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21/12/21, par Jennifer Beneyton

De l’importance de la neurodiversité en milieu professionnel : le cas de Renault Trucks Europe

Franck Gillet est responsable RH pour Renault Trucks Europe. En 2019, il a recruté Bakay Fofana, un jeune apprenti autiste pour un contrat d’un an. Il nous raconte avec sincérité sa première réaction, sa collaboration avec Bakay au quotidien, et finalement le bilan très positif de l’expérience.

Pouvez-vous nous raconter comme s’est passé le recrutement de Bakay ?

Franck Gillet: Renault Trucks s’engage depuis des années à faire évoluer ses pratiques vers plus d’inclusion. Cela se matérialise par exemple par un handi’accord que nous faisons en sorte de renouveler tous les 4 ans. Nous sommes d’ailleurs en train de le faire actuellement.

Il se trouve que je cherchais un apprenti pour le service RH. Nous en accueillons régulièrement. Notre référente handi’accord m’a informé de la candidature d’un jeune homme autiste du nom de Bakay. Très honnêtement, ma première réaction a été plutôt tiède à l’époque. Mais en étant RH, je connais aussi la difficulté de trouver des profils qui peuvent convenir. J’ai donc convoqué Bakay pour un entretien, au même titre que les autres candidats et c’est finalement lui que j’ai retenu car c’est lui qui correspondait le mieux au poste. J’avais besoin de quelqu’un qui parle anglais et qui soit compétent dans le traitement de données. Le lieu d’exercice était très calme et isolé, ce qui collait parfaitement avec sa particularité. C’était donc la candidature parfaite pour le poste. On sentait aussi de sa part une réelle motivation pour le poste, ce qui n’est pas le cas de tous les candidats, croyez-moi !

Beaucoup de caractéristiques des personnes autistes peuvent se révéler être de vraies compétences. Comment s’est passé son intégration chez vous ?

FG: Son intégration s’est faite de façon classique, sauf que nous avions un interlocuteur privilégié en plus de l’école : le SESSAD Les passementiers. Grâce aux conseils de Monsieur Allouche et de sa collègue qui avaient soulevé quelques points de vigilance dans la façon de travailler avec des personnes TSA, nous avons particulièrement porté notre attention sur le fait de mettre les consignes par écrit. Cela demande un petit effort de rigueur et de transparence mais ce n’est pas une mauvaise chose finalement. J’ai uniquement informé mon équipe proche du fait que Bakay était autiste, pour les sensibiliser à certains points, en dehors de cela, j’ai normalisé sa présence auprès des collaborateurs plus éloignés.

Comment s’est passé la collaboration avec lui ?

FG: Tout s’est très bien passé ! Comme nos bureaux étaient proches physiquement, cela permettait d’échanger régulièrement. Je veillais à faire des points fréquemment pour savoir où il en était, s’il y avait des points de blocage, s’il fallait que je réexplique…, mais de la même manière que je le fais avec les autres apprentis. Bakay est quelqu’un d’extrêmement réactif, quand je lui demandais quelque chose, c’était toujours fait très rapidement et avec le résultat, pourvu qu’il ait bien compris ce qui était attendu. Il prenait en main les choses, il passait les coups de fil si nécessaire, y compris en anglais puisque c’était une condition pour le poste. Il était volontaire et à l’aise pour le faire.

J’ai calibré les activités de façon progressive pour ne pas qu’il se sente trop débordé au début. Je l’ai fait aussi travailler sur des sujets plus en profondeur, que nous avons abordé par étape et ça a très bien marché aussi.

J’ai aussi écarté certaines activités de ses missions car elles n’étaient pas compatibles avec sa manière d’être. Par exemple, les réunions se sont révélées plus compliquées que prévu. Écouter sans rien faire, c’était difficile pour lui. Il passait la réunion sur son téléphone, au vu et au su de tout le monde. En réunion de service, ça peut passer, mais lorsque nous sommes avec des personnes extérieures, c’est plus délicat. Par la suite, je lui ai proposé de ne plus venir et je lui faisais un résumé des points les plus importants et ça lui convenait mieux.

Cet encadrement un peu plus personnalisé que vous avez mis en place pour Bakay a-t-il été coûteux en temps pour vous ?

FG: Pas tellement plus que pour d’autres apprentis. Nous parlions aussi beaucoup des comportements sociaux et des attitudes à avoir dans le cadre professionnel. Il ne savait pas s’il devait sourire, pas sourire, quoi dire à la machine à café etc… Donc effectivement il a fallu prévoir un peu de temps pour ça, mais c’est aussi le travail d’intégration qu’on doit faire pour tout nouvel arrivant. Certaines personnes n’ont pas les bons codes sociaux non plus, et pourtant elles ne sont pas spécialement porteuses de troubles du neuro-développement.

À côté de ça, j’ai beaucoup apprécié la façon dont il s’est comporté tout au long de sa présence avec nous. Il respectait parfaitement ses horaires, il me prévenait quand il était en retard, ce que ne font pas tous les apprentis. On dit souvent que c’est une question de génération, qu’il faut qu’on s’adapte… Eh bien, pas forcément ! Il a une personnalité très attachante, quand on discutait de sa vie plus personnelle, de sa famille etc… Nous avons tissé des liens comme je les tisserais avec d’autres collègues.

Quel bilan faites-vous de cette expérience ?

FG: Il est positif mais frustrant car nous n’avons pas pu mener l’alternance jusqu’au bout (COVID oblige). J’ai essayé de rester en contact avec lui autant que possible et j’ai assisté à sa soutenance. Il s’en est sorti de façon honorable par rapport aux attendus. Il n’a pas fait plus d’erreur que d’autres étudiants que j’ai pu recevoir.

Vous disiez que votre première réaction avait été plutôt tiède. Est-ce que votre regard a changé maintenant sur les personnes TSA ?

FG: Oui, absolument. Dans mon entourage, je connais des personnes en situation de handicap. Je suis plutôt sensibilisé à cette question, mais je ne m’étais jamais posé la question de leur insertion dans le milieu professionnel. Et je pense que comme beaucoup de gens, j’avais des préjugés qui ont été déjoués. Le regard change. L’intervention du SESSAD a été primordiale car cela a permis d’aider à l’accueil, à ma compréhension du fonctionnement de Bakay et de ses besoins. Nous étions en lien de temps en temps, nous avons fait un bilan de mi-parcours pour parler de son adaptation.

Depuis le passage de Bakay, avez-vous eu l’occasion de recruter d’autres personnes neuro-atypiques ?

FG: Pas à ma connaissance. Mais l’entreprise est grande donc c’est possible. Je suis sûre que parmi nos collaborateurs, il y a des personnes porteuses de troubles du neuro-développement. Dans le cadre de notre handi’accord, nous travaillons beaucoup sur le maintien dans l’emploi. Nous proposons des aménagements de postes de travail pour les personnes déficientes visuelles et auditives. Nous offrons les aménagements nécessaires, des journées pour les rendez-vous médicaux ou les renouvellements RQTH. Nous pouvons aussi prendre en charge l’aménagement des véhicules personnels si nécessaire, etc…. Nous essayons d’instaurer un climat de confiance pour que nos collaborateurs se sentent libres de parler des obstacles qu’ils rencontrent. Nous essayons en retour de les aider à vivre leur emploi le plus normalement possible.

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