10/01/22, par Jennifer Beneyton
Devenir parents quand on est autiste
Le 14 janvier dernier, nous avons invité Marine Dubreucq, sage femme référente de parcours en périnatalité, et Adeline Lacroix, doctorante en neurosciences et personne concernée, pour discuter de cette question:
Les intervenantes
Adeline Lacroix est actuellement doctorante en neurosciences et psychologie cognitive à l’université Grenoble Alpes. Son sujet de thèse porte sur les spécificités du cerveau prédictif chez les personnes autistes. Par ailleurs, ayant elle-même reçu un diagnostic d’autisme en 2014, elle s’est particulièrement intéressée au sujet des femmes autistes, notamment au regard des travaux de recherches. Elle souhaite transmettre au plus grand nombre les connaissances actuelles sur les spécificités des femmes autistes qui existent tant d’un point de vue phénotypique que de part leur condition de femme.
Marine Dubreucq est sage-femme référente de parcours en périnatalité. Elle a travaillé au Centre Expert FondaMental TSA-SDI de Grenoble de 2017 à 2020 où elle a contribué au développement d’une offre de soins et services à destination des femmes avec autisme, via la mise en place d’une consultation dédiée, d’un l’accompagnement pendant les 1000 premiers jours pour les parents avec TSA-SDI et d’interventions en individuel et en groupe. Elle intégrera le dispositif LE(A)²N de Saint Etienne à partir de janvier 2022 où elle poursuivra ce travail. Elle coordonne un groupe de travail sur la parentalité chez les personnes autistes au sein du Centre d’Excellence I-Mind sur les troubles du neurodéveloppement de Lyon.
Pourquoi a-t-on besoin, encore aujourd’hui, de poser la question de la parentalité chez les personnes autistes ?
Adeline Lacroix : Cela vient en partie de la conception qu’on a eu de l’autisme pendant longtemps. On n’imaginait pas que les personnes autistes pouvaient devenir parents. Cette méconnaissance a aussi laissé des traces dans certaines familles avec des mères accusées de maltraitance.
Marine Dubreucq : On diagnostique de plus en plus de femmes autistes, non pas parce qu’il y en a plus, mais parce qu’on sait mieux les détecter. Cela signifie aussi aborder des questions sous un nouvel angle. Non pas que la question de la parentalité n’existait pas avant, puisque les hommes sont tout aussi concernés, mais l’enjeu était considéré comme moindre. La société change aussi, ce qui est très positif car on supporte de moins en moins la stigmatisation et l’injustice. Les personnes concernées vont plus faire entendre leurs voix, il semble donc logique qu’on en parle aujourd’hui plus qu’avant. Mais effectivement, cela devrait aller de soi.
Selon vous, est-ce qu’il y a encore beaucoup de personnes qui, du fait de leur autisme, se posent la question de devenir parents ?
AL : Parmi les personnes que je connais, il y en a pas mal qui sont parents dont une bonne partie qui ont découvert leur autisme après avoir eu leurs enfants, à l’occasion de leur diagnostic par exemple. Parmi ceux qui ne sont pas parents, ce qui revient souvent c’est que cela représenterait une trop grosse responsabilité supplémentaire par rapport aux challenges déjà présents du quotidien.
MD : La parentalité est un sujet complexe pour tout le monde aujourd’hui. Notre société fait face à pas mal de bouleversements et de questionnements. Beaucoup de femmes renoncent du fait de leur autisme, mais beaucoup de femmes décident d’en avoir malgré tout car elles sentent la pression de la société à faire des enfants, quitte à parfois le regretter. Et d’ailleurs, cela ne se voit pas que chez les femmes autistes, cela s’observe aussi chez les personnes dites neurotypiques.
Avez-vous un message pour les personnes autistes aspirant à devenir parents ?
MD : Je voudrais leur dire qu’ils seront des parents comme les autres, ils partageront les mêmes soucis que les autres parents et les mêmes doutes. Ils vont se poser les mêmes questions que tout le monde, avec le prisme de leur particularité. Ce qu’il faudra, c’est bien s’entourer, de professionnels bienveillants et informés sur l’autisme. C’est important qu’ils osent exprimer ce désir de parentalité ou de non parentalité.
AL : Je pense qu’il est important de rappeler qu’il ne faut pas se comparer aux autres, que ce soit dans la parentalité ou ailleurs. Il est facile de tomber dans le « je ne suis pas comme ci, ou comme ça, regarde comment il/elle fait, ce n’est pas bien ce que je fais ». Certaines mamans me disaient qu’elles avaient l’impression qu’elles n’avaient pas le même lien avec leurs enfants alors que c’étaient de supers mamans. Il y a plein de manières d’être parents, celle des personnes autistes n’est pas moins bien parce qu’elle est différente, et puis au final, est-elle vraiment si différente ?