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19/10/2021, par Jennifer Beneyton

Traiter la douleur pour diminuer les troubles du comportement

Le Dr Arnaud Sourty est spécialiste du traitement de la douleur et exerce auprès de patients autistes avec et sans déficience intellectuelle (DI). Il mène un travail de sensibilisation au sein du collectif douleur qui vise à aider les professionnels de santé à mieux prendre en charge les douleurs de leurs patients, en particulier non verbaux. En mars 2021, il a reçu un financement de la Fondation APICIL (cf communiqué de presse) pour réaliser une étude auprès de 200 sujets. Nous sommes allés à sa rencontre.

Il semblerait qu’il y ait un lien entre les troubles du comportement et des douleurs. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis une petite dizaine d’années, on voit émerger l’idée que les troubles du comportement que nous observons chez nos patients autistes seraient le résultat de douleurs non traitées. Cela semble assez logique quand on s’intéresse au fonctionnement de notre cerveau. En effet, c’est lui qui code la douleur dans certaines aires bien précises. Lorsque nous ressentons différentes douleurs simultanément, une hiérarchie se met en place. C’est la douleur la plus forte qui prend le dessus, l’autre ne disparaît pas, mais elle est masquée. Donc, si un patient a des accès de violence contre les autres ou contre lui-même, il vaudrait mieux rechercher des douleurs non traitées plutôt que d’augmenter sa prescription de psychotropes.

Où en êtes-vous de votre projet avec la Fondation APICIL ?

Nous sommes en train de présenter notre protocole de recherche au Comité de Protection des Personnes (CPP), mais nous rencontrons quelques difficultés. En effet, ils attendent de nous de codifier les troubles du comportement, or c’est impossible. Tous les patients autistes sont uniques, on ne peut pas les mettre dans des cases. Comme on dit souvent : quand vous avez vu une personne autiste, vous avez vu une personne autiste. L’objectif est de déterminer la proportion de patients qui viennent pour des troubles du comportement et qui en fait présentent des douleurs non traitées. À mon sens c’est largement sous-estimé, mais c’est ce que j’espère montrer avec ce projet !

Comment pouvez-vous évaluer la douleur des patients, surtout s’ils sont non-verbaux ?

Les personnes autistes sans DI arrivent à exprimer leur douleur, mais éprouvent beaucoup de difficultés à la comprendre. En effet, ces douleurs proviennent souvent de troubles de la sensorialité, notamment d’une hyperesthésie cutanée, qui entraînent un inconfort au toucher. On parle d’allodynie, c’est-à-dire la production d’une douleur par une stimulation non-douloureuse. Si leur médecin ne sont pas formés à cela, ils vont penser que les patients relèvent davantage de la psychiatrie alors qu’il s’agit de troubles sensoriels.

Pour les patients non-verbaux, c’est effectivement plus compliqué. Des outils d’évaluation ont été créés. Nous prônons l’utilisation de la grille GED-DI, qui a été mise au point pas une équipe canadienne et qui a subi quelques adaptations, notamment pas les équipes mobiles du CRA. On remplit une première fois la grille afin de déterminer l’état de base du patient, qui est associé à un score. Chez nos patients autistes avec DI, l’état de base n’est jamais à 0, ils présentent toujours des troubles du comportement mineurs. Puis lorsqu’on remarque des changements de comportement, on la remplit à nouveau. Si le score varie d’au moins 6 points, on peut commencer à s’interroger sur la possibilité d’une douleur. Au-delà de 10, c’est quasiment une certitude. Attention, le changement de comportement peut aussi aller dans le sens d’un retrait, d’un isolement. On a souvent tendance à imaginer les comportements exacerbés des patients comme des signaux d’alerte, mais un patient qui s’isole, qui parle moins, qui ne rit plus doit aussi être un signal d’alerte. L’expression de la douleur est tout à fait personnelle.

Qui peut remplir cette grille ?

N’importe qui de l’entourage du patient. Il faut évidemment avoir été à son contact pendant quelques temps pour connaître son comportement, mais sinon, les items sont clairs et concis. La personne qui remplit la grille doit le faire rapidement (pas plus de 5 minutes), sans réfléchir, sans interpréter les évènements. Sinon, cela ne peut pas marcher. La douleur est subjective. Grâce à ces grilles, on essaye de ramener de l’objectivité dans la douleur. Il faut veiller à la remplir sur un temps d’observation d’une demi-journée et non pas se concentrer sur un temps de crise, sinon, l’évaluation s’en trouvera faussée. Il existe d’autres grilles (ESDDA du Dr Saravane, AlgoPlus, San Salvadour…), mais la GED-DI est à mon sens la plus complète et la plus discriminante.

Vous dîtes que la douleur est subjective ?

Absolument. La douleur est ressentie différemment chez chacun et varie selon l’état d’esprit de la personne. Imaginons que je vous fasse passer un test pour déterminer votre seuil de douleur. Pour ce faire, je vous demande de tenir dans votre main une électrode dont je vais faire monter la température. Il est probable qu’autour de 38°C, vous lâchiez l’électrode car cela devient trop chaud pour vous. Mais peut-être que votre collègue n’ira que jusqu’à 36,5°C. Et si je vous montre des images affreuses pendant une dizaine de minutes entre deux tests, vous allez lâcher l’électrode à 35°C. Votre seuil de la douleur aura diminué du fait du stress généré par la vision de ces images. Donc imaginez, pour un patient autiste, qui anticipe, qui se sur-adapte en permanence, qui est sans cesse en situation de stress. Son seuil de douleur est très bas, ce qui peut l’amener à développer un trouble du comportement lorsque la douleur devient trop insupportable.

Idem, je me méfie toujours des personnes qui sont soi-disant insensible à la douleur. Dans certains cas, cela s’explique neurologiquement, certes. Mais parfois, lorsque les manifestations de la douleur ne sont pas aussi évidentes que « Aïe, j’ai mal », on peut passer à côté.

Comment peut-on soulager les patients ?

Tout dépend du type de douleur. Il en existe trois principales : les douleurs neuropathiques qui sont prises en charge avec des traitements médicamenteux spécifiques, les douleurs nociceptives qui sont des douleurs qui résultent d’un dysfonctionnement physiologique et qu’on traite facilement avec des antalgiques classiques et enfin les douleurs nociplastiques qui sont l’expression somatique d’un mal-être et pour lesquelles les traitements médicamenteux seuls sont peu efficaces. On privilégiera les approches non médicamenteuses telles que la sophrologie, la relaxation, l’hypnose…

Il y a aussi la question des douleurs chroniques. Si je me tape le pied dans la porte, mon système nerveux va libérer de la morphine de façon endogène pour calmer la douleur. Quand une douleur s’installe plus de trois mois, ces mécanismes de régulation s’altèrent et mon seuil de résistance à la douleur diminue ce qui entraîne une sensation de douleur quasi permanente et difficilement identifiable car tous les récepteurs de la douleur sont petit à petit stimulés. Les patients présentant des troubles du comportement souffrent souvent de douleurs chroniques. Ces douleurs, ressenties depuis longtemps sans qu’elles ne soient repérées ni traitées entraînent une plus grande sensibilité à la douleur qui, avec le temps, génèrent des troubles du comportement.

J’insiste sur le fait qu’il ne faut pas minimiser la douleur, même s’il n’y a pas de justification physique de prime abord. La douleur est profondément personnelle et nul n’a le droit de la remettre en question.

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