Autisme : les différences entre filles et garçons sont-elles présentes dès la naissance ?
Les débats sont animés au sujet des manifestations genrées du trouble du spectre de l’autisme (TSA). De fait, beaucoup de filles et de femmes autistes passent inaperçues, malgré des difficultés dans la communication et les interactions sociales. Le DSM-5, l’un des principaux ouvrages de classification psychiatrique, estime d’ailleurs qu’il y aurait 1 femme autiste diagnostiquée pour 4 hommes autistes. Est-ce parce qu’il y a réellement moins de femmes que d’hommes autistes, ou est-ce dû à des manifestations différentes du trouble selon le genre et/ou le sexe ? Un précédent article d’iMIND avait déjà exploré la question du sous-diagnostic des femmes autistes en parlant de “signes” d’autisme moins reconnaissables et de la tendance des femmes autistes à mieux dissimuler leurs particularités.
Considérant l’hétérogénéité du TSA, des chercheur·euse·s du Centre d’excellence sur l’autisme de l’Université de Californie à San Diego ont décidé d’étudier les différences entre les sexes chez des jeunes enfants autistes de 12 à 48 mois. Étudier ces différences dès le plus jeune âge permettrait entre autres de limiter les biais induits par le camouflage social et d’observer les variations du trouble quand il est visible.
Comment l’équipe de recherche a-t-elle procédé ?
La population étudiée
D’autres études sur le sujet ont déjà été effectuées, mais leurs résultats divergent grandement en raison de la taille de la population étudiée, de la durée de l’étude ou encore des méthodes employées. Ici, les chercheur·euse·s de San Diego ont pu suivre 2618 enfants de 12 à 48 mois entre 2002 et 2022. 75% d’entre eux avaient été repérés grâce au modèle Get SET Early®, un programme états-unien de dépistage de l’autisme dès 12 mois lors des visites de contrôle chez le ou la pédiatre. Les 25% d’enfants restants avaient été adressés au Centre pour une évaluation de leur développement. Dans chaque cas, les parents ont participé au dépistage en remplissant le questionnaire Communication and Symbolic Behavior Scales Developmental Profile™ Infant-Toddler Checklist.
Passé ce dépistage initial, des professionnel·le·s de santé ont effectué 18 tests chez chaque enfant afin notamment de diagnostiquer un potentiel autisme, mais aussi d’évaluer les compétences sociales, la compréhension et l’expression orale, la gestuelle, la motricité et de la perception visuelle.
Lors d’un dépistage, on utilise des échelles dont la sensibilité permet de repérer la plupart des personnes autistes. Elles permettent de ne pas passer à côté de cas, mais peuvent aussi identifier à tort certaines personnes non autistes : on parle alors de faux positifs. Le dépistage permet d’orienter les professionnel·le·s vers un diagnostic.
Lors d’un diagnostic, on utilise des échelles dont la spécificité permet de confirmer avec précision la présence de l’autisme. Cependant, elles peuvent parfois ne pas détecter certaines personnes avec une forme plus discrète : on parle alors de faux négatifs. Le diagnostic permet de confirmer la présence ou non d’un TSA.
⇒ Les échelles de dépistage et de diagnostic ont toutes deux leurs atouts et leurs faiblesses. Une évaluation clinique doit toujours être nuancée.
À l’issue des tests diagnostiques, les jeunes enfants ont été séparés en trois groupes : les enfants autistes, les enfants avec un retard de développement et les enfants neurotypiques (au fonctionnement neurologique considéré dans la norme).
Les analyses menées
Les chercheur·euse·s ont mené trois types d’analyse :
- une comparaison entre les filles et les garçons à un moment fixe,
- une comparaison classant tous les enfants par niveau de performance,
- une comparaison entre les filles et les garçons sur le temps long.
Comparaison entre les filles et les garçons de chaque groupe
En premier lieu, les chercheur·euse·s ont analysé les différences entre les sexes pour chaque groupe d’enfants. En effet, chercher les différences seulement entre les filles et les garçons autistes aurait été une démarche incomplète : il faut pouvoir comparer avec les enfants neurotypiques. Pour effectuer ces comparaisons, l’équipe de recherche a inclus des données relevées à différents moments, afin de limiter les effets liés aux âges différents des participant·e·s.
Chez les enfants autistes, les garçons avaient des scores inférieurs à ceux des filles dans le questionnaire de dépistage rempli par les parents. Cependant, dans 17 tests diagnostiques sur 18, les chercheur·euse·s ont noté qu’il n’y avait pas de différences significatives entre filles et garçons. La seule différence se trouvait au niveau des compétences dans la vie quotidienne, évaluées par les Vineland Adaptative Behavior Scales, où les filles avaient un meilleur score.
Chez les enfants ayant un retard de développement, il n’y avait pas non plus de différences significatives entre filles et garçons.
Chez les enfants neurotypiques en revanche, les garçons avaient des performances moindres que les filles à la fois dans le questionnaire de dépistage rempli par les parents et dans 10 des tests diagnostiques effectués par les professionnel·le·s de santé. Les filles neurotypiques avaient de meilleurs scores dans des domaines comme la motricité fine, le langage ou la perception visuelle.
Comparaison par niveau de performance des nourrissons
Plutôt que de simplement en rester à des comparaisons entre filles et garçons autistes, neurotypiques et avec un retard de développement, les chercheur·euse·s ont essayé de comparer tous les enfants, peu importe à quel groupe ils ou elles appartenaient. L’équipe de recherche a utilisé la Similarity Network Fusion (SNF), une méthode algorithmique permettant de regrouper les profils qui vont naturellement ensemble en combinant le plus de données possible. Ici, des mesures de signes de l’autisme (avec l’Autism Diagnostic Observation Schedule, ou ADOS), du comportement adaptatif – autonomie, communication – (avec les Échelles de comportement adaptatif Vineland) et du développement cognitif (avec les Mullen Scales of Early Learning, ou MSEL) ont été utilisées.
La Similarity Network Fusion (SNF) est une technique d’analyse par grappe : les profils des enfants ont été examinés dans le but de déterminer les regroupements naturels en fonction des performances sociales, motrices ou langagières.
Cette analyse par grappe a eu lieu en deux étapes :
- Tout d’abord, on a pris 80% des enfants (1337) et la SNF a permis de constater qu’il était possible de les classer en trois groupes selon leur niveau de performance (élevé, moyen ou faible). Ces enfants ont permis d’avoir des données d’entraînement pour le modèle pendant sa conception.
- Ensuite, ces trois groupes ont été étendus aux 20% d’enfants restants afin de valider la pertinence du modèle. Ces enfants ont permis de tester le modèle une fois qu’il a été créé (données de test).
Les groupes n’ont été formés qu’avec les données de trois tests différents (ADOS, Vineland et MSEL). Toutefois, les chercheur·euse·s ont aussi utilisé les mesures récoltées par d’autres tests (les variables externes) afin d’être plus exhaustif·ve·s.
Il semblerait donc que les filles et les garçons autistes se ressemblent bien plus entre eux que les filles et les garçons neurotypiques, malgré quelques éléments allant globalement dans le sens de meilleures capacités pour les filles peu importe la catégorie.
Analyses sur le long terme
Enfin, les chercheur·euse·s ont effectué une analyse dans la durée, en observant la trajectoire des enfants autistes et des enfants neurotypiques à travers le temps (de 12 à 48 mois).
Chez les enfants autistes, il n’y avait pas de différence au début ; mais dans le temps, les résultats des garçons montraient une dégradation progressive des compétences sociales.
Chez les enfants neurotypiques, les filles avaient de bien meilleurs scores au début concernant la socialisation, la perception visuelle et le comportement. Elles présentaient aussi moins d’intérêts restreints. Sur le temps long, les filles s’amélioraient également plus que les garçons.
Quelles sont les conclusions de cette étude ?
De manière générale, chez les enfants de 12 à 48 mois, il semblerait que les filles et garçons autistes soient bien plus proches entre eux comparativement aux filles et aux garçons neurotypiques. Les quelques différences relevées selon le sexe parmi les jeunes enfants autistes ne sont en effet pas statistiquement significatives.
Ce résultat va à l’encontre d’autres études sur le sujet. Selon les auteur·ice·s de l’étude, cela peut s’expliquer de deux manières :
- une première hypothèse incrimine les études précédentes : il se peut qu’elles aient eu des problèmes de méthodologie (taille des échantillons, mesures choisies) ;
- une seconde hypothèse propose que les différences entre les sexes n’existent pas au moment où les signes de l’autisme apparaissent, mais qu’elles surviennent par la suite en raison de facteurs psychosociaux (comme l’engagement des parents) ou biologiques (comme les hormones) lors du développement.
Recontextualisation de l’étude
Pour approfondir la compréhension et confronter différentes perspectives, nous avons interrogé Adeline Lacroix, docteure en neurosciences, dont le travail sur l’autisme a toujours été parcouru par la question des différences liées au sexe et au genre. Cette rencontre nous a permis d’obtenir un regard critique sur cette récente étude et de la recontextualiser.
Adeline Lacroix est chercheuse en neurosciences. Suite à l’annonce de son diagnostic d’autisme, elle reprend des études en psychologie et soutient sa thèse à Grenoble en 2022, dans laquelle elle s’intéresse à la perception des visages dans l’autisme. Ses travaux se penchent sur les différences liées au sexe et au genre dans l’autisme, une thématique qu’elle poursuit actuellement dans le cadre d’un post-doctorat au Canada. |
Comment interpréter les résultats ?
Un raisonnement circulaire au niveau du recrutement des participants à l’étude
Selon Adeline Lacroix, les résultats sont potentiellement restreints à une certaine population autiste, et la population étudiée ne représente pas forcément tout le spectre. Les enfants ont été classés en deux groupes distincts : d’une part les neurotypiques, et d’autre part les enfants présentant un TSA. Or, ces enfants autistes ont toutes et tous été diagnostiqué·e·s, ce qui signifie qu’ils et elles atteignent déjà un score seuil à certaines échelles de dépistage et de diagnostic. Cette démarche ne permet donc pas de prendre en compte tout le spectre, puisqu’une partie des personnes autistes ne reçoivent un diagnostic que plus tardivement.
L’équipe de recherche elle-même indique que son étude ne prend pas en compte toutes les personnes autistes à haut niveau de fonctionnement : elles passeraient entre les mailles du programme Get SET Early®. De même, les outils diagnostiques utilisés pourraient ne pas repérer une partie des profils féminins.
Ainsi, il faut modérer l’interprétation de l’étude quant à la partie du spectre concernée. Le fait qu’il n’y ait pas de différences entre les sexes pour les jeunes enfants autistes est peut-être observable pour cette population, mais le résultat n’est pas forcément extrapolable à tout le spectre de l’autisme.
Adeline Lacroix mentionne une étude de Chawarska qui obtenait des résultats contradictoires. Dans celle-ci, on avait suivi des enfants à haute ou basse probabilité d’être autiste selon qu’ils ou elles aient un frère ou une sœur autiste. L’autisme ayant une forte composante génétique, il est plus fréquent pour une personne de présenter des traits autistiques ou d’être autiste si sa famille comporte des personnes autistes.
Dans cette étude, des différences précoces étaient déjà observées entre les filles et les garçons à forte probabilité d’être autiste – notamment par eye-tracking, où les filles avaient déjà une plus forte attention pour les visages que les garçons. Il est donc possible qu’il existe déjà des processus de compensation au plus jeune âge.
Cette étude a toutefois elle aussi des limites : elle se base sur le suivi de personnes à haute ou basse probabilité d’être autiste (et non pas sur le suivi de personnes autistes à proprement parler), et la population étudiée est bien plus restreinte. Cependant, il est intéressant de croiser les sources, puisque toutes les études ont leurs limites et qu’on ne peut pas tirer de raisonnement hâtif.
Des trajectoires développementales différentes chez toutes et tous
Revenons à l’étude de départ, qui suppose que les différences entre filles et garçons autistes apparaissent avec le temps, sous des effets biologiques et/ou sociaux. Adeline Lacroix appuie cette hypothèse, mais insiste sur le fait que les différences liées au sexe et au genre s’appliquent à toutes et tous, autistes comme non-autistes. Elles peuvent certes impacter les manifestations de l’autisme, mais elles ne sont pas propres à l’autisme.
D’où vient le biais genré dans l’autisme ?
Un biais de la part des clinicien·ne·s…
S’il y a des manifestations parfois différentes de l’autisme chez les hommes et les femmes, il faut noter qu’un biais de la part des clinicien·ne·s est possible. Adeline Lacroix pose l’hypothèse d’un mécanisme autoentretenu lié à un biais historique dans l’étude de l’autisme. Comme les premières descriptions de l’autisme ont été basées sur l’observation de jeunes garçons, les clinicien·ne·s n’ont pas toujours connaissance de l’existence de femmes autistes et pourraient avoir des difficultés à repérer ces dernières. On fait donc moins de recherche sur les femmes autistes de tout le spectre, et les femmes diagnostiquées sont celles qui correspondent aux seuils pensés pour les hommes. On pourrait donc passer à côté d’une partie du spectre de l’autisme. Dans son livre Autisme au féminin, Adeline Lacroix souligne que parmi les témoignages, une des caractéristiques communes à de nombreuses femmes autistes est d’avoir reçu des diagnostics psychiatriques erronés avant d’arriver sur la piste de l’autisme.
…mais aussi du reste de la société
Ce biais genré pourrait ne pas se limiter aux clinicien·ne·s. Adeline Lacroix nous fait part d’une étude de Whitlock au cours de laquelle des chercheur·euse·s ont présenté des vignettes cliniques à du personnel éducatif d’école primaire. Chaque vignette comprenait un prénom masculin ou féminin, ainsi que la description d’un profil qui pouvait rappeler l’autisme, le TDAH ou l’anxiété de séparation. Certains profils correspondaient à un autisme plus “féminin” et d’autres à un autisme plus “masculin”. Si le profil autistique était plus “masculin” le personnel éducatif pensait plus vite à proposer un suivi par un·e professionnel·le, quel que soit le genre du prénom sur la vignette. En revanche, si le profil autistique était plus “féminin”, le personnel éducatif avait plus de mal à identifier que l’enfant pouvait être autiste. Avec un prénom masculin et un “profil féminin”, le personnel éducatif supposait que l’enfant était peut-être autiste ; mais avec un prénom féminin et la même description, le personnel éducatif se posait significativement moins la question de l’autisme. Ainsi, à manifestation identique, si le profil est plus discret, les filles autistes sont beaucoup moins repérées par l’entourage que les garçons.
Quelles précautions prendre pour parler de cette étude ?
Les chercheurs de San Diego ont choisi d’étudier des jeunes enfants, ce qui apporte un réel intérêt quant aux travaux sur l’autisme au féminin car il s’agit d’un âge où les stratégies de camouflage social existent peu ou pas. Toutefois, conclure qu’il n’y a pas de différences entre les filles et les garçons autistes chez les jeunes enfants de tout le spectre pourrait être précipité. Il serait plus juste de retenir de cette étude qu’à un âge précoce, pour les enfants qui ont un diagnostic précoce, les différences existent peu.
⇒ Un profil plus discret ou moins remarquable à cet âge peut tout à fait relever du TSA.
Ressources
- Étude des chercheur·euse·s de San Diego
- Article d’iMIND : TSA et genre : pourquoi les femmes autistes sont-elles sous-diagnostiquées ?
- Article sur l’outil de dépistage de l’autisme Get SET Early®
- Définition de l’analyse par grappes
- Étude sur les différences entre les sexes chez des enfants à haute ou basse probabilité d’être autiste
- Étude sur la reconnaissance des signes de l’autisme par du personnel éducatif
- Article d’iMIND : Autisme et diversité de genre
- Journée iMIND #3 – Explorer les diversités : à l’intersection des identités trans et de l’autisme
Autisme et diversité de genre
Contexte de l’étude
Une corrélation possible entre trouble du spectre de l’autisme et identité de genre ?
Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un trouble du neurodéveloppement (TND) qui impacte notamment la communication et les interactions sociales. Il peut influencer la manière dont une personne perçoit et exprime son identité, y compris son identité de genre. Le genre est une construction sociale : il correspond aux rôles, comportements et attentes qu’une société attribue aux personnes en fonction de leur apparence ou de leur sexe assigné à la naissance, et il peut varier selon les cultures et les époques.
Dans ce contexte, il semble pertinent d’examiner les liens entre autisme et genre. Des clinicien·ne·s-chercheur·euse·s comme Élodie Peyroux, PhD, et le Dr Guilhem Bonazzi, du pôle Hospitalo-Universitaire Autisme, neuroDéveloppement et Inclusion Sociale (HU-ADIS) du Vinatier, ont observé dans leur pratique que de nombreuses personnes autistes s’identifient en dehors des normes de genre traditionnelles. Cela signifie que leur genre ressenti ne correspond pas toujours à celui qui leur a été assigné à la naissance, ce qui les place au sein de la diversité de genre. Cette observation invite à mieux comprendre comment se construit l’identité de genre pour les personnes autistes.
L’accompagnement en affirmation de genre au pôle HU-ADIS
Les professionnel·le·s du pôle HU-ADIS ont décidé de systématiser leur approche en créant l’unité CASCADE (consultations d’accompagnement en santé psychique pour les adultes divers de genres). Cette unité reçoit des personnes diverses de genre de 16 ans et plus, que ce soit pour un avis global en santé mentale, un accompagnement en affirmation de genre ou des consultations à visée diagnostique si nécessaire.
L’accompagnement en affirmation de genre contribue à la reconnaissance des personnes trans, à leur bien être et à leurs droits. L’affirmation de genre peut notamment revêtir des aspects sociaux (par ex. avec un changement de prénom), médicaux (par ex. avec une hormonothérapie) ou encore légaux (par ex. avec un changement sur l’état civil).
Lorsqu’une personne majeure entre dans un parcours d’affirmation de genre médical, elle peut consulter sur demande. Pour les mineur·e·s, en revanche, un avis médical en santé mentale reste la règle. Dans la région lyonnaise, les mineur·e·s de moins de 16 ans peuvent s’adresser à l’unité VAGUE (variance de genre, unité enfants).
Le début d’un projet de recherche
En se penchant sur l’intersection entre TSA et diversité de genre, les chercheur·euse·s ont constaté que beaucoup d’études scientifiques étaient davantage orientées sur les traits autistiques des personnes diverses de genre, et non sur la diversité de genre chez les personnes autistes.
Par exemple, une étude (Mazzoli et al., 2022) a mis en évidence la présence de traits autistiques chez certaines personnes diverses de genre. Toutefois, ces traits semblaient diminuer après le début d’une hormonothérapie. Si cette hypothèse se confirmait, cela suggérerait que les traits autistiques pourraient, dans certains cas, être un épiphénomène – c’est-à-dire une conséquence ou une expression secondaire liée à la situation de diversité de genre.
De plus, dans les études précédentes, le genre était étudié sous le prisme d’une classification médicale, sous les appellations de « troubles de l’identité sexuelle » et de « dysphorie de genre ».
Explorer l’articulation entre les identités de genre et le TSA pourrait permettre de mieux accompagner les personnes autistes. Les chercheur·euse·s du pôle HU-ADIS se sont interrogé·e·s sur la proportion de personnes autistes concernées par la diversité de genre et se sont fixé trois objectifs :
Quelle a été la démarche suivie par les chercheur·euse·s ?
L’équipe de recherche a compilé de nombreuses études, pour réaliser ce que l’on appelle une revue systématique. Le but d’un tel travail est de synthétiser les connaissances sur un sujet. Par la suite, les chercheur·euse·s ont effectué une méta-analyse, c’est-à-dire qu’ils et elles ont pris les données chiffrées des études pour opérer des analyses statistiques.
Il s’agit d’une méthodologie similaire à celle que d’autres chercheur·euse·s du pôle HU-ADIS avaient employée pour étudier la corrélation entre le TDAH et le sans-abrisme.
Les méta-analyses et les revues systématiques sont généralement considérées comme fournissant un niveau élevé de preuve scientifique.
En s’appuyant sur l’analyse rigoureuse d’un grand nombre d’études, soigneusement sélectionnées, elles offrent une fiabilité accrue des résultats et des conclusions
Différents critères ont été définis afin d’identifier les études à retenir :
Sur plus de 7 000 études identifiées, seule une vingtaine ont été conservées après application des critères de sélection.
Quels ont été les résultats ?
Les résultats de la méta-analyse permettent d’estimer que 7,37 % des personnes autistes présenterait une diversité de genre. Toutefois, cette moyenne résulte de données très hétérogènes selon les études, avec des proportions variant de 0,85 % (Graham Holmes et al., 2020) à 27,27 % (Chang et al., 2022).
Cette différence pourrait s’expliquer par la manière dont la diversité de genre a été envisagée, mais aussi par les définitions du genre utilisées. En effet, certaines études avaient une définition binaire du genre : elles envisageaient uniquement que les participant·e·s se sentent appartenir à leur genre assigné ou au genre « opposé » à celui qu’on leur avait assigné à la naissance. À l’inverse, les études qui avaient une définition moins binaire du genre permettaient plus de fluidité dans les réponses.
Que faire face à de tels écarts ?
Face aux fortes variations des résultats d’une étude à l’autre, l’équipe a décidé de poursuivre ses investigations pour tenter de comprendre les raisons de telles disparités. Lors de ces analyses complémentaires, l’équipe s’est notamment interrogée sur la manière dont le diagnostic de TSA avait été posé. Cet élément ne semblait toutefois pas influencer le pourcentage de personnes autistes diverses de genre.
En revanche, deux critères sont ressortis. D’une part, du côté des études, l’objectif de recherche influence significativement les résultats trouvés. Quand une étude a pour objet le genre, le pourcentage de personnes autistes diverses de genre est bien plus élevé. L’équipe de recherche suppose que ces différences viennent de critères mieux établis pour caractériser la diversité de genre. D’autre part, du côté des personnes, le genre assigné à la naissance influence aussi les résultats trouvés, mais cette influence n’est pas significative. Les personnes autistes assignées filles à la naissance feraient plus souvent partie de la diversité de genre que les personnes autistes assignées garçon à la naissance, mais la puissance statistique de l’étude ne permet pas d’affirmer ce résultat.
Le « genre assigné à la naissance » est le genre enregistré de quelqu’un à la naissance. Il est le plus souvent établi en fonction des organes génitaux externes d’une personne : pénis pour l’homme, vulve pour la femme.
On emploie souvent les termes AFAB, pour assigned female at birth (assigné·e fille à la naissance) ; et AMAB, pour assigned male at birth (assigné·e garçon à la naissance).
Le genre assigné à la naissance ne correspond pas forcément à l’identité de genre d’une personne.
La corrélation entre TSA et diversité de genre est-elle une simple coïncidence ?
L’équipe du pôle HU-ADIS a relevé différentes hypothèses expliquant le potentiel lien entre TSA et diversité de genre. Elles se déclinent en trois catégories (Van Der Miesen et al., 2016) : les théories biologiques, psychologiques et sociales.
Selon certaines théories biologiques, les personnes autistes auraient un niveau de testostérone très élevé avant la naissance. Ce haut niveau influencerait le développement de leur cerveau : on parle d’ailleurs d’« extreme male brain », soit une forme extrême du cerveau masculin. Ainsi, les personnes autistes auraient du mal dans les activités perçues comme « plus féminines » (ce qui comprend les interactions sociales). Il y aurait moins de différences entre les hommes et les femmes autistes qu’entre les hommes et les femmes neurotypiques. Ces théories, n’ont cependant a l’heure actuelle jamais été validées par des données scientifiques.
Pour les théories psychologiques, ce seraient certaines particularités liées à l’autisme (comme les déficits en théorie de l’esprit, la rigidité ou les comportements obsessionnels) qui pourraient être à l’origine de la diversité de genre observée dans cette population. Par exemple, certain·e·s auteur·rice·s mentionnent que les difficultés à se percevoir soi-même et à se représenter les états mentaux de soi et d’autrui, en lien avec les difficultés de théorie de l’esprit, pourraient impacter la représentation de l’identité de genre, chez les personnes avec autisme. D’autres hypothèses s’intéressant à l’impact de la rigidité cognitive proposent que les enfants avec autisme conserveraient une croyance de genre très stéréotypée, même en grandissant, ce qui pourrait constituer la base de la diversité de genre dans cette population.
Enfin, les théories sociales insistent sur le caractère socialement construit du genre et expliquent la diversité de genre des personnes autistes par leur fonctionnement social non normatif. Il se pourrait, par exemple, que les personnes ayant un TSA résistent davantage au conditionnement social genré.
La revue ne cherche toutefois pas à établir la véracité de ces théories. Les chercheur·euse·s insistent d’ailleurs sur le besoin de conduire un plus grand nombre d’études, afin de mieux comprendre ces interactions.
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
L’équipe du pôle HU-ADIS a fait face à plusieurs obstacles pour réaliser sa revue, notamment le manque d’études sur le long terme et le manque de comparaisons entre personnes autistes et personnes neurotypiques.
De plus, l’identité de genre est un angle de recherche relativement nouveau dans le domaine. Certaines études étaient plus binaires que d’autres : elles manquaient donc de choix possibles dans les réponses proposées aux participant·e·s pour qualifier leur identité de genre. D’autres études excluaient de facto les personnes diverses de genre de leur protocoles. Enfin, il est aussi possible que des personnes diverses de genre se soient autocensurées ou n’aient pas participé à des études.
Un biais de publication a donc été mis en évidence. Il est plus que probable que l’on sous-estime la prévalence de la diversité de genre dans l’autisme pour ces différentes raisons. D’ailleurs, en appliquant des méthodes de correction des biais de publication, la prévalence de la diversité de genre augmente, ce qui montre que le chiffre annoncé plus haut (7,3 % des personnes autistes seraient diverses de genre) n’est pas surestimé.
Quelles suites pour l’étude ?
D’une part, Clara Gloanec, une interne du pôle, s’est intéressée à la manière de poser les diagnostic d’autisme chez les personnes diverse de genre. Pour sa thèse de médecine, elle a réalisé une méta-analyse et une revue systématique mettant en évidence que les outils utilisés sont le plus souvent des questionnaires de dépistage ou des autodiagnostics, permettant assez mal de définir les populations.
D’autre part, Élodie Peyroux, PhD, et le Dr Guilhem Bonazzi poursuivent leurs travaux afin de mieux appréhender la manière dont l’identité de genre se construit chez les personnes autistes appartenant à la diversité de genre. Pour explorer cette question, il et elle réalisent des entretiens qualitatifs avec des personnes autistes de tous âges, sexes et genres, afin d’identifier leurs points communs, leurs différences, ainsi que la façon dont chacun·e perçoit et vit son identité de genre.
Ressources
- Journée iMIND #3 – Explorer les diversités : à l’intersection des identités trans et de l’autisme
- Étude du Dr Guilhem Bonazzi et d’Élodie Peyroux, PhD
- Études citées dans l’article :
- Chang et al., 2022 – Étude retenue dans la revue systématique/méta-analyse et trouvant la plus grande proportion de personnes diverses de genre dans l’autisme (27,27 %)
- Graham Holms et all, 2020 – Étude retenue dans la revue systématique/méta-analyse et trouvant la plus petite proportion de personnes diverses de genre dans l’autisme (0,85 %)
- Mazzoli et al., 2022 – Étude montrant que l’hormonothérapie peut parfois diminuer les traits autistiques chez des personnes diverses de genre
- Van Der Miesen et al., 2016 – Étude reprenant les différentes théories expliquant le lien entre TSA et diversité de genre.