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Le 19 juillet 2022 par Raphaele von Koettlitz

TSA et genre : pourquoi les femmes autistes sont-elles sous-diagnostiquées ?

Nous avons eu le plaisir de parler avec Muriel Salle et Magali Pignard de ce que cela signifie d’être une femme autiste et la façon dont la médecine s’est emparée de la question. Muriel est Maîtresse de conférences spécialiste de l’histoire des femmes, du genre, et de la médecine à l’Université Lyon 1 et Magali est cofondatrice de l’Association PAARI (Personnes Autistes pour une Autodétermination Responsable et Innovante) et du Tremplin Autisme Isère.

Nous avons retracé brièvement l’histoire de la médecine pour mieux comprendre le déficit de repérage de l’autisme chez les femmes, de l’accès au diagnostic jusqu’à l’accompagnement. Nous avons également discuté des constructions sociales et culturelles et du conditionnement autour du genre et de la façon dont cela joue sur le camouflage et la manifestation des caractéristiques autistiques qui ne correspondent pas forcément aux représentations stéréotypés.

Les taux de prévalence

Commençons par les faits : les femmes autistes sont systématiquement sous-diagnostiquées par rapport aux hommes. Selon la CIM 10, le sex-ratio montre que 3 à 4 hommes sont diagnostiqués pour une femme, et selon le DSM 5 c’est 4 hommes pour une femme. Lorsque l’on creuse un peu, une méta-analyse menée par Loomes et al 2017 montre que ce chiffre se réduit en fait à 3 pour 1 lorsque l’on élargit le champ pour inclure les femmes qui n’ont pas reçu de diagnostic clinique, en raison d’un biais de genre inhérent. “Il est important de se rappeler que les taux de prévalence et de diagnostic sont deux choses différentes, de comprendre les conséquences de ce sous-diagnostic, qui invisibilise les gens, et de questionner quelles variables sont à l’œuvre”, dit Muriel.

Il est important de préciser que sur le plan clinique, le diagnostic TSA repose sur une dyade autistique qui est présente chez les femmes et les hommes. “Il n’y a pas d’autisme au féminin ou au masculin ; on dit ça pour aller vite, mais le fonctionnement ou la symptomatologie de l’autisme est la même chez les femmes et les hommes. En revanche, cela peut se manifester différemment chez les femmes et les hommes notamment à cause du conditionnement social, de l’identité unique de chacun.e et du stade de vie.” dit Magali.

Pourquoi les filles/ femmes autistes passent “sous les radars” ?

“Pendant longtemps on n’a pas repéré de femmes autistes. Dans le champ de l’histoire de la médecine on peut confirmer que les troubles du spectre de l’autisme (TSA) ont été construits comme un trouble masculin”, dit Muriel. Les psychiatres Léo Kanner (en 1943) et Hans Asperger (en 1944) sont très connus pour leurs travaux sur l’autisme. Leurs premières études de cas portaient quasi exclusivement sur des garçons : 4 garçons pour Asperger, 8 garçons et 3 filles pour Kanner “Le prisme à travers lequel on comprend le trouble est donc bien biaisé”, explique Muriel. Et ce, malgré le fait qu’une première étude ait été réalisée en 1926 par Grounia Soukhareva, une médecin Russe (voir aussi S. Wolff et Les enfants autistes de Grunya Efimovna Sukhareva et Kevin Rebecchi), sur des garçons et des filles. Elle a publié la première description de l’autisme dans une revue scientifique, portant sur six garçons et 5 filles en tout, et elle a dressé un tableau masculin et un tableau féminin. Cependant, comme de nombreuses autres figures féminines de l’histoire, elle a été effacée de la narration.

Muriel continue : “Les travaux sur les femmes autistes sont plus récents, et datent principalement des années 2000 (voir A. Lacroix et F. Cazalis pour une discussion sur ce sujet). Il existe un biais de genre ancré dans l’histoire de la médecine, qui est à l’origine du développement d’outils de diagnostic adaptés à la population masculine. Le test ADOS, par exemple, fait ressortir davantage les traits et caractéristiques associés à des garçons, ce qui veut dire que les filles passent davantage sous le radar. On parle alors d’androcentrisme : il s’agit d’un biais théorique et idéologique qui consiste à adopter un point de vue masculin sur le monde, sa culture et son histoire, marginalisant ainsi culturellement les femmes.”

Comme démontré par une étude suédoise, des parents ont indiqué que les questions qui sont posées aux filles avec un TSA pendant les évaluations de diagnostic ne sont pas les bonnes, parce qu’elles ont en fait été élaborées pour repérer les garçons TSA.

Une courte histoire de la médecine genrée

C’est là qu’on rentre au cœur de l’expertise de Muriel, “Si l’on considère le domaine de la médecine au sens large, de nombreuses maladies ou conditions sont liées au genre. De manière générale, en médecine, on a construit le savoir à partir des corps des hommes. On pense aux femmes secondairement, comme les exceptions à la règle. Beaucoup de maladies sont construites selon ce modèle pour des raisons historiques. On travaille d’abord sur le corps masculin car il est coutume que l’homme “représente” l’espèce humaine. Le fait que les chercheurs aient longtemps été principalement des hommes jouent aussi”.

“Dans cette perspective, les femmes sont envisagées comme physiologiquement pathologiques, car une femme, de toute façon, ça dysfonctionne. Une femme qui va bien, va mal en réalité. Quand on regarde les discours médicaux sur la puberté, les règles, la grossesse, la ménopause etc., tous ces événements physiologiques féminins sont perçus comme des signes de dysfonctionnement. Et c’est lourd de conséquences. Prenons l’exemple de l’endométriose, elle a été décrite pour la première fois en 1860 et c’est loin d’être une maladie anecdotique en termes de prévalence dans la population française (on estime qu’une femme sur 10 est concernée). Pourtant, on devra attendre jusqu’à 2016 pour voir la mise en place du premier plan d’action de la Haute Autorité de Santé (HAS). Donc la question est, qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ? Beaucoup de publications sont sorties mais c’était considéré comme un dysfonctionnement ‘acceptable’. Faire la différence entre des règles douloureuses et des douleurs d’endométriose, c’est difficile, surtout dans cette perspective masculine, quand on considère que, de toute façon, les femmes souffrent au moment de leurs règles. Donc il ne se passait pas grand-chose.”.

“Un autre exemple, les maladies cardio-vasculaires, qui sont réputées être des maladies masculines, pourtant on sait aujourd’hui que les femmes sont davantage touchées. C’est même la première cause de mortalité pour les femmes en France. Elles ont beaucoup plus de risque de mourir d’un infarctus ou d’un AVC que d’un cancer de sein, mais on en parle peu. Mais l’inverse existe aussi :  l’ostéoporose est une condition considérée comme ‘féminine’, ce qui fait que les hommes sont largement sous-diagnostiqués avec des conséquences similaires ».

“Il faut se rappeler qu’un savoir, même un savoir scientifique, est construit dans le cadre d’une société. Ce n’est pas parce que le savant a mis une blouse blanche, qu’il s’est débarrassé de toutes ses représentations et ses stéréotypes.” Elle ajoute, “Il faut donc toujours s’interroger : comment les savoirs sont-ils fabriqués ? Qui pose les questions ? Comment sont pensées ces questions ? ”.

Éveil féministe dans la médecine

La publication du livre, ou plutôt d’un manuel féministe (écrit par et pour les femmes), ‘Notre Corps nous même’publié en 1973 (aux États-Unis) et en 1977 en France (La traduction précise serait ‘Nos corps nous même’ de l’anglais) a marqué un tournant dans le discours porté sur les femmes et leur corps. Cet ouvrage soulignait l’importance de la création de connaissances et d’approches centrées sur les perspectives et les besoins des femmes : l’importance de se réapproprier son corps. Cela a déclenché un mouvement féministe aux États Unis pendant les années 70, qui a diminué un peu pendant les années 80 et est reparti de plus belle dans les années 2000.

Jusqu’alors, les femmes et leurs points de vue étaient généralement mis de côté dans le champ de la médecine.

“Aujourd’hui, il y a plus de savoirs dit ‘féminins’ non seulement parce qu’il y a plus de femmes impliquées dans la production des savoirs médicaux, mais aussi grâce aux femmes (et hommes) féministes. Cette évolution n’est pas due simplement au fait qu’il y a plus de femmes qui participent à l’élaboration des savoir, mais aussi à l’élaboration de savoirs critiques, principalement par les femmes, mais pas que.” dit Muriel.

Les signes d’autisme ‘féminins’ moins reconnaissables ?

Magali nous parle de son parcours de diagnostic tardif, “lors de mon évaluation diagnostique, quand la psychologue interrogeait ma mère avec des questions ciblées sur les manifestations de l’autisme durant l’enfance, elle reconnaissait des signes de l’autisme chez mon frère, mais pas chez moi (ou beaucoup moins). Ni moi ni mon frère avons eu un diagnostic tôt car à l’époque il n’y avait même pas de centre de diagnostics. Mon frère a été étiqueté schizophrène (à raison), et les médecins sont passés à côté de l’autisme. C’est seulement quand j’ai pris conscience de mon autisme, quand j’en ai parlé à ma mère, qu’elle a compris que c’était le cas pour mon frère aussi (en plus de la schizophrénie) ”.

Elle poursuit, « L’intérêt spécifique de mon frère était de mémoriser les plaques d’immatriculation. Ses troubles étaient plus extériorisés et plus reconnaissables. Par exemple, il a jeté sa guitare par la fenêtre. Et moi, je me scarifiais, ce qui est évidemment beaucoup plus discret. J’ai joué avec mes poupées, mais sans imagination. Je regardais les autres enfants pour comprendre comment jouer avec et je reproduisais exactement la même chose. Bien sûr il n’est pas aisé de savoir ‘quelle est la façon adaptée de jouer avec une poupée’, c’est peut-être une autre question, mais quand même c’est un comportement, malgré sa subtilité, à interroger ! Les personnes autistes imitent beaucoup pour suivre les codes sociaux et s’intégrer. Nos symptômes sont donc influencés par notre conditionnement sociétal”.

“Il faut se rappeler aussi qu’un enfant autiste, avant d’être autiste est un enfant” ajoute Muriel. “La sociologie de l’éducation a largement démontré la puissance de la socialisation différenciée. C’est-à-dire que les petites filles sont socialisées comme des petites filles et les petits garçons comme des garçons. Ou, pour le dire autrement, on ne naît ni fille ni garçon, mais on le devient en apprenant, notamment, les comportements appropriés. ”

Avant d’être diagnostiquée autiste à l’âge de 38 ans, Magali a été diagnostiquée dépressive. Son médecin n’a pas creusé plus profondément et a donc raté les raisons sous-jacentes qui expliquaient ses difficultés. Cette errance diagnostique est fréquente, beaucoup de femmes sont diagnostiquées plus tardivement dans leur vie. Cela peut être attribué à divers facteurs comme le fait que d’autres troubles prennent le pas sur leur autisme si c’est plus prononcé et plus reconnaissable. Une personne autiste a environ 3 – 5 troubles associés en général, et le taux d’anxiété, la dépression et les troubles de comportements alimentaires sont particulièrement courants chez les femmes. 

Dans le cas de Magali, et comme pour la grande majorité de personnes, l’âge joue aussi sur l’apparence et l’expression des signes autistiques. Elle disait que, par exemple “Quand je suis devenue parente, mon autisme a évolué avec la maternité. J’ai un peu oublié mes difficultés et je me suis concentrée sur mon fils. Je ne me comportais pas de la même manière”.

La mauvaise reconnaissance des traits autistiques chez les femmes peut aussi être attribuée en partie au camouflage, ce qui est le fait de masquer les caractéristiques de l’autisme perçues comme moins socialement acceptable selon les normes neurotypiques. Il est généralement admis que les femmes sont plus capables de s’adapter socialement que les hommes (voir Tony Attwood 2007), et que les femmes autistes arrivent plus que les hommes à imiter les personnes non-autistes en situation sociale. Muriel est convaincue que c’est culturel : “On apprend beaucoup plus aux filles à s’adapter, plus qu’aux garçons. De toute façon, dès lors qu’on vit dans un monde qui est pensé par et pour les hommes, être une femme c’est forcément devoir s’adapter. Par exemple, les petites filles lisent des histoires dont le héros est un garçon, et elles s’y identifient sans souci. Dans le sens inverse, les garçons qui lisent des histoires impliquant des héroïnes ont beaucoup de difficulté à s’identifier. De même, si on entend quelqu’un dire “Bonjour à tous” on se sent concerné même si on est une femme, mais les hommes en revanche ne le sont pas si on dit “bonjour à toutes”.

Pourquoi le sous-diagnostic des femmes autistes est-il un vrai enjeu féministe ?

“C’est simple. Pas de diagnostic, pas de soins.” dit Muriel. “Les gens qui souffrent ont besoin d’être soignés pour avoir une bonne qualité de vie”. Ceci est évidemment étroitement lié à l’égalité. Si les femmes ont moins accès aux soins, elles ont moins accès à une vie pleine et épanouie et à tout ce qui l’accompagne. Le repérage, le diagnostic et les soins qui suivent sont donc primordiaux.

Le taux élevé de violences sexuelles subies par les femmes autistes représente un autre enjeu féministe important. “Les femmes ont plus tendance à se replier sur elles-mêmes et à se faire du mal. Des études montrent que le comportement des femmes autistes, perçu comme passif, débouche sur des violences sexuelles dans un nombre de cas significatif” Magali nous explique.  “Si une femme ne sait pas qu’elle est autiste, elle ne connait pas forcément bien son fonctionnement, elle pense qu’elle est comme tout le monde, et ça joue sur la compréhension des limites de ce qui acceptable ou non. Quand j’étais jeune je faisais tout ce qu’on me demandait de faire et je me trouvais souvent dans des situations délicates où j’avais mal compris l’implicite. C’était souvent dégradant pour moi. Si j’avais eu conscience de mon autisme, et qu’on m’avait expliqué plus clairement comment maintenir les limites acceptables, avec une éducation sur le consentement par exemple, ça aurait été différent. Ainsi, on tomberait moins facilement dans un cercle vicieux de vulnérabilité où l’on a davantage de risques de se faire abuser. Malheureusement, beaucoup d’entre nous se sentent seules, avec une faible estime de soi à cause de ces dangers.”.

Muriel a complété : “Oui, beaucoup de choses s’apprennent. Si le diagnostic est posé, la personne peut accéder aux soins, par exemple bénéficier des séances de psychoéducation. Apprendre à dire non, ça ne doit pas forcément être réservé aux jeunes filles autistes, mais c’est une chose avec laquelle toutes les filles ont généralement plus de mal que les garçons. Mais le fait d’être une femme autiste peut amplifier cette difficulté. Si on enseignait le consentement à toutes les filles, ça aiderait tout le monde et encore plus les femmes autistes – une telle initiative serait utile et inclusive pour tout le monde, autiste ou non”.

Féminisme intersectionnel et médecine

Il est important de considérer une femme dans sa globalité : elle peut être victime de sexisme, mais nous devons être conscients qu’il s’agit d’une des nombreuses discriminations auxquelles elle peut être confrontée en fonction de son identité au sens large (par exemple, son âge, son origine ethnique, sa classe sociale, ses croyances religieuses, etc.). Par exemple, une femme maghrébine ou noire, ne va pas forcément avoir la même expérience dans sa prise en charge médicale qu’une femme blanche. L’existence du syndrome méditerranéen en est la preuve. C’est pour cette raison qu’une approche intersectionnelle est essentielle pour garantir que le repérage de troubles du neuro-développement et les soins par la suite sont bien adaptés aux besoins de chaque individu.

Que veut dire « une approche intersectionnelle » ? L’intersectionnalité est une notion qui a été forgée par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980 dans la foulée du Black feminism. C’est l’idée qu’une personne peut subir différentes formes de discrimination (ou bénéficier de privilèges) en fonction de différentes composantes de son identité. Il peut s’agir de l’âge, du sexe, d’un handicap, de l’origine ethnique, etc.

“On en revient à la question : qui fabrique les savoirs ? La médecine occidentale est une médecine blanche. Il ne faut pas oublier de questionner les codes culturels incorporés dans ces savoirs” dit Muriel.

“Cela joue forcément sur nos représentations des troubles. Dans notre imaginaire collectif la représentation standard d’une personne autiste est un garçon blanc et celle-ci est tellement ancrée. Les filles noires autistes rentrent moins facilement dans notre compréhension de ce trouble, néanmoins elles existent !” dit Magali.

L’étiquette d’autisme au féminin est-elle pertinente ?

Muriel nous dit “qu’il serait problématique de poser l’étiquette d’autisme au féminin car ça renforce encore plus les stéréotypes. L’idéal serait de poser un diagnostic à un niveau individuel ; et de former autrement les professionnels de santé pour qu’ils entendent que le fait d’être un homme ou une femme c’est une particularité, parmi d’autres, et de faire la différence entre le sexe et le genre. Le sexe c’est la différence biologique. Le genre est en lien avec le social et la culture, donc beaucoup de variabilité selon l’âge, le milieu social, l’origine ethnique, culturelle, etc. C’est un peu contradictoire avec la façon dont on pratique la médecine : les diagnostics et les classifications ont tendance à lisser nos particularités”.

Magali poursuit en nous disant que “Les représentations des soignants concernant le genre peuvent être handicapantes et stigmatisantes, comme beaucoup de personnes autistes ne se considèrent pas en premier comme des hommes et des femmes, mais plutôt comme des êtres humains ou même des êtres vivants. Le distinction homme/ femme n’est pas si tranchée. Les limites entre transgenre et garçon manqué sont peu claires. C’est pour ces raisons que nous ne pouvons pas nous permettre d’introduire une étiquette telle que l’autisme au féminin.”

Comment faire avancer les droits des femmes autistes ?

deux femmes qui manifestent“Je dis souvent à mes étudiants “on répond seulement aux questions qu’on pose.” Constater une différence de prévalence, c’est factuel. Se pose la question “comment ça s’explique » ? Pour quelles raisons il y a une femme autiste pour 4/ 5 hommes autistes ? Aller chercher ailleurs que les faits biologiques, les taux de testostérone etc., aller chercher le côté genre pour mieux comprendre les enjeux. Croiser les regards de la médecine et des sciences sociales, comme ça nous aurons une vision plus globale.” prône Muriel.

Magali conclut, “On est malade dans un contexte très multifactoriel. C’est l’environnement qui pose le cadre, qui peut être une ressource ou un handicap.”, c’est donc primordial de comprendre le contexte de chacune pour pouvoir bien répondre à ses besoins.

 

Ressources :

Diagnostic

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04/10/21, par Jennifer Beneyton

Dépression et périnatalité : le cas des femmes autistes

Devenir maman est un bonheur certes, mais qui vient avec son lot de difficultés, d’insécurité et de doutes. Et quand la future maman est autiste, l’équation peut vite devenir un casse-tête. Julien Dubreucq, post-doc au département de psychiatrie périnatale de l’Erasmus Medical College de Rotterdam travaille à améliorer la détection et la prise en charge de cette maladie.

La dépression périnatale, cette maladie invisible…

Quand nous rencontrons Julien Dubreucq, psychiatre-pédopsychiatre, le tableau qu’il nous dépeint est alarmant : la dépression touche 12% des mères et 60% des cas de dépression périnatale (de la grossesse à 1 an après la naissance) ne sont pas repérés, 85% ne sont pas traités et seulement 5% sont traités de façon adéquate.

« Le suicide est la première cause de mortalité maternelle en période périnatale. Il y a urgence ! »

Julien et son équipe travaille sur un projet de recherche qui vise à améliorer le parcours de santé des parents avec dépression périnatale – fait méconnu, 10% des pères sont aussi touchés par cette pathologie. Pour ce faire, ils recueillent les témoignages de tous les acteurs concernés : les parents et futurs parents, les parents concernés par un antécédent de dépression périnatale mais aussi les sages-femmes, les gynécologues obstétriciens, les pédiatres, les médecins généralistes ainsi que tous les professionnels de la santé mentale qui travaille en périnatalité. L’objectif est d’avoir dans un premier temps une vision globale des difficultés et ressentis de chacun pour en extraire des recommandations visant à prévenir cet état, ou tout au moins à le prendre en charge le plus rapidement et efficacement possible. À terme, une application numérique devrait être développée pour faciliter le processus.

Risque accru chez les femmes autistes

Le fait d’être autiste ajoute un défi supplémentaire à ceux que rencontrent déjà les jeunes et/ou futurs parents. Selon une étude anglaise récente, les femmes autistes sont plus sujettes à la dépression périnatale pour différentes raisons. D’une part, cela peut s’expliquer, pour certaines, par leur hypersensibilité. Mais c’est aussi beaucoup lié aux difficultés de communication inhérentes à leurs troubles. Certaines partageront peu leur joie et apparaîtront comme des personnes froides ce qui peut ouvrir la voie chez les professionnels à des suspicions de lien défaillant mère-enfant. D’autres auront du mal à communiquer sur leurs besoins, notamment pour gérer la douleur. L’environnement sonore et lumineux est aussi une épreuve pour certaines, tout comme la rapidité des gestes médicaux qui nécessiteraient davantage d’explications et de préparation. Par ailleurs, devenir maman s’accompagne d’un nouveau rôle social au sein de sa famille et belle-famille qui ajoute de la pression et du stress et qui peut parfois faire basculer un équilibre précaire. Elles ont aussi peur d’être jugées négativement dans leurs compétences parentale : être parent nécessite de faire maîtriser l’art des doubles tâches ce qui, pour une personne qui a besoin de temps et qui peut vite se sentir submergée, complique beaucoup la gestion du quotidien.

Sans compter que parfois, la dépression peut être très difficile à détecter chez les femmes autistes. En effet, la personne a mis en place des stratégies de compensation superficielle (c’est-à-dire inflexibles, difficilement adaptables au contexte et peu résistantes au stress), qui lui permettent de s’adapter aux situations, mais qui peuvent donner lieu à des discordances entre discours et comportement.

« Je me souviens du cas de cette jeune étudiante autiste qui s’était construit un personnage très expressif, très joyeux et un peu excentrique qui est venue en consultation pour dépression. Les professionnels ne la croyaient pas car son attitude pouvait laisser penser le contraire. »

Le personnage social que ces personnes se créent et qu’elles utilisent depuis des dizaines d’années peut prendre le pas sur leur personnalité réelle provoquant parfois un sérieux questionnement identitaire mais aussi des burn-outs car maintenir ce personnage social est épuisant. Mettre des stratégies en place est souhaitable si cela peut permettre aux personnes concernées d’atteindre leurs objectifs personnels, mais pas au prix de leur santé mentale.

« Il faut qu’elles s’autorisent à être plus autistes, à condition toutefois que l’environnement les y autorise. »

La divulgation de son autisme, une question délicate

Tout serait tellement plus aisé en effet, mais la réalité est, comme souvent, complexe. Parler de son autisme aux professionnels de santé, c’est encore aujourd’hui potentiellement s’exposer à des préjugés, s’entendre dire que c’est la raison de tous ses maux et être disqualifié dans son rôle de (futur) parent. Toutes les jeunes mamans font face à des difficultés parentales, mais les mamans autistes ont beaucoup moins le droit au faux pas. Fort heureusement de plus en plus de professionnels se forment et appréhendent de mieux en mieux les troubles du spectre de l’autisme, mais le chemin est encore long. C’est pourquoi la décision de la divulgation ne doit pas être prise à la légère. Elle peut se révéler aussi libératrice que destructrice et doit donc être murement réfléchie. Un accompagnement par des professionnels formés et spécialisés, peut se révéler nécessaire.

Afin de faciliter le parcours des futures/jeunes mamans autistes, une expérience avait été conduite au CH Alpes Isère, sous la direction de Julien Dubreucq, qui consistait à désigner une sage-femme référente de parcours en périnatalité. Son rôle était d’accompagner les personnes concernées le souhaitant, de les aider à identifier leurs forces et ressources et de faire l’interface entre les personnes concernées et les professionnels de santé. L’expérience qui s’est révélée très fructueuse est décrite dans une revue récente de la littérature et se poursuivra au CHU de Saint Étienne en 2022. De cette réflexion est née un groupe de travail parentalité, associant personnes concernées et professionnels et coordonné par Marine Dubreucq, sage-femme référent de parcours. Un autre groupe de travail sur les besoins des parents avec troubles psychiques sévères de la cohorte REHABase sera mis en place sur le centre ressource de réhabilitation psychosociale.

Faire évoluer les mentalités : le rôle des campagnes publiques

Changer le regard et faire évoluer les mentalités sur tout ce qui a trait à la santé mentale prend du temps. La France accuse beaucoup de retard.

« Aux Pays-Bas, comme dans les pays du Nord en général, ils ont 25 ans d’avance sur nous. »

C’est grâce à plusieurs campagnes de dé-stigmatisation qui ont été diffusées très largement ces dernières années avec tous les acteurs du domaine : pair-aidant, professionnels de santé, personnes concernées…

Ceci dit, une étude a montré l’efficacité relative de ces campagnes. En effet, plusieurs campagnes publiques de déstigmatisation sur la schizophrénie et la dépression ont été menées en Allemagne entre 2001 et 2011. L’attitude de la population générale n’avait pas changé vis-à-vis de la dépression et avait même empiré vis-à-vis de la schizophrénie. Mais, la grande réussite de ces campagnes réside dans l’effet très positif sur les personnes concernées : leurs troubles ont été abordés de façon positive et moins caricaturale ce qui leur a donné l’impression que la société était moins stigmatisante et leur a donné le courage de s’exposer davantage avec des réussites à la clé. Cette expérience montre que les campagnes de ce genre ne changent pas nécessairement les mentalités, mais elles changent la perception des personnes concernées sur elles-mêmes et c’est déjà très précieux.

Faire évoluer les mentalités passe principalement par une éducation plus tolérante dès le plus jeune âge.

« Les enfants construisent leur représentation du monde dès trois ou quatre ans. Ils ont déjà des stéréotypes, y compris au niveau des troubles psychiques. »

Ces stéréotypes passent par l’environnement familial, l’école, les amis, … et les dessins animés. Par exemple, dans cet extrait de Madagascar (1 :34), Alex le Lion dit des pingouins qu’ils sont « psychotiques » car ils veulent retourner à l’état sauvage. L’emploi de ce genre de mot est problématique car il n’est pas utilisé dans le contexte approprié et il a une connotation péjorative.

Une étude européenne est actuellement en cours pour évaluer les représentations et les connaissances de la dépression périnatale auprès des parents et des sages-femmes à travers une dizaine de pays (France, Pays-Bas, Italie, Espagne, Portugal, Norvège, Suède, Estonie, Chypre, Grèce et Bulgarie). Un questionnaire devrait être prochainement diffusé largement. Il sera intéressant de comparer les perceptions de chaque pays en sachant que les programmes de formation, les dispositifs de prises en charge et les campagnes de déstigmatisation sont différents.

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