulation et on entendait à nouveau le chant des oiseaux. Le chant des martinets en particulier est une source de joie extraordinaire pour moi. Cela me fait penser au programme Papageno pour la prévention du suicide. Papageno est un personnage de la Flûte enchantée de Mozart qui projette de se suicider après avoir été éconduit par Papagena. Au moment où il passe à l’acte, un chant d’oiseau le ramène à la vie, le reconnecte avec la beauté du monde. D’où l’envie de vivre.

Maintenant que la vie reprend plus ou moins son cours, je remarque que les surcharges arrivent vite. Je sais qu’après une interaction de 2h, il va me falloir 2h pour m’en remettre, soit dans le silence total ou avec mon casque sur lequel j’ai des enregistrements naturalistes. Toutes les interactions que j’engage me coûtent beaucoup psychiquement. J’organise donc mon emploi du temps en fonction. Avant, je ne sais pas comment je faisais. Je ne m’écoutais pas. Je travaillais comme un forcené, les week-ends, les vacances… J’ai appris au bout de 15 ans de travail, au cours d’un déjeuner entre collègue, que certains ne travaillaient pas le week-end. Cela m’a semblé surréaliste. C’est tellement délicat pour moi la relation sociale qu’il faut que je « borde » de tous les côtés. Pour moi 1h de cours, c’était 10h de mon temps. Beaucoup de préparation angoissée en amont, une performance de prof attentif à chacun où je dois savoir réagir à tout ce qui se passe et des ruminations post-cours ; bref, l’épuise totale.

Ce qui est dur, c’est que je ressens maintenant des situations de handicap, que je ne ressentais pas avant. Je n’ai pas de souci avec le handicap dans le sens où je sais qu’il n’y a que des situations de handicap et que ce n’est pas essentiel à ma personne. Mais j’ai 50 ans, je n’ai plus la même énergie pour compenser, il faut que je compose avec tout ça.

Vous avez lancé un podcast qui s’appelle TroubleS dans le spectre à destination des professionnels de santé. Comment vous est venu l’idée ?

Ma première idée, c’était de parler au psychiatre que j’ai rencontré en 2019, qui m’a hospitalisé et qui a continué de me suivre pendant quelques temps. Il m’a un jour questionné sur mes avancées avec ma psychothérapeute. Quand je lui ai dit que cette psychologue avait émis l’idée d’un TSA, il m’a dit « si vous êtes autiste, moi je change de métier ». Finalement, quand j’ai partagé avec lui mon diagnostic, il a été un peu choqué, mais par la suite, il a complètement intégré cet élément de mon psychisme dans l’appréhension de ma personne et de cette dépression résistante. J’ai trouvé ça assez fort de sa part de revenir sur une son appréhension première. Il est devenu un allié.

L’autre élément déclencheur, c’était lorsque j’ai participé à un atelier au CRA et que tous les participants sans exception ont fait part de difficultés avec le personnel soignant. En rentrant chez moi, je me suis dit qu’il fallait atteindre ces gens-là, et qu’on les rende sensible à la parole à toute l’étendue du spectre, à travers la parole des personnes concernées. L’idée du podcast est née comme ça. J’en ai parlé au TS2A, au CRA et au CRR. Et puis, la belle équipe (Floriane, Céline, Aude, Romain, Sandrine et Alejandra) s’est constituée pour développer ce projet.

Je voulais communiquer sur un mode sensible, mais pas un mode savant. Je sais qu’en France, la tradition psycho-psychanalytique est encore très forte. Les stéréotypes sur l’autisme sont aussi institutionnels. Avec ce podcast, on ne cherche pas à convaincre, mais à enrichir les représentations des personnels de santé. Le personnel soignant est souvent très « sachant ». Il est entraîné à s’endurcir face à des situations parfois très complexes à gérer. Je pense que se rendre perméable et se laissant affecter par les autres est aussi très important. Avec ce podcast, je ne cherche pas à rajouter une couche expérientielle, je ne suis pas en train de dire non plus qu’il n’y a que les personnes TSA qui détiennent la vérité. Ce podcast est une proposition de lien qu’on fait aux professionnels de santé pour qu’ils tissent ou retissent différemment leurs relations avec les personnes concernées. S’ils ont la possibilité et la disponibilité de se laisser affecter par ce qu’ils vont entendre, alors, c’est gagné pour nous.

Si vous aviez un conseil pour les professionnels soignants, quel serait-il ?

Je pense qu’il est très important qu’ils adoptent – pompeusement –  une « posture épistémique ouverte », c’est-à-dire qu’ils ne se placent pas systématiquement en position de « sachant ». Les praticiens ou les psychiatres ont une parole, mais ils ne sont pas les seuls à savoir. Il est important que la voix des personnes concernées soit aussi portée et représentée.

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par Françoise THOMAS-VIALETTES, vice-présidente EPI et expert EFAPPE et Raphaele VON KOETTLITZ

L’épilepsie et les troubles du neuro-développement : quel est le lien ?

L’épilepsie peut avoir un impact considérable sur la vie quotidienne d’une personne en termes d’indépendance, de sécurité, de bien-être mental et d’inclusion sociale. C’est une population hétérogène et assez mal connue; par exemple, on manque de chiffres sur ceux qui sont en situation de handicap à cause de leur épilepsie et/ou de troubles ou déficiences associés. Cet article vise donc à donner un large aperçu des particularités de la vie avec l’épilepsie et à expliquer pourquoi nous en parlons dans le domaine des troubles du neuro-développement.

Qu’est-ce que l’épilepsie ?

L’épilepsie est une condition neurologique reliée à un déséquilibre dans les réseaux du cerveau. Elle se caractérise par la présence de crises épileptiques récurrentes et par des conséquences psychologiques, sociales et cognitives. Une crise d’épilepsie est une manifestation clinique transitoire, liée à une activité électrique, neuronale anormale des cellules du cortex cérébral. Durant la crise, les neurones s’activent, pouvant générer jusqu’à 6 fois plus d’impulsions par seconde qu’en temps normal.

La prévalence de l’épilepsie, comme celle des TSA, est d’environ 1% de la population générale en France. Il s’agit d’une condition qui peut être efficacement prise en charge avec un traitement médicamenteux : 70% des enfants et adultes épileptiques sont libres de crise avec un traitement adapté. Cependant 30% des cas sont pharmaco-résistants. Ces personnes ont au moins une crise par an, alors qu’elles ont un traitement adapté.

L’épilepsie sévère est définie comme un handicap depuis 2011. On l’appelle « sévère » en raison de son impact sur la capacité à mobiliser ses compétences et du danger qu’elle représente (blessure, état de mal, SUDEP – « Mort subite inattendue en épilepsie ») contre lequel la personne ne peut ni s’autoprotéger ni prévenir un aidant…! Même non sévère, elle peut être source de handicap en raison de l’imprévisibilité des crises, des effets secondaires des traitements, d’un manque d’autonomie, d’un manque de confiance ou de séquelles neuro-développementales.

650 000+ personnes épileptiques en France (soit 1% de la population), 50 millions personnes épileptiques dans le monde, 70%  personnes correctement diagnostiquées et traitées ne subissent pas de crises. 30% subissent des crises malgré un traitement adapté à leur épilepsie, 100 000 enfants et adultes épileptiques sont en établissements et services médico-sociaux, 550 000 enfants et adultes épileptiques vivent à domicile

Différents types d’épilepsie

Les origines et les pronostics de l’épilepsie sont très divers comme mentionné ci-dessus (ex. génétique, maladie rare), ainsi que les types de crises. Des crises peuvent prendre différentes formes et avoir différentes intensités. En raison de ces nombreuses manifestations, on dit parfois qu’il y a des épilepsies.

  • Les crises tonico cloniques sont les plus connues du public parce que ce sont les plus ‘spectaculaires’ avec perte de conscience, raideur brutale entraînant une chute, secousses convulsives, parfois apnée, cri, bave, perte d’urine ou morsure de langue. La personne perd immédiatement conscience et ne se rappelle de rien.
  • Les absences entraînent une suspension de conscience pouvant durer quelques secondes voire plus et se répètent souvent plusieurs fois dans la journée.
  • Les crises myocloniques qui sont des secousses musculaires brèves peuvent survenir en pleine conscience.
  • Les crises atoniques sont caractérisées par une brusque perte musculaire qui provoque une chute soudaine.

Épilepsie et troubles du neuro-développement

Alors pourquoi parler de l’épilepsie en relation avec les troubles du neuro-développement ?

Car les épilepsies de la petite enfance sont souvent sources de troubles du neuro-développement (TND), soit que la maladie génétique ou la lésion du cerveau à l’origine des crises soit aussi cause de TND, soit que la répétition des crises perturbe le neurodéveloppement. On sait aussi que les enfants atteints de TND ont davantage de risque d’être épileptiques que la population générale.

Des enfants atteints de TND peuvent développer une épilepsie soit dès l’enfance soit plus tardivement. Par exemple, 8% des enfants porteurs de Trisomie 21 ont une épilepsie, 28% des plus de 45 ans ; 18% des enfants TSA sont épileptiques, 28% des adultes. Ainsi, l’épilepsie est souvent une condition qui se chevauche avec d’autres troubles neurodéveloppementaux (ex. TDAH, DYS etc) et psychiatriques (ex. anxiété et dépression) et troubles de comportement.

Il est donc important de tenir compte des conditions coexistantes afin de mieux comprendre les besoins uniques de chaque personne.

Parmi des personnes epileptiques: TDAH : 40%, TSA : 20- 30%, Déficience intellectuelle : 30%, Anxiété : 50%, Dépression : 20- 30%

Repérage des TNDs chez une personne épileptique

Aujourd’hui nous avons une meilleure connaissance des TND chez les personnes épileptiques grâce à :

  • La systématisation des bilans neuropsychologiques dans les centres de référence épilepsies rares
  • De gros progrès dans le traitement des encéphalopathies épileptiques (épilepsies graves de la petite enfance)
  • La volonté des familles soutenue par les neuropédiatres de favoriser le développement de l’enfant

✔ Oui, il faut faire une recherche de TND dès que l’on a un doute, lorsqu’il y a une épilepsie précoce, même si elle a pu être stabilisée.

✔ Oui il faut faire une recherche d’épilepsie chez un enfant ou adulte atteint de TND, dès qu’on a un doute. Soigner l’épilepsie a un impact positif sur le développement de l’enfant et sur les troubles de l’enfant ou l’adulte.

✔ Oui, il n’est jamais trop tard : même chez un adulte épileptique depuis l’enfance, il est utile de comprendre et prendre en charge ses TND (et vice-versa).

Obtenir un diagnostic peut aider à identifier et mieux comprendre les besoins d’une personne. Cette vidéo donne un aperçu du déroulement du diagnostic de l’épilepsie. Le processus peut être complexe en raison du chevauchement des troubles. Par exemple, une épilepsie peut passer inaperçue car certaines crises d’épilepsies peuvent être confondues avec d’autres troubles moteurs. Aussi parce que rechercher une épilepsie chez un enfant ou un adulte atteint de TSA ou déficience intellectuelle sévère peut être complexe. L’EEG ou l’IRM demandent que la personne accepte l’examen et reste tranquille le temps nécessaire. Il existe pourtant des moyens pour l’aider à comprendre et accepter l’examen. Par exemple les fiches santeBD.org sont d’excellents outils pédagogiques pour expliquer le processus de manière visuelle. C’est important aussi de prévenir l’équipe qui doit réaliser l’examen afin d’en faciliter le déroulement en tenant compte des besoins de la personne.

Prises en charge adaptées

À quoi ressemble l’inclusion pour les personnes épileptiques ?

Tout d’abord c’est considérer la personne dans sa globalité et tous les troubles qui lui sont associés. L’inclusion c’est:

  • se sentir en sécurité vis à vis de l’imprévisibilité de ses crises d’épilepsie (aménagements matériels, présence humaine)
  • mobiliser ses compétences
  • être soutenu dans un environnement adapté à ses troubles du neurodéveloppement.

Depuis la petite enfance (crèche, école maternelle) jusqu’à l’âge adulte, il faut penser l’inclusion des personnes épileptiques dans un milieu aussi ordinaire que possible et aussi dans les établissements et services médico-sociaux. Pour cela une bonne connaissance de l’ensemble des difficultés de la personne, et aussi de ses compétences est indispensable pour l’aider à bâtir un projet de vie épanouissant.

Les recherches nous permettent de mieux connaître la population, les troubles associés et les impacts sur la santé mentale, la famille et la vie sociale et est donc une facette essentielle dans la quête pour l’inclusion.

 

RESSOURCES

  • Les Centres de référence des épilepsies rares – CARTE DES CENTRES
    • Dans la région nous avons : HFME et Hôpital neurologique Pierre Wertheimer qui est aussi un des 8 sites constitutifs du centre de référence épilepsies rares.
    • Il y a aussi des centres de compétence épilepsies rares dans les CHU de Grenoble, St Etienne et Clermont-Ferrand.

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19/10/2021, par Jennifer Beneyton

Traiter la douleur pour diminuer les troubles du comportement

Le Dr Arnaud Sourty est spécialiste du traitement de la douleur et exerce auprès de patients autistes avec et sans déficience intellectuelle (DI). Il mène un travail de sensibilisation au sein du collectif douleur qui vise à aider les professionnels de santé à mieux prendre en charge les douleurs de leurs patients, en particulier non verbaux. En mars 2021, il a reçu un financement de la Fondation APICIL (cf communiqué de presse) pour réaliser une étude auprès de 200 sujets. Nous sommes allés à sa rencontre.

Il semblerait qu’il y ait un lien entre les troubles du comportement et des douleurs. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis une petite dizaine d’années, on voit émerger l’idée que les troubles du comportement que nous observons chez nos patients autistes seraient le résultat de douleurs non traitées. Cela semble assez logique quand on s’intéresse au fonctionnement de notre cerveau. En effet, c’est lui qui code la douleur dans certaines aires bien précises. Lorsque nous ressentons différentes douleurs simultanément, une hiérarchie se met en place. C’est la douleur la plus forte qui prend le dessus, l’autre ne disparaît pas, mais elle est masquée. Donc, si un patient a des accès de violence contre les autres ou contre lui-même, il vaudrait mieux rechercher des douleurs non traitées plutôt que d’augmenter sa prescription de psychotropes.

Où en êtes-vous de votre projet avec la Fondation APICIL ?

Nous sommes en train de présenter notre protocole de recherche au Comité de Protection des Personnes (CPP), mais nous rencontrons quelques difficultés. En effet, ils attendent de nous de codifier les troubles du comportement, or c’est impossible. Tous les patients autistes sont uniques, on ne peut pas les mettre dans des cases. Comme on dit souvent : quand vous avez vu une personne autiste, vous avez vu une personne autiste. L’objectif est de déterminer la proportion de patients qui viennent pour des troubles du comportement et qui en fait présentent des douleurs non traitées. À mon sens c’est largement sous-estimé, mais c’est ce que j’espère montrer avec ce projet !

Comment pouvez-vous évaluer la douleur des patients, surtout s’ils sont non-verbaux ?

Les personnes autistes sans DI arrivent à exprimer leur douleur, mais éprouvent beaucoup de difficultés à la comprendre. En effet, ces douleurs proviennent souvent de troubles de la sensorialité, notamment d’une hyperesthésie cutanée, qui entraînent un inconfort au toucher. On parle d’allodynie, c’est-à-dire la production d’une douleur par une stimulation non-douloureuse. Si leur médecin ne sont pas formés à cela, ils vont penser que les patients relèvent davantage de la psychiatrie alors qu’il s’agit de troubles sensoriels.

Pour les patients non-verbaux, c’est effectivement plus compliqué. Des outils d’évaluation ont été créés. Nous prônons l’utilisation de la grille GED-DI, qui a été mise au point pas une équipe canadienne et qui a subi quelques adaptations, notamment pas les équipes mobiles du CRA. On remplit une première fois la grille afin de déterminer l’état de base du patient, qui est associé à un score. Chez nos patients autistes avec DI, l’état de base n’est jamais à 0, ils présentent toujours des troubles du comportement mineurs. Puis lorsqu’on remarque des changements de comportement, on la remplit à nouveau. Si le score varie d’au moins 6 points, on peut commencer à s’interroger sur la possibilité d’une douleur. Au-delà de 10, c’est quasiment une certitude. Attention, le changement de comportement peut aussi aller dans le sens d’un retrait, d’un isolement. On a souvent tendance à imaginer les comportements exacerbés des patients comme des signaux d’alerte, mais un patient qui s’isole, qui parle moins, qui ne rit plus doit aussi être un signal d’alerte. L’expression de la douleur est tout à fait personnelle.

Qui peut remplir cette grille ?

N’importe qui de l’entourage du patient. Il faut évidemment avoir été à son contact pendant quelques temps pour connaître son comportement, mais sinon, les items sont clairs et concis. La personne qui remplit la grille doit le faire rapidement (pas plus de 5 minutes), sans réfléchir, sans interpréter les évènements. Sinon, cela ne peut pas marcher. La douleur est subjective. Grâce à ces grilles, on essaye de ramener de l’objectivité dans la douleur. Il faut veiller à la remplir sur un temps d’observation d’une demi-journée et non pas se concentrer sur un temps de crise, sinon, l’évaluation s’en trouvera faussée. Il existe d’autres grilles (ESDDA du Dr Saravane, AlgoPlus, San Salvadour…), mais la GED-DI est à mon sens la plus complète et la plus discriminante.

Vous dîtes que la douleur est subjective ?

Absolument. La douleur est ressentie différemment chez chacun et varie selon l’état d’esprit de la personne. Imaginons que je vous fasse passer un test pour déterminer votre seuil de douleur. Pour ce faire, je vous demande de tenir dans votre main une électrode dont je vais faire monter la température. Il est probable qu’autour de 38°C, vous lâchiez l’électrode car cela devient trop chaud pour vous. Mais peut-être que votre collègue n’ira que jusqu’à 36,5°C. Et si je vous montre des images affreuses pendant une dizaine de minutes entre deux tests, vous allez lâcher l’électrode à 35°C. Votre seuil de la douleur aura diminué du fait du stress généré par la vision de ces images. Donc imaginez, pour un patient autiste, qui anticipe, qui se sur-adapte en permanence, qui est sans cesse en situation de stress. Son seuil de douleur est très bas, ce qui peut l’amener à développer un trouble du comportement lorsque la douleur devient trop insupportable.

Idem, je me méfie toujours des personnes qui sont soi-disant insensible à la douleur. Dans certains cas, cela s’explique neurologiquement, certes. Mais parfois, lorsque les manifestations de la douleur ne sont pas aussi évidentes que « Aïe, j’ai mal », on peut passer à côté.

Comment peut-on soulager les patients ?

Tout dépend du type de douleur. Il en existe trois principales : les douleurs neuropathiques qui sont prises en charge avec des traitements médicamenteux spécifiques, les douleurs nociceptives qui sont des douleurs qui résultent d’un dysfonctionnement physiologique et qu’on traite facilement avec des antalgiques classiques et enfin les douleurs nociplastiques qui sont l’expression somatique d’un mal-être et pour lesquelles les traitements médicamenteux seuls sont peu efficaces. On privilégiera les approches non médicamenteuses telles que la sophrologie, la relaxation, l’hypnose…

Il y a aussi la question des douleurs chroniques. Si je me tape le pied dans la porte, mon système nerveux va libérer de la morphine de façon endogène pour calmer la douleur. Quand une douleur s’installe plus de trois mois, ces mécanismes de régulation s’altèrent et mon seuil de résistance à la douleur diminue ce qui entraîne une sensation de douleur quasi permanente et difficilement identifiable car tous les récepteurs de la douleur sont petit à petit stimulés. Les patients présentant des troubles du comportement souffrent souvent de douleurs chroniques. Ces douleurs, ressenties depuis longtemps sans qu’elles ne soient repérées ni traitées entraînent une plus grande sensibilité à la douleur qui, avec le temps, génèrent des troubles du comportement.

J’insiste sur le fait qu’il ne faut pas minimiser la douleur, même s’il n’y a pas de justification physique de prime abord. La douleur est profondément personnelle et nul n’a le droit de la remettre en question.

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Par Jennifer Beneyton le 12/10/2021

Pierre Gadéa : "Transformer le soin en activité ludique"

Passer des jeux vidéos au soin, c’est un grand écart que Pierre Gadéa et son associé Romain Streichemberger ont réalisé avec succès en créant la Start-up, C2 Care. Nous avons interviewé Pierre pour en comprendre le cheminement et en savoir plus sur ce qui les anime aujourd’hui.

Pierre Gadéa et son associé Romain Streichemberger sur un canapé Pierre Gadéa (gauche) et Romain Streichemberger (droite)

Pouvez-vous nous raconter comment vous vient l’idée de C2Care ?

Mon associé et moi-même avions monté une start-up dans les serious games, en d’autres termes, c’est l’application des jeux vidéos à des domaines « sérieux ». On a trente ans et on est en quête de sens dans notre vie professionnelle. C’est là qu’on rencontre le Dr Malbos du service du professeur Lançon à l’hôpital de la Conception à Marseille qui nous raconte qu’il utilise la réalité virtuelle auprès de ses patients souffrant de TAG (troubles anxieux généralisés) depuis une dizaine d’année et qu’il a de bons résultats. Mais il a besoin de développer un partenariat avec une entreprise pour développer plus d’environnements virtuels.  Avec Romain, nous sommes très emballés par le projet et c’est comme ça que C2Care est né.

Logo_C2Care vert

Sur quels types de troubles travaillez-vous ?

Tout dépend de la structure avec laquelle nous travaillons. On évalue les besoins ensemble, le service établit un cahier des charges basés sur un protocole précis. Nous nous occupons de la réalisation technique et de la distribution. Au départ, nous avons commencé avec trois protocoles pour traiter les phobies les plus répandues : la claustrophobie, l’acrophobie (vertige) et l’aviophobie (avion). Puis les services d’addictologie ont commencé à s’intéresser à notre travail. Ils avaient besoin d’immerger leurs patients dans des environnements avec la présence potentielle de stupéfiants. C’était donc bien plus facile en réalité virtuelle. Puis, ce sont des neuropsychologues qui ont commencé à faire appel à nous pour leurs patients cérébro-lésés mais aussi les patients porteurs de troubles du neurodéveloppement dont des personnes TSA. Actuellement on développe trois axes : la remédiation cognitive, la remédiation psychosociale et la formation des professionnels de santé pour les mises en situation.

Comment mesurer l’efficacité de ces thérapies ?

Je suis lié par la confidentialité concernant les activités de recherche, mais les environnements que nous développons sont tous basés sur des protocoles qui nous ont été fourni par les CHU ou des structures spécialisées. Ils répondent à des critères scientifiques très précis et ont été évalués par des comités d’éthique. L’évaluation scientifique est une question primordiale pour les CHU. Avec C2Care, nous ne sommes pas dans le même espace-temps. Je comprends tout à fait le besoin des évaluations scientifiques pour valider ces pratiques et pour faire avancer la recherche, mais pour nous, l’important, c’est le retour des patients et des professionnels pour que nous puissions mettre notre travail à disposition des structures le plus rapidement possible.

Vous parlez de comité d’éthique, comment vous assurez-vous du consentement des patients ?

Nous avons travaillé sur cette question avec Gérald Debussy qui est neuropsychologue ainsi que le Dr Moreno: comment met-on un casque sur une personne qui n’est pas en pleine capacité intellectuelle ? Nous nous sommes rendus compte de la forte propension des patients à adhérer à ces pratiques, sans doute en partie pour le côté ludique du numérique. Certains montrent même de très fines capacités d’observation. C’était le cas d’un patient Asperger qui, au cours des tests de réglage, a observé un décalage infime de l’image que ni vous ni moi ne peuvent voir. C’était assez extraordinaire !
Pour les patients non-verbaux, nous nous assurons de la présence d’un éducateur ou d’un soignant qui connaît bien le patient et qui peut, à tout moment, nous alerter de son état. Je me souviens de cette séance d’exposition avec une personne non verbale, en fauteuil, qui s’est mis à hurler pendant le test avec le casque. Je me suis précipité pour lui enlever mais l’éducateur m’a arrêté : ces cris étaient en fait des cris de joie.

On sent vraiment que les patients sont au cœur de votre démarche.

Absolument ! Chez C2Care, notre volonté c’est de déstigmatiser la psychiatrie grâce au côté ludique de la réalité virtuelle et ainsi de contribuer à proposer des thérapies innovantes pour améliorer la prise en charge des patients et non pas la déshumaniser contrairement à ce qu’on pourrait craindre.

L’autre danger, c’est d’utiliser nos dispositifs en « occupationnel », c’est-à-dire, de mettre le patient dans un coin avec un casque, des heures durant, sans qu’il n’y ait de véritable projet thérapeutique. Je m’oppose fermement à cela. Nous n’avons pas vocation à être la télé de demain. J’y suis très vigilant lors de la construction du projet, mais en 6 années d’existence de C2Care, je n’ai rencontré que des personnes profondément humanistes, impliquées dans le mieux-être de leurs patients.

En ce moment, on parle beaucoup de santé mentale, selon vous, comment la réalité virtuelle peut-elle révolutionner la santé mentale ?

Je vais aborder la question plus largement en parlant du digital plutôt que de la réalité virtuelle seulement. Pendant très longtemps, la santé mentale a été très négligée au profit de la santé physique. Or on sait aujourd’hui qu’une personne sur 5 souffrira de troubles mentaux. On l’a vu pendant la crise du COVID. La santé mentale revient sur le devant de la scène et c’est grâce au digital que les relations patients-soignants ont pu être maintenues. En France, nous avons beaucoup de retard à rattraper. C’est ce que nous sommes en train de faire grâce à la rencontre de la recherche, de la santé et du numérique. Grâce à la réalité virtuelle, le soin se transforme en activité ludique.

Nous venons de développer une nouvelle activité chez C2Care. En effet, nous nous sommes aperçus qu’entre deux séances de thérapies, il ne se passe pas grand-chose pour certains patients. Nous avons donc mis au point un système de thérapie en stand alone contrôlé. Cela signifie que nous proposons un suivi psychologique classique grâce aux deux psychologues qui font partie de notre équipe, mais entre les séances, le patient peut s’entraîner sur un aspect particulier en réalité virtuelle via un casque que nous mettons à sa disposition. Les patients progressent plus vite et la psychologue peut suivre les exercices et l’évolution du patient pour adapter son suivi. Nous suivons actuellement 63 personnes alors que nous avons commencé en juillet 2021.

Nous n’inventons rien, mais nous travaillons d’arrache-pied pour améliorer les modes de prises en charge et évoluer vers la psychiatrie de demain.

 

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04/10/21, par Jennifer Beneyton

Dépression et périnatalité : le cas des femmes autistes

Devenir maman est un bonheur certes, mais qui vient avec son lot de difficultés, d’insécurité et de doutes. Et quand la future maman est autiste, l’équation peut vite devenir un casse-tête. Julien Dubreucq, post-doc au département de psychiatrie périnatale de l’Erasmus Medical College de Rotterdam travaille à améliorer la détection et la prise en charge de cette maladie.

La dépression périnatale, cette maladie invisible…

Quand nous rencontrons Julien Dubreucq, psychiatre-pédopsychiatre, le tableau qu’il nous dépeint est alarmant : la dépression touche 12% des mères et 60% des cas de dépression périnatale (de la grossesse à 1 an après la naissance) ne sont pas repérés, 85% ne sont pas traités et seulement 5% sont traités de façon adéquate.

« Le suicide est la première cause de mortalité maternelle en période périnatale. Il y a urgence ! »

Julien et son équipe travaille sur un projet de recherche qui vise à améliorer le parcours de santé des parents avec dépression périnatale – fait méconnu, 10% des pères sont aussi touchés par cette pathologie. Pour ce faire, ils recueillent les témoignages de tous les acteurs concernés : les parents et futurs parents, les parents concernés par un antécédent de dépression périnatale mais aussi les sages-femmes, les gynécologues obstétriciens, les pédiatres, les médecins généralistes ainsi que tous les professionnels de la santé mentale qui travaille en périnatalité. L’objectif est d’avoir dans un premier temps une vision globale des difficultés et ressentis de chacun pour en extraire des recommandations visant à prévenir cet état, ou tout au moins à le prendre en charge le plus rapidement et efficacement possible. À terme, une application numérique devrait être développée pour faciliter le processus.

Risque accru chez les femmes autistes

Le fait d’être autiste ajoute un défi supplémentaire à ceux que rencontrent déjà les jeunes et/ou futurs parents. Selon une étude anglaise récente, les femmes autistes sont plus sujettes à la dépression périnatale pour différentes raisons. D’une part, cela peut s’expliquer, pour certaines, par leur hypersensibilité. Mais c’est aussi beaucoup lié aux difficultés de communication inhérentes à leurs troubles. Certaines partageront peu leur joie et apparaîtront comme des personnes froides ce qui peut ouvrir la voie chez les professionnels à des suspicions de lien défaillant mère-enfant. D’autres auront du mal à communiquer sur leurs besoins, notamment pour gérer la douleur. L’environnement sonore et lumineux est aussi une épreuve pour certaines, tout comme la rapidité des gestes médicaux qui nécessiteraient davantage d’explications et de préparation. Par ailleurs, devenir maman s’accompagne d’un nouveau rôle social au sein de sa famille et belle-famille qui ajoute de la pression et du stress et qui peut parfois faire basculer un équilibre précaire. Elles ont aussi peur d’être jugées négativement dans leurs compétences parentale : être parent nécessite de faire maîtriser l’art des doubles tâches ce qui, pour une personne qui a besoin de temps et qui peut vite se sentir submergée, complique beaucoup la gestion du quotidien.

Sans compter que parfois, la dépression peut être très difficile à détecter chez les femmes autistes. En effet, la personne a mis en place des stratégies de compensation superficielle (c’est-à-dire inflexibles, difficilement adaptables au contexte et peu résistantes au stress), qui lui permettent de s’adapter aux situations, mais qui peuvent donner lieu à des discordances entre discours et comportement.

« Je me souviens du cas de cette jeune étudiante autiste qui s’était construit un personnage très expressif, très joyeux et un peu excentrique qui est venue en consultation pour dépression. Les professionnels ne la croyaient pas car son attitude pouvait laisser penser le contraire. »

Le personnage social que ces personnes se créent et qu’elles utilisent depuis des dizaines d’années peut prendre le pas sur leur personnalité réelle provoquant parfois un sérieux questionnement identitaire mais aussi des burn-outs car maintenir ce personnage social est épuisant. Mettre des stratégies en place est souhaitable si cela peut permettre aux personnes concernées d’atteindre leurs objectifs personnels, mais pas au prix de leur santé mentale.

« Il faut qu’elles s’autorisent à être plus autistes, à condition toutefois que l’environnement les y autorise. »

La divulgation de son autisme, une question délicate

Tout serait tellement plus aisé en effet, mais la réalité est, comme souvent, complexe. Parler de son autisme aux professionnels de santé, c’est encore aujourd’hui potentiellement s’exposer à des préjugés, s’entendre dire que c’est la raison de tous ses maux et être disqualifié dans son rôle de (futur) parent. Toutes les jeunes mamans font face à des difficultés parentales, mais les mamans autistes ont beaucoup moins le droit au faux pas. Fort heureusement de plus en plus de professionnels se forment et appréhendent de mieux en mieux les troubles du spectre de l’autisme, mais le chemin est encore long. C’est pourquoi la décision de la divulgation ne doit pas être prise à la légère. Elle peut se révéler aussi libératrice que destructrice et doit donc être murement réfléchie. Un accompagnement par des professionnels formés et spécialisés, peut se révéler nécessaire.

Afin de faciliter le parcours des futures/jeunes mamans autistes, une expérience avait été conduite au CH Alpes Isère, sous la direction de Julien Dubreucq, qui consistait à désigner une sage-femme référente de parcours en périnatalité. Son rôle était d’accompagner les personnes concernées le souhaitant, de les aider à identifier leurs forces et ressources et de faire l’interface entre les personnes concernées et les professionnels de santé. L’expérience qui s’est révélée très fructueuse est décrite dans une revue récente de la littérature et se poursuivra au CHU de Saint Étienne en 2022. De cette réflexion est née un groupe de travail parentalité, associant personnes concernées et professionnels et coordonné par Marine Dubreucq, sage-femme référent de parcours. Un autre groupe de travail sur les besoins des parents avec troubles psychiques sévères de la cohorte REHABase sera mis en place sur le centre ressource de réhabilitation psychosociale.

Faire évoluer les mentalités : le rôle des campagnes publiques

Changer le regard et faire évoluer les mentalités sur tout ce qui a trait à la santé mentale prend du temps. La France accuse beaucoup de retard.

« Aux Pays-Bas, comme dans les pays du Nord en général, ils ont 25 ans d’avance sur nous. »

C’est grâce à plusieurs campagnes de dé-stigmatisation qui ont été diffusées très largement ces dernières années avec tous les acteurs du domaine : pair-aidant, professionnels de santé, personnes concernées…

Ceci dit, une étude a montré l’efficacité relative de ces campagnes. En effet, plusieurs campagnes publiques de déstigmatisation sur la schizophrénie et la dépression ont été menées en Allemagne entre 2001 et 2011. L’attitude de la population générale n’avait pas changé vis-à-vis de la dépression et avait même empiré vis-à-vis de la schizophrénie. Mais, la grande réussite de ces campagnes réside dans l’effet très positif sur les personnes concernées : leurs troubles ont été abordés de façon positive et moins caricaturale ce qui leur a donné l’impression que la société était moins stigmatisante et leur a donné le courage de s’exposer davantage avec des réussites à la clé. Cette expérience montre que les campagnes de ce genre ne changent pas nécessairement les mentalités, mais elles changent la perception des personnes concernées sur elles-mêmes et c’est déjà très précieux.

Faire évoluer les mentalités passe principalement par une éducation plus tolérante dès le plus jeune âge.

« Les enfants construisent leur représentation du monde dès trois ou quatre ans. Ils ont déjà des stéréotypes, y compris au niveau des troubles psychiques. »

Ces stéréotypes passent par l’environnement familial, l’école, les amis, … et les dessins animés. Par exemple, dans cet extrait de Madagascar (1 :34), Alex le Lion dit des pingouins qu’ils sont « psychotiques » car ils veulent retourner à l’état sauvage. L’emploi de ce genre de mot est problématique car il n’est pas utilisé dans le contexte approprié et il a une connotation péjorative.

Une étude européenne est actuellement en cours pour évaluer les représentations et les connaissances de la dépression périnatale auprès des parents et des sages-femmes à travers une dizaine de pays (France, Pays-Bas, Italie, Espagne, Portugal, Norvège, Suède, Estonie, Chypre, Grèce et Bulgarie). Un questionnaire devrait être prochainement diffusé largement. Il sera intéressant de comparer les perceptions de chaque pays en sachant que les programmes de formation, les dispositifs de prises en charge et les campagnes de déstigmatisation sont différents.

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28/09/21, par Jennifer Beneyton

D'un CAP boulangerie à un Master en ressources humaines à l'ESDES

Nous avons rencontré Bakay Fofana, 24 ans, actuellement en Master 2 en RH digital et business au sein de l’ESDES, l’école de commerce de la Fac catholique de Lyon. Bakay est autiste et a la particularité d’être le premier jeune du SESSAD les Passementiers à avoir suivi un cursus scolaire en milieu ordinaire. Nous sommes allées à la rencontre de Bakay et Michel, l’un de ses tuteurs au SESSAD, pour en savoir plus.

Bonjour Bakay, peux-tu nous parler un peu de ton parcours scolaire ?

Bakay : J’ai suivi un cursus général de la sixième à la troisième, au collège Jean Monnet dans le deuxième à Lyon. Pour mon stage de troisième, j’ai travaillé dans une boulangerie et comme ça m’avait bien plu, j’ai fait une seconde Bac Pro en boulangerie pâtisserie. Mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas une personne manuelle. Se lever tôt ne me dérangeait pas, mais le travail ne me convenait pas et je me suis réorienté vers un cursus plus administratif.

Michel : C’est là que tu as commencé au lycée Jacques de Flesselles, et le SESSAD est intervenu à cette époque. Ce n’était pas évident là-bas…

Bakay : J’étais en Bac Pro en gestion administrative dans une classe vraiment difficile. Mais heureusement, le SESSAD a commencé à me suivre pendant ma première année, en septembre 2013, même si mon diagnostic n’est intervenu qu’en 2015.

Michel : Effectivement, tu avais eu un diagnostic clinique, mais le vrai diagnostic n’avait jamais été clairement posé.

Bakay : Au lycée Jacques de Flesselles, nous avons travaillé sur un livre de cuisine internationale dont j’ai eu l’idée, nous avons monté une micro-entreprise et grâce à mon réseau en hôtellerie restauration, j’ai pu faire quelques ventes. Nous l’avons publié en version papier. J’étais aussi le délégué de ma classe. Comme la classe était agitée, je faisais le médiateur entre les profs et les élèves. Puis après mon Bac Pro, j’ai fait un BTS Assistant Manager pour lequel je devais faire deux stages dont au moins un à l’étranger. J’ai choisi de faire les deux stages en Angleterre : un dans une agence de communication et un dans un cabinet de recrutement.

Michel : Tu les as trouvés tout seul tes stages en plus, tu nous avais épaté ! C’est un malin, Bakay, il trouve toujours les bons plans (rire).

Bakay : Après le BTS, j’ai pris une année sabbatique car je n’avais pas réussi à trouver d’employeur pour ma licence pro. J’ai fait des petits boulots en attendant. Mais en 2019 j’ai réussi à me trouver un employeur : Renault Trucks, et j’ai donc pu valider ma licence pro en alternance à l’IUT Lyon 3.

Michel : D’ailleurs grâce à ça, nous avons même fait une formation auprès de tous leurs référents handicap de Renault Trucks au niveau national et depuis, nous sommes toujours en lien avec eux. On en a aussi fait une chez RTE, l’une des filiales d’EDF.

Bakay : Et je suis maintenant en Master de ressources humaines que je fais en alternance chez SANOFI. C’est suite à mon deuxième stage à Londres que j’ai voulu m’orienter dans cette branche.

As-tu rencontré des difficultés pendant ton parcours ?

Bakay : Oh oui. Au collège, ce n’était vraiment pas simple avec les élèves. J’arrivais à suivre les cours, mais les relations avec les autres étaient difficiles car je subissais beaucoup de moqueries liées à mon trouble.

Michel : C’est quelque chose qu’on observe auprès de tous les jeunes que nous suivons. Le collège est vraiment une période difficile.

Bakay : Oui, c’est la loi de la jungle. Je voudrais oublier ces années-là.

Michel : Et tes plus belles années ?

Bakay : Mes années BTS avec mes deux stages à Londres. Depuis que je suis dans le supérieur, les étudiants, les professeurs, les employeurs… sont plus tolérants. Mais parfois, ça pose encore problème. Par exemple, cette année, nous avions un cours de SI-RH (Système d’information en ressources humaines). Mais malgré mes demandes, le professeur ne nous a pas fourni de véritable cours, ce qui fait que j’ai raté l’examen. C’est le seul que j’ai raté, et je vais devoir le repasser au rattrapage. J’en ai parlé avec mon référent à l’université et il s’est entendu avec ce prof pour que l’année prochaine il fournisse des supports de cours. Au moins, j’espère que cela servira aux autres après moi !

Michel : On voit bien que sans support, lorsqu’un cours n’est pas bien préparé, cela te pose des difficultés. Tu en as parlé à la mission handicap de l’ESDES ?

Bakay : Non, mais j’aurais dû.

Peux-tu nous raconter ce que ton suivi au SESSAD a changé ?

Bakay : Déjà, c’est le SESSAD qui m’a permis d’avoir le diagnostic et ce fut un soulagement. Mais le SESSAD m’a aussi beaucoup aidé dans mes capacités sociales. Par exemple, j’avais beaucoup de mal à me présenter ou à répondre au téléphone.

Michel : C’est sûr qu’au début, ce n’était pas évident. Elodie (une éducatrice du SESSAD) en a fait beaucoup des jeux de rôles avec toi pour t’entrainer !

Bakay : Maintenant c’est moi qui fais des jeux de rôles à l’école pour coacher les autres.

Michel : Et les pauses café, tu te souviens ? Au début cela te posait problème. « Pourquoi ils vont à la pause café » ? « Qu’est-ce qu’ils se disent à la pause café » ?…

Bakay : Oui, ce n’était pas facile au début. Souvent les gens racontent un peu leur vie et même parfois celles des autres. Mais ça me gênait car pour moi les RH, c’est la confidentialité et la discrétion et certains n’en font pas preuve.

Michel : Nous avons suivi Bakay de 2013 à 2016, pour 3 ans, ensuite il est resté dans le groupe des anciens jusqu’en 2019 et depuis il n’a plus rien à voir avec le SESSAD, mais nous avons toujours conservé des liens forts. Il est devenu notre porte-parole auprès des jeunes qu’on accueille actuellement. Ainsi il leur parle un peu de son parcours pour leur faire un retour d’expérience aussi, notamment sur le fait de cacher son autisme.

Bakay : Au début, c’est vrai que je ne voulais pas en parler, puis, avec le soutien du SESSAD, j’ai commencé petit à petit à en parler et maintenant, j’en parle librement. Avant, je ne me sentais pas très à l’aise pour en parler, pour expliquer ce que c’était et puis je craignais aussi le regard des autres.

Michel : C’est vrai qu’au début, Bakay ne voulait pas du tout en parler. Nous respections bien évidemment son choix. Mais sa recherche d’employeur s’est révélée plus compliquée que prévu. Ses entretiens se passaient bien, mais il n’était jamais retenu, sans doute car il manquait une pièce du puzzle pour les recruteurs. À partir du moment où il en a parlé en entretien, ça a complètement débloqué la situation. Chez Renault Trucks, par exemple, ils ont dit qu’ils avaient justement apprécié cette honnêteté et cette authenticité. Mais toutes les entreprises ne sont pas aussi bienveillantes et c’est pourquoi c’est une décision qui ne doit pas être prise à la légère.

Bakay : J’ai aussi beaucoup travaillé sur le fait d’être flexible, ce qui n’est pas évident pour les personnes autistes. Comprendre l’autre, prendre en compte l’avis de l’autre ne sont pas des choses évidentes.

Michel : Tu es plus souple qu’avant alors !

Comment envisages-tu ton futur ?

Bakay : Je suis ouvert à tous les environnements professionnels, mais dans l’immédiat, j’aimerais bien rester chez SANOFI. Je m’y sens bien à tous points de vue. En plus, ils sont présents dans de nombreux pays, j’aimerais bien faire un VIE (volontariat international en entreprise) au Canada, en Irlande ou dans les pays nordiques. Je suis aussi en lien avec l’une des branches de SANOFI qui est à Reading, près de Londres car je m’occupe des formations des salariés sur ce site. Je partirais bien là-bas ! De manière générale, j’ai trouvé les Anglais plus bienveillants que les Français concernant mes particularités.

Michel : Je peux prendre ma retraite, quand je t’entends parler comme ça, je me dis qu’on a bien travaillé.

Quels conseils donnerais-tu à des jeunes comme toi ?

Bakay : Ayez confiance en vous. Si vous avez envie de travailler dans un domaine, allez-y. Écoutez les conseils des autres, mais ne les suivez pas forcément. Prouvez votre valeur. Montrez-leur que même si vous êtes autistes, vous pouvez viser haut, vous pouvez aller loin. Et assumez votre autisme.

Michel : Je suis tellement content Bakay de t’entendre parler ainsi. Cela m’émeut. Moi qui te connais depuis que tu as 16 ans, tu as tellement évolué. Je te félicite. Cet entretien me scotche.

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16/09/21, par Jennifer Beneyton

On s’intéresse enfin aux étudiants dyslexiques…

Une étude récente dans la revue Brain Science montre que contrairement à ce qu’on pourrait penser, les étudiants dyslexiques font plus d’erreurs sur les mots simples et courants que sur les mots complexes et que malgré le fait qu’ils font des erreurs, ils ne s’auto-censurent pas dans leurs choix linguistiques. Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre d’Audrey Mazur Palandre, ingénieure de recherche à l’Université de Lyon et autrice principale de l’article.

Votre étude permet de mieux caractériser le profil de scripteur des étudiants dyslexiques. Quels sont les points majeurs à retenir ?

Audrey Mazur-Palandre: Nous savions déjà que ces étudiants présentaient des difficultés persistantes en lecture et écriture et qu’ils avaient un comportement attentionnel atypique, qui pourrait, entre autres, expliquer les erreurs d’orthographe, les faibles performances enregistrées lors du processus de révision (le fait de corriger ses erreurs lors de la relecture), les difficultés à gérer son emploi du temps, les difficultés à combiner prise de note, écoute et compréhension du cours. Plusieurs articles scientifiques, allant dans ce sens, ont été publiés. Certains de ces travaux montrent par exemple que ces étudiants font beaucoup plus d’erreurs en général que des étudiants contrôles : 0 à 10 pour les contrôles tandis qu’on enregistre un minimum de 15 erreurs pour les étudiants dyslexiques, avec un maximum pouvant monter à 65 erreurs par texte. Notre récent article apporte des informations supplémentaires sur les choix lexicaux et les erreurs en production écrite des étudiants dyslexiques. L’un des résultats importants de cette étude est que ces erreurs touchent davantage les mots courts : prépositions, déterminants et homophones (mais-met, pré-près, etc…) alors que nous pensions qu’elles toucheraient les mots plus longs.

Extrait d’une production écrite d’un étudiant présentant une dyslexie, projet de recherche FLEXIDYS

Par ailleurs, nous avions fait l’hypothèse que les étudiants utiliseraient un vocabulaire simple et courant pour essayer de limiter leurs erreurs. Or il s’est avéré que les étudiants de notre étude ne se sont pas auto-censurés. Ils sont conscients de leur trouble, mais ils savent aussi qu’ils ont des choses intéressantes à dire. On peut penser qu’ils sont résignés sur le fait qu’ils font des fautes, alors autant ne pas se limiter en plus sur le fond.

Afin d’étudier le comportement de scripteurs des étudiants, Audrey et ses collègues leur ont demandé d’écrire sur des tablettes tactiles et grâce au logiciel Eye and Pen, ont pu rétrospectivement retracer tout ce qui s’est passé, que ce soit, les pauses, les retours en arrière pour se corriger, les ratures, les erreurs…

Comment expliquer ce phénomène ?

AMP: Les personnes dyslexiques ont globalement peu de confiance en elles. Mais ici, nous nous intéressons à un public spécifique : les étudiants du supérieur. Si ces étudiants sont arrivés jusqu’à l’université, c’est qu’ils ont généralement un parcours scolaire plutôt réussi, même si souvent difficile, laissant supposer que leur entourage était bienveillant et qu’une remédiation efficace, dès l’enfance, a été mise en place. Le fait de parvenir en étude supérieure montre que, malgré une faible confiance en soi, ils restent pugnaces, volontaires et sont néanmoins en réussite scolaire.

Il existe beaucoup d’études chez l’enfant, alors qu’elles sont quasiment inexistantes chez l’adulte. Comment l’expliquer ?

AMP: Si ce trouble est détecté tôt, on peut mettre en place une remédiation efficace qui ne va pas effacer le trouble mais qui va permettre à l’enfant de vivre sa scolarité au mieux. Le Plan Ringard de 2001 a effectivement mis l’emphase sur les enfants qui sont mieux détectés et plus étudiés. Ceci dit, les idées reçues ont la vie dure : beaucoup de gens considèrent encore que la dyslexie s’arrête miraculeusement en grandissant. On ne le répètera jamais assez, il s’agit d’un trouble neuro-développemental qu’on a dès la naissance et pour toute sa vie. L’autre idée reçue c’est que la dyslexie se soigne. Autrement dit, si la remédiation mise en place dès l’enfance est efficace, alors on « guérit » de ce trouble à l’âge adulte. C’est évidemment faux. Il est vrai que certaines personnes ne vivent plus leur trouble comme un problème grâce aux aménagements mis en place et aux diverses stratégies de compensation, mais cela ne veut pas dire que ces personnes ont « guéri ». En fait, ce trouble complexe et multifactoriel évolue différemment selon les individus, leur environnement et les remédiations mises en place… ce qui rend ces profils adultes plus difficiles à caractériser et donc à étudier. Cela étant dit, on peut trouver de nombreuses études internationales sur les adultes dyslexiques, et plus spécifiquement sur l’étudiant présentant une dyslexie dans l’enseignement supérieur. Et les études, en France, se multiplient, ce qui est une excellente chose et ce qui va permettre de toujours mieux comprendre la dyslexie, et notamment la dyslexie à l’âge adulte.

Dyslexie phonologique et dyslexie de surface

Dans l’apprentissage de la lecture, on peut passer par deux voies : la voie de décodage par assemblage et la voie par adressage. La voie de décodage par assemblage consiste à décomposer et associer chaque graphème à un phonème pour arriver à lire le mot. C’est souvent ce qui se passe pendant l’apprentissage de la lecture. Plus le lecteur devient expert, moins il a besoin de passer par le décodage. Il voit un mot, il le lit sans difficulté. C’est la voie par adressage qui est alors sollicitée. Lorsque la voie par décodage est touchée, on parle de dyslexie phonologique. Dans ce cas-là, le lecteur compensera et utilisera davantage la voie par adressage en enrichissant leur lexique interne. Lorsque la voie par adressage est touchée, on parle de dyslexie de surface ce qui signifie que ces personnes, quand elles lisent vite ont tendance à deviner les mots, ce qui entraîne des erreurs. Il existe aussi la dyslexie mixte : ce trouble est très sévère car il affecte les deux voies.

Il est, en effet, très important d’étudier l’adulte.

AMP: Effectivement, comme on l’a dit, ce trouble ne s’arrête pas en grandissant, donc pourquoi cesser d’étudier cette population ? D’une part, tous les outils de remédiation développés pour les enfants ne sont pas adaptés pour les adultes dont les besoins ont évolué au fil des stratégies de compensation mises en place. Utiliser des outils destinés aux enfants pour les adultes a un côté infantilisant. Comme je le disais, ces personnes ont souvent des problèmes de confiance en eux, il n’est pas souhaitable d’en rajouter. D’autre part, le savoir, c’est le pouvoir. Plus les personnes se connaissent, plus elles connaissent leurs troubles, mieux elles feront face. Savoir que ce trouble est d’origine neurobiologique les aide beaucoup à déculpabiliser. Attention, cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire et subir. Mieux connaitre les manifestations de ce trouble chez elles permet aussi de mieux parler de ses besoins. Par exemple, pour en revenir aux étudiants dyslexiques, on leur offre souvent un tiers-temps pour les examens. Or au fil des enquêtes que nous avons mené, nous nous sommes rendues compte qu’ils avaient besoin de temps supplémentaire, certes, mais surtout pour faire des pauses cognitives. Ce tiers-temps est-il vraiment adapté à leurs besoins réels ? Est-ce que nous les formons à l’utiliser à bon escient ?

Dans les média, on a souvent tendance à parler de la dyslexie de façon négative. Pourriez-vous nous parler des compétences liées à la dyslexie ?

AMP: Absolument ! Les personnes dyslexiques sont très persévérantes et volontaires. Ce sont des personnes qui ont toujours dû travailler plus que les autres, donc elles ont des capacités de travail énormes et se montrent pleines de ressources. Elles font souvent preuve d’une grande intelligence sociale, sont très empathiques et résilientes ce qui leur permet de rebondir plus vite. Ce sont aussi des personnes très créatives. On a parfois tendance à croire qu’elles ont un QI inférieur, mais ce n’est pas du tout vrai, c’est la transposition à l’écrit qui pose problème, pas les capacités cognitives. Il n’y a aucun lien entre QI et dyslexie. Nous avons des personnes présentant une dyslexie, possédant un QI plus élevé que la moyenne et étant haut potentiel !

Pouvez-vous nous parler de votre MOOC ?

AMP: À l’origine, c’est la mission handicap de l’Université de Lyon qui m’avait missionnée pour en savoir davantage sur les étudiants dyslexiques. Dès que j’ai lancé ses études, mes collaborateurs et moi-même avons reçu beaucoup de sollicitations pour nous demander d’intervenir auprès d’établissements ou pour faire des conférences. Comme il nous était impossible de répondre à toutes les sollicitations, nous avons eu l’idée de faire un MOOC pour aider les enseignants à être plus inclusifs. Étant donné que les enfants sont mieux détectés et pris en charge, on compte de plus en plus d’étudiants dyslexiques dans l’enseignement supérieur. Il est donc temps de faire évoluer les pratiques.

Notre MOOC « Des étudiants DYS dans mon amphi » est pluridisciplinaire. Nous avons fait intervenir une neuropsychologue, un orthophoniste, des associations de parents, des chercheures (en psycholinguistique et orthophonie), les missions handicap, et une maitre de conférence en psychologie de l’enfant, et bien évidemment des personnes concernées. Il était très important pour nous qu’elles puissent nous parler de leur expérience et de la façon dont elles vivent leurs troubles.

En 4 ans, on compte plus de 23 200 inscrits à travers 86 pays. Certains établissements m’ont contacté pour l’intégrer dans leur cursus de formation initiale pour leurs étudiants, ou pour leur personnel. Ce MOOC rencontre un réel succès car il répond à un véritable manque. Nous avons eu aussi des sollicitations outre-Manche donc nous envisageons de le traduire pour le public anglophone.

Quelques tips en attendant le MOOC

Il n’est pas forcément facile de donner des tips car chaque situation est très personnelle et il faut avant tout écouter la personne concernée exprimer ses besoins. Néanmoins, certaines choses peuvent être mises en place facilement:

  • Distribuer les supports de cours en amont pour que les étudiants aient le temps de les lire
  • Pour chaque nouveau mot important, il convient d’en donner la définition, de l’écrire au tableau, le pointer plusieurs fois pour qu’il s’intègre au lexique interne.
  • Utiliser une police DYS-friendly comme Arial et en taille 14 minimum.
  • Écrire en noir sur fond blanc pour le contraste visuel.
  • Lors d’un examen, prendre le temps de lire les consignes et veiller à ne pas inclure de nouveaux termes dans les questions.
  • Limiter au maximum les distracteurs sur les slides.

Pour le reste, rendez-vous en janvier!

Ressources:

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09/09/2021, par Raphaele von Koettlitz

L'épanouissement des jeunes pousses de La Pépinière des Talents

La Pépinière des Talents est une association qui propose une prépa apprentissage  pas comme les autres. Accueillant dix jeunes personnes neuroatypiques de 16 à 19 ans à Moirans, la structure les accompagne dans la réalisation de leur potentiel et les prépare au monde du travail. Nous nous sommes entretenus avec Marine Fourest Raymond, cofondatrice et directrice, pour en savoir plus cette association  et sa philosophie.

Comment tout a commencé

Entre 5 et 7% des enfants scolarisés sont touchés par des troubles du spectre DYS, ​​ qui comprennent la dyslexie, la dysphasie, la dyspraxie, la dyscalculie et le TDAH. Cependant, les écoles classiques ne sont pas bien équipées pour soutenir les enfants ayant des différences d’apprentissage. Il existe de nombreuses écoles alternatives qui proposent un enseignement inclusif et aident les jeunes à avoir une meilleure estime d’eux-mêmes, toutefois elles sont généralement coûteuses et s’arrêtent à l’âge de 16 ans.

Marine, s’appuyant sur ses propres expériences en tant que mère d’un enfant atypique, a reconnu la nécessité d’un établissement permettant aux adolescents de poursuivre leurs études dans un environnement adapté. Elle a donc commencé à réfléchir à la création d’un collège inclusif où les jeunes pourraient s’épanouir.

Le ministère du travail a vu la valeur de son projet, qui permettrait à des jeunes souvent laissés de côté, d’acquérir les compétences et l’indépendance nécessaires pour entrer sur le marché du travail. La Prépa apprentissage a donc été financée dans le cadre du Plan d’investissement dans les Compétences.

La Pépinière des Talents était née !

Les jeunes de La Pépinière des Talents

Un dispositif pédagogique innovant

Tous les élèves à La Pépinière des Talents présentent de multiples troubles DYS, qui se traduisent de manière différente pour chacun. Il est très courant d’avoir des différences d’apprentissage qui se chevauchent, on estime que 40% de personnes concernées présentent plusieurs troubles. Chaque trouble a ses spécificités mais beaucoup de personnes ‘DYS’ sont affectées par des difficultés de concentration et d’organisation. La fatigue est également un réel enjeu, car l’utilisation de stratégies de compensation demande beaucoup d’énergie. La démotivation, le manque de confiance en soi et d’estime de soi sont également assez fréquents chez les élèves portant des troubles DYS. Ceux-ci sont souvent déclenchés ou accentués par des environnements scolaires traditionnels qui ne prennent pas en compte les défis auxquels les étudiants peuvent être confrontés.

C’est pourquoi, à La Pépinière des Talents, l’équipe pluridisciplinaire travaille pour créer une dynamique qu’ils appellent “la spirale ascendante, et non descendante”.

Une image d'un garçon triste et d'une spirale descendante, avec des mots comme stupide, à côté d'une fille à l'air heureux avec une spirale ascendante avec des mots comme créative et intuitive.

C’est une approche qui valorise les talents et compétences uniques de chacun et renforce l’apprentissage de manière innovante pour relever les défis. On parle de pédagogie « projet ». L’apprentissage est ancré dans des activités concrètes qui contextualisent les concepts pouvant sembler un peu abstraits. Marine expliquait,

“par exemple, pour apprendre les calculs simples tout le monde se mettait debout pour mesurer la salle de classe en utilisant les objets, ou même leur corps. Un garçon qui mesure 1m80 a pu calculer la taille de la pièce en s’allongeant sur le sol.”

L’apprentissage est également très holistique, allant d’activités telles que la création d’une bande dessinée à la gestion de ses émotions. Travailler sur la confiance en soi et le bien-être est une partie essentielle du programme. Les jeunes sont encouragés à découvrir ce qu’ils aiment faire et à travailler sur les compétences importantes dont ils auront besoin à l’avenir. Ils peuvent décider de ne pas participer à un projet, mais doivent proposer une alternative. Chaque expérience fait l’objet d’un bilan afin d’en tirer le plus d’enseignements possibles.

L’un des principaux objectifs est d’accompagner les jeunes vers l’emploi, ils ont donc accès au pôle d’orientation où ils peuvent découvrir différentes carrières. Grâce à des présentations de professionnels et des visites d’entreprises, les jeunes se font une idée des possibilités qui s’offrent à eux. Ils font des évaluations Potentialis pour repérer leur potentiel en termes d’aptitudes sensorielles, de créativité, de raisonnement logique et de communication. Ce bilan aide les jeunes à s’orienter vers les métiers alignés avec leurs compétences.

Une équipe à l’écoute des besoins

L’équipe est très pluridisciplinaire, constituée d’enseignants spécialisés dans le neurointégration d’ergothérapeutes, de neuropsychologues et d’intervenants du monde de travail. Ils reconnaissent que les personnes ayant des différences d’apprentissage font preuve de compétences recherchées, mais ont besoin d’un soutien spécialisé pour les valoriser.

Ils travaillent ensemble, avec les jeunes aussi, pour construire les stratégies d’adaptation ou de compensation qui leur conviennent. Les élèves DYS bénéficient de méthodes d’enseignement inclusives, telles que l’utilisation d’approches multisensorielles. La structure propose également des outils de compensations, par exemple les logiciels comme XMind pour faire les cartes mentale ou Dragon pour dicter son texte.

Regarder vers l’avenir

La première promotion a quitté La Pépinière des Talents en juin 2021, se dirigeant vers différents emplois ou la poursuite de leurs études. Des créations artisanales d’origami à l’informatique, on peut dire que La Pépinière des Talents a été un tremplin important dans leur cheminement vers l’indépendance.

L’association développe également un dispositif de recherche sur l’apprentissage inclusif, la pédagogie active vs alternative et l’accessibilité.

Il est évident que des établissements comme celui-ci sont nécessaires, c’est donc une excellente nouvelle que Marine et son équipe projettent l’ouverture d’autres centres à Beaurepaire, Lyon, Bordeaux et Paris. On attend avec impatience de voir comment cette pépinière va essaimer!

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13/09/2021, par Raphaele von Koettlitz

Digitrack va-t-il révolutionner le diagnostic des troubles cognitifs ?

Et si nous vous disions qu’il existe une solution en cours de développement qui pourrait révolutionner le processus de diagnostic des troubles du neuro-développement ? Grâce aux travaux d’Angela Sirigu, de Guillaume Lio et Jean-René Duhamel de l’Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod (Lyon), la start up SIBIUS, dirigé par Corinne Avelines, est en train de mettre au point une plate-forme numérique s’appuyant sur le procédé Digitrack, une invention qui permet d’évaluer l’état cognitif d’une personne, notamment dans le cadre de dépistage de troubles comme l’autisme… en 5 à 10 minutes maximum ! C’est un outil simple qui peut rassurer et guider dans le « parcours du combattant » du diagnostic. Digitrack est le fruit d’un processus de recherche translationnelle réussie.

Comment ça marche ?

Quelqu'un qui touche l'écran d'une tablette qui est flou sauf à l'endroit où se trouve son doigt.

Digitrack permet de mesurer indirectement le mouvement oculaire en explorant des images floues sur une tablette. On présente au sujet une tablette qui lui montre des images floutées qu’il doit explorer avec le doigt. L’image se défloute localement à l’endroit où le sujet touche l’écran. Il a été précédemment montré qu’il y a une corrélation entre l’exploration tactile et le mouvement des yeux.

Les explorations de l’utilisateur sont analysées à l’aide d’algorithmes d’apprentissage automatique, il est possible de différencier les individus « neurotypiques » des individus « atypiques ». Un rapport est automatiquement généré pour le professionnel de santé, qui explicite l’évaluation cognitive du sujet et les prochaines étapes.

Cette solution digitale ne remplace pas les autres tests de diagnostic ou évaluations cliniques, mais elle est complémentaire et conçue pour accélérer et fluidifier les étapes suivantes.

Un test rapide et fiable

Il s’agit d’une avancée primordiale car l’évaluation n’est pas biaisée par la subjectivité, la fatigue, l’erreur ou le manque de connaissances – autant de facteurs qui peuvent empêcher une évaluation initiale efficace. Si un médecin voit des patients toute la journée de 9h à 18h, il est normal qu’il ne tire pas les mêmes conclusions le lundi matin que le vendredi à la dernière heure.

Informé par les données et les algorithmes de machine learning, Digitrack est donc un moyen de tester de façon rapide, objective et consistante dans le temps, quel que soit le contexte de la passation du test.

L’importance d’un diagnostic précoce

Aujourd’hui, l’âge moyen du diagnostic de l’autisme est de 6.8 ans et 7.9 ans pour les troubles DYS. Mais que se passerait-il si nous pouvions tester tous les individus plus tôt ? Les enfants pourraient bénéficier d’un soutien plus approprié, tant en classe qu’en dehors, dès leur plus jeune âge, ce qui aurait un impact positif sur leur confiance en eux, leur intégration et leur réussite scolaire.

Actuellement, 54% de personnes doivent attendre de quelques mois à plus d’un an pour une consultation avec un spécialiste après les premiers doutes. Ce retard est principalement dû aux difficultés à obtenir un rendez-vous (52 %) et à la méconnaissance des professionnels vers lesquels se tourner (29 %).

Le temps d'attente pour rdv

Un outil pour qui ?

Le test prend 5 à 10 minutes et pourrait être utilisé chez les enfants âgés de 2 ans et plus, soit de manière systématique soit lorsqu’il y a une suspicion de trouble cognitif.
 

L’équipe de SIBIUS est en train développer d’autres tests basés sur le même procédé que Digitrack, pour être en mesure de discriminer finement d’autres troubles, comme la perte de capacités cognitives liés à la vieillesse, les troubles de l’attention, etc.

Lors de sa commercialisation, cet outil serait proposé aux professionnels de santé dans un premier temps, notamment ceux qui constituent la « première ligne » : médecins généralistes, pédiatres, orthophonistes, PMI etc. Ce sont les praticiens qui reçoivent le grand public, notamment en cas de suspicion de troubles, mais qui ne sont pas forcément des spécialistes du neuro-développement.

Tous les praticiens qui utiliseront l’outil seront formés de manière approfondie à la passation du test, démocratisant ainsi la possibilité de diagnostiquer différents troubles neuro-développementaux et cognitifs. Cela devrait contribuer à accélérer le processus global de diagnostic et diminuer l’errance diagnostic.

Il est également prévu que les particuliers puissent utiliser une « version allégée » sur leur propre appareil numérique, s’ils soupçonnent un trouble qu’ils souhaitent investiguer. Par exemple, cela pourrait être très utile pour les parents de jeunes enfants qui souhaitent confirmer des indications initiales.

Enfin, Digitrack pourra être utilisé dans le développement de traitements pharmacologiques pour les personnes ayant des troubles du neuro-développement. La technologie pourra être utilisée lors des essais cliniques pour comprendre l’efficacité de nouvelles molécules.

Quelle est la suite ?

SIBIUS continue d’affiner cette technologie en amassant toujours plus de données au travers de partenariats stratégiques avec différents établissements en France et à l’étranger. À terme, Digitrack sera également capable de détecter :

  • La présence d’une commotion cérébrale – comme un AVC ou un traumatisme crânien,
  • Différents troubles cognitifs,
  • Les troubles neurodégénératifs comme la maladie d’Alzheimer,
  • La dépression,
  • L’anxiété ou le stress,
  • Le TDA(H)

Nous suivrons les progrès de SIBIUS dans le développement et la commercialisation de sa plate-forme digitale. Nous vous tiendrons régulièrement informés !

Ressources:

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