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SenseToKnow: vers un dépistage de l'autisme précoce et automatisé?

Une étude récente publiée dans Nature Medicine relate les résultats remarquables d’une nouvelle application, nommée SenseToKnow (S2K), dans le dépistage précoce de l’autisme. Cette application a été créée par des chercheurs·es de l’université Duke en partenariat avec le Centre Borelli à Paris. Sam Perochon, l’un des principaux auteurs de l’étude, a accepté de répondre à nos questions.

Pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet ?

Cette application est le fruit d’une collaboration de longue date entre Geraldine Dawson, directrice de recherche en psychologie du développement, spécialisée dans l’autisme à Duke University, et Guillermo Sapiro, directeur de recherche en mathématiques appliquées au sein de l’université de Duke, avec qui j’ai fait un stage de 10 mois pendant mon cursus à l’ENS Paris-Saclay. C’est passionné par le sujet que j’en ai fait mon sujet de thèse, que j’effectue aujourd’hui à cheval entre le Centre Borelli et Duke. La Dre Geraldine Dawson et son équipe ont apportés toute l’expertise clinique, travaillant en étroite collaboration avec des personnes concernées et des psychiatres, tandis que le Dr Sapiro, son équipe et moi-même avons développé des algorithmes pour analyser les données récoltées. Cet article est un aboutissement dans le sens où il compile tous les marqueurs comportementaux mis en évidence ces dix dernières années et sur lesquels sont basés les différents modules constitutifs de l’appli. L’intérêt de cette étude et de cette application, réside dans le fait qu’elles couvrent un large spectre de marqueurs comportementaux reliés à l’autisme, permettant ainsi de couvrir une grande partie de la complexité des manifestations individuelles de l’autisme chez les individus concernés.

Comment fonctionne l’application ?

L’application se compose de 10 vidéos très courtes, d’une durée de 30 à 45 secondes chacune, et d’un petit jeu appelant les enfants à interagir avec l’écran. Chaque composante a été pensée autour d’une hypothèse de recherche basée sur l’état de la littérature concernant les manifestations comportementales précoces de l’autisme. Cela permet de mettre en évidence chez les utilisateurs·rices de l’application, des marqueurs comportementaux de l’autisme que nous avons validé années après années, en lien avec le regard, les micro-expressions faciales, les clignements d’yeux, les mouvements de la tête, le contrôle moteur et l’intégration visuelle d’information, la réponse à l’appel du prénom, etc… Par exemple, certains marqueurs se basent sur l’extraction de 49 points d’intérêt sur le visage, et s’intéressent à la complexité des micro-expressions associées aux mouvements de la bouche et des sourcils, en particulier pendant les vidéos à caractère social ou non-social.

 

Nos recherches ont permis de montrer qu’il était possible de reproduire ou d’adapter des tests connus de la littérature, pour diagnostiquer l’autisme, mais aussi de révéler de nouveaux marqueurs grâce à des avancées technologiques permettant des mesures beaucoup plus fines et précises. C’est le cas de la mesure du temps de réponse à l’appel du prénom, ou de la mesure de la synchronisation entre le regard de l’enfant et la personne qui parle dans les vidéos. Chez les individus neurotypiques par exemple, on observe une anticipation du regard plus prononcée vers la personne qui s ‘apprête à parler, une caractéristique moins marquée chez les personnes autistes.

Quelles sont les conditions d’administration de l’appli ?

L’ensemble des données de notre étude, comprenant 475 sujets, a été collecté dans 4 centres de recherche en Caroline du Nord. Les familles participent volontairement à l’étude lors d’une visite médicale de routine non obligatoire pour les enfants âgés de 18 à 24 mois (appelée well-child visit aux Etats-Unis). La prévalence du TSA dans cette étude, dépassant les 10% par rapport aux 2% observés dans la population générale, indique que les familles se présentant dans ces centres se questionnent sur une éventuelle atypicité développementale de leur enfant. Le test dure une douzaine de minutes. L’enfant est assis sur les genoux de son parent. En début de session, une vidéo sert au calibrage automatique du regard, affinant l’estimation des coordonnées X (axe horizontal) et Y (axe vertical) du regard de l’enfant sur l’écran. À la fin de l’administration de l’appli, un petit jeu ludique est présenté à l’enfant pour évaluer sa motricité fine. Les conditions d’administration visent à favoriser un environnement non contraignant où l’enfant n’est en aucun cas forcé de regarder la vidéo. Notre intention est de permettre l’expression libre des saillances comportementales liées aux traits autistiques.

D’un point de vue technique, comment enregistrez-vous le regard ?

L’enregistrement s’effectue via la caméra frontale de l’iPad qui sert également de support de l’application. Dans une première phase, le développement d’algorithmes était nécessaire pour identifier la personne d’intérêt dans les enregistrements, notamment lorsque plusieurs personnes apparaissent à l’écran, comme le parent accompagnant ou d’autres frères et sœurs. Ensuite, nous avons utilisé des algorithmes pour estimer avec précision le regard simplement à partir des enregistrements. Nous sommes aussi très vigilants avec la qualité des vidéos pour être sûr qu’elles soient bien conformes à notre protocole. Nous avons donc établi un indicateur de qualité des conditions d’administration, qui comprend des paramètres tels que la proportion du visage de l’enfant dans la vidéo qui doit être suffisamment grande ou une luminosité suffisante. Il est à noter que les performances de l’estimation sont généralement meilleures pour les coordonnées X que pour les coordonnées Y. Cela dit, tous les marqueurs ne sont pas exclusivement liés au regard. C’est aussi ce qui fait la force de cette application. Les marqueurs comportementaux, basés sur le regard, représentent seulement l’une des composantes de cette application.

À votre avis, est-ce que cette application serait en mesure de mieux dépister l’autisme que les professionnels ?

Je trouve que l’idée d’explorer des moyens standardisés que permettent l’utilisation d’algorithmes ou la technologie en général, pour réduire les biais de subjectivité dans les dépistages actuels est vraiment intéressante. Cela apporterait une certaine objectivité aux processus de détection. Cependant, dire que cela pourrait remplacer à terme le travail des professionnels·les me semble très peu probable. L’objectif de ces travaux est plutôt d’automatiser certaines tâches réalisées dans le cadre du dépistage de l’autisme. Des comparaisons de performances entre les tests de dépistage existants et l’application doivent guider cette réponse. Je pense avant tout que cette approche offre l’avantage de rendre le dépistage beaucoup plus accessible et rapide, ce qui constitue un progrès significatif.

Avez-vous eu des faux positifs ?

Les performances sont remarquables :  l’appli a réussi à reconnaître 87,8 % des enfants autistes et 80,8 % des enfants non autistes, et 40,6 % des enfants identifiés par l’appli comme présentant des traits autistiques ont par la suite fait l’objet d’un diagnostic clinique d’autisme. Il subsiste donc toujours des cas de faux positifs, qui s’expliquent notamment par l’hétérogénéité des phénotypes comportementaux liés à l’autisme. Certains enfants présentent des comportements qui sont à la fois très neurotypiques sur certaines caractéristiques et très autistiques sur d’autres.

Enfin, l’une des exigences du projet est de pouvoir donner une explication sur la prédiction faite par l’appli. Cette explication prend la forme d’un phénotype comportemental associé à la détection, qui indique parmi les variables de l’appli celles qui ont été importantes pour établir la prédiction. Il est important de souligner que les tests ne sont en aucun cas parfaits, et nous ne disposons d’aucun marqueur véritablement prédictif. L’application vise à saisir des saillances comportementales diverses en lien avec l’autisme. Une perspective envisageable pourrait être de poursuivre le développement de marqueurs comportementaux associés à cette application, relatifs aux vocalisations de l’enfant, au degré d’attention jointe avec le parent, ou aux évènements de pointage souvent observés. Cependant, il convient de reconnaître les limitations importantes de cette approche. Étant donné l’hétérogénéité des manifestations symptomatiques de l’autisme, certaines facettes sont difficiles à imaginer capturer avec une application de ce type, comme celles liées à l’acquisition du langage ou aux comportement répétitifs.

Quelle est la prochaine étape pour cette appli ?

Avec le COVID, nous avons développé un protocole permettant aux familles d’administrer l’application à leur enfant au sein de leur foyer. Les premiers résultats semblent indiquer que la fiabilité de l’application reste constante malgré les différences structurelles observées. On constate, par exemple, une grande diversité des appareils utilisés (téléphone, tablette, ordinateur, etc.). Nous essayons donc de voir si la taille de l’écran exerce une influence sur la qualité de la calibration du regard et donc des résultats. Il est aussi important de noter que, contrairement à notre installation habituelle avec une tablette sur un trépied, les familles placent souvent leurs téléphones sur une table, ce qui peut réduire la détection des oscillations dynamiques du dispositif qui sont utiles pour capturer la force avec laquelle les enfants tapent sur l’écran quand il est posé. Cela peut donc altérer la fiabilité des marqueurs liés au contrôle moteur.

En outre, actuellement, les familles ne sont pas totalement autonomes dans l’utilisation de l’application. À chaque session, un assistant de recherche se connecte via Zoom pour superviser le déroulement de l’expérience et recueillir des informations précieuses sur la manière dont s’est passée l’administration de l’application.

Pour faciliter la mise en place pour les familles, nous avons créé une chaîne YT  qui héberge des vidéos simples et claires, en anglais et en espagnol, permettant d’expliquer aux parents et aux enfants le fonctionnement de l’application et son objectif. Nous avons également défini des critères pour évaluer la qualité de l’administration et déterminer si une réadministration est nécessaire.

Une fois que les performances de l’appli à domicile auront été validées dans le cadre d’une étude clinique sur une large cohorte, alors, nous envisagerons de passer à l’étape de diffusion massive de l’application.

Pour aller plus loin

Quelles frontières entre illettrisme et dyslexie?

Affiche comportant toutes les informations du webinaire. Un personnage en train de lire un livre est en bas à gauche. Un nuage de lettres sort de son livre.

Présentation

L’illettrisme désigne la situation d’une personne qui a appris à lire et à écrire, mais en a complétement perdu la pratique. Cette condition demeure un défi persistant pour notre société puisque cela concerne 7% de la population adulte qui a été scolarisée en France (soit environ 2,5 millions de personnes).

La dyslexie, quant à elle désigne un trouble du neurodéveloppement qui concerne environ 7% de la population française. Les individus présentant une dyslexie, qu’elle soit diagnostiquée dès leur plus jeune âge ou à l’âge adulte, peuvent être confrontés à des défis majeurs lorsqu’il s’agit de développer et maitriser des compétences en lecture et en écriture.

Bien qu’il soit possible d’identifier des points communs entre ces deux conditions, une réflexion autour des causes et de leurs manifestations respectives demeure essentielle pour l’identification des facteurs de risques et d’association.

Comment différencier illettrisme et dyslexie ? Le fonctionnement du cerveau des adultes illettrés et des adultes dyslexiques présentent-ils des similarités lorsqu’ils sont en train de lire et d’écrire ? Dans quelle mesure les difficultés de lecture que l’on présente enfants peuvent-elles conduire à l’illettrisme à l’âge adulte ? Comment les adultes illettrés et les adultes dyslexiques parviennent à s’adapter à leurs difficultés et ainsi améliorer leur niveau de lecture ? Enfin, existe-t-il des différences dans la réponse aux interventions entre ces deux conditions ?

Les intervenants

  • Nicole Philibert, présidente de l’association AtoutDys
  • Eddy Cavalli, enseignant-chercheur et responsable de l’équipe Cognition des Apprentissages et du Langage (CAL) du laboratoire EMC de l’Université Lyon 2. Les recherches d’Eddy Cavalli sont soutenues par l’Agence Nationale de la Recherche par le financement ANR-18-CE28-006 DYSucces.

Informations pratiques

09/03/22, par Jennifer Beneyton

Comment le Méthylphénidate a changé ma vie

Après des années d’errance à ne pas comprendre l’origine de ses nombreuses difficultés et une vie en pointillé, Lucile, accompagnée de son neurologue, met le doigt sur son trouble de déficit de l’attention (TDAH). S’en suit une révolution sans précédent grâce à la prise d’un traitement médicamenteux qui lui permet aujourd’hui d’apprécier sa vie à tous les niveaux.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Lucile Hertzog: J’ai eu un parcours scolaire assez hétérogène avec des échecs, mais aussi de grandes réussites. De manière générale, quand il y a du sens et de la motivation, je peux déplacer des montagnes. Enfin, j’ai fini mes études par deux années de master en architecture de l’information pour me préparer à une carrière dans l’UX design. Mon entrée dans la vie active a été très compliquée. J’avais des problèmes d’intégration et beaucoup de mal à effectuer le travail demandé du fait de mon manque de motivation ce qui me plongeait dans des épisodes de dépression fréquents. Pour remédier à cela je suis allée consulter une psychologue. Elle m’a fait faire un bilan pré-diagnostic et m’a ensuite orientée vers le TS2A qui a confirmé le diagnostic de TSA en quelques mois.

Comme la question de l’insertion professionnelle était centrale pour moi, j’ai intégré des ateliers d’accompagnement professionnel qui m’ont aidé dans une certaine mesure, mais mon bilan neuropsychologique avait révélé un possible TDAH et j’ai souhaité explorer cette piste. C’est finalement ma rencontre avec un neurologue spécialisé dans le TDAH qui m’a réellement permis d’avancer. Le diagnostic TDAH a été posé rapidement.

Qu’est-ce que le diagnostic a changé dans votre vie ?

LH: Le diagnostic m’a permis d’avoir un traitement médicamenteux, ce qui fut une véritable révolution pour moi. Je peux travailler dans de bonnes conditions, on m’a confié d’autres missions qui nécessitent un effort cognitif dont je suis aujourd’hui capable. Je travaille le matin. Avant, je passais mes après-midis à dormir tellement j’étais vidée. Aujourd’hui, j’ai développé mon activité d’auto-entrepreneuse : je fais des sites internet dans le domaine de la santé et de la culture. Je peux désormais engager des projets, alors que pendant très longtemps, je restais prostrée, comme paralysée. Je suis les conversations beaucoup plus aisément, je n’ai plus de problème de mémoire immédiate, j’avais tendance à rentrer dans les murs et les portes et à faire tomber des objets, ce n’est plus du tout le cas ! Les relations sociales restent toujours un peu compliquées mais cela s’améliore. J’étais très envahie par les bruits, je ne sortais jamais sans mon casque anti-bruit, maintenant, c’est davantage un accessoire de confort que j’utilise de temps à autre. J’ai aussi réalisé que mes troubles de l’apprentissage étaient liés à mon TDAH, je pensais être dyscalculique mais mon traitement me permet de faire du calcul mental. Cela a dépassé mes attentes.

Est-ce contraignant de devoir prendre ce traitement ?

LH: Évidemment, ce n’est pas anodin de prendre un traitement tous les jours, mais ma vie est tellement plus épanouissante et agréable, pour moi comme pour mon entourage, que je ne le vis pas du tout comme une contrainte. Je prends mon traitement une fois le matin et puis je n’y pense plus. Je suis encore en phase d’apprivoisement de la gestion de cette molécule de Méthylphénidate. J’observe beaucoup de variations de ces effets en fonction de mon planning, je gère au jour le jour. Il faut être bien accompagné par son médecin. On commence par de petites doses et on voit ce qu’il se passe jusqu’à obtenir le grammage optimal. Il faut aussi respecter une certaine chronologie dans les traitements, par exemple, il est primordial de traiter les troubles anxieux et dépressifs avant d’introduire le Méthylphénidate sous peine d’accroître les autres troubles.

Même si ce traitement doit être proposé en première intention chez l’adulte, vous avez observé des résistances…

Oui, malheureusement, il subsiste encore une grande méconnaissance du TDAH chez l’adulte ce qui occasionne parfois des moments assez humiliants dans les pharmacies, notamment. « Vous êtes sûre que vous prenez ça ? Pourtant vous êtes adulte ! ». J’ai eu parfois à faire à des personnes qui me culpabilisaient, qui me questionnaient pendant de longues minutes, façon interrogatoire, qui mettaient un temps fou à me fournir mes médicaments, comme si je n’étais pas légitime, alors que je suis pourtant dans mon bon droit. Aujourd’hui, je ne fréquente que ma pharmacie qui me connaît bien et je n’ai plus aucun problème, mais je comprends que certaines personnes puissent être intimidées par tout ça. Face à ce manque de connaissance sur le TDAH adulte, j’ai eu envie d’organiser et de mettre à profit les connaissances que j’ai acquises tout au long de mon parcours et c’est ainsi que j’ai créé un site internet.

Votre site est d’ailleurs très informatif, clair et complet, bravo !

Il est en ligne depuis septembre 2021. J’ai beaucoup travaillé dessus pendant la crise du COVID car mon employeur m’avait mise en chômage partiel ce qui m’a laissé du temps. J’avais moi-même trouvé des bribes d’informations çà et là. Mon souhait était donc de rassembler les données, mais aussi de faire un effort de clarté pour que la lecture convienne aux personnes comme moi. Cela s’est révélé être un outil de psychoéducation très utile pour mon entourage et a servi de base aux discussions liées à mon TDAH, ce qui fait que ce n’est pas du tout un tabou dans ma famille, on en parle tout à fait librement. Il y a une partie informative et descriptive sur le TDAH, le traitement etc… mais j’ai aussi une rubrique actualité pour laquelle j’écris des articles de fond sur des sujets qui me tiennent à cœur comme par exemple récemment les personnes haut potentiel intellectuel (HPI) qui sont parfois assimilés à tort à certains troubles du neuro-développement (cf ressources). Chacun de mes articles est sourcé et relu par des professionnels du domaine.

Des projets à venir ?

J’espère continuer à alimenter ce site qui me tient à cœur. J’ai également plusieurs projets sur la thématique du TDAH, que je vous invite à découvrir prochainement sur mon site…

Quelques données récentes sur le diagnostic des adultes TDAH

Ressources :

Newsletter

07/02/22, par Jennifer Beneyton

Enjeux du diagnostic TSA à l'âge adulte

Le Dr Elodie Zante a rejoint le pôle HU-ADIS du Centre Hospitalier le Vinatier en novembre 2021 en tant que cheffe de clinique. Elle a fait sa thèse de médecine sur le vécu et les enjeux du diagnostic de trouble du spectre de l’autisme chez l’adulte et partage avec nous quelques éléments de réflexion issus de son travail.

Pourquoi parle-t-on si peu des adultes autistes ?

Les premières descriptions cliniques d’autisme ont été faites à partir d’observation d’enfants par les psychiatres Léo Kanner et Hans Asperger à partir de 1943. L’autisme a très longtemps été considéré comme un trouble rare touchant des enfants, souvent associé à une déficience intellectuelle. Depuis une cinquantaine d’année, ce diagnostic a évolué pour prendre la forme d’un spectre beaucoup plus large touchant également des adultes et des personnes sans déficience intellectuelle.

L’avancée des connaissances et des recherches cliniques a permis l’émergence de l’approche dimensionnelle actuelle (DSM 5, 2013) où sont apparus des faisceaux de symptômes autistiques définissants des traits qualifiés d’autistiques. Cette évolution a considérablement augmenté la sensibilité des cliniciens au fonctionnement autistique et donc la prévalence de l’autisme.

La France a accumulé un gros retard dans le repérage des enfants porteurs de troubles du spectre de l’autisme (TSA), retard qui est aujourd’hui en train d’être rattrapé grâce aux efforts de la Stratégie Nationale, mais des générations entières de personnes avec TSA n’ont pas été diagnostiquées dans l’enfance. Ces enfants n’ont pas disparu, ils sont devenus des adultes plus ou moins bien intégrés dans notre société.

Il n’y a pas de statistiques claires, mais on estime qu’il y a environ 700 000 personnes TSA en France dont 600 000 personnes de plus de 20 ans et seulement 75 000 personnes diagnostiqués (Statistique issue d’un rapport de la Cour des Comptes, 2017). Le diagnostic d’autisme puis de TSA a longtemps été l’affaire quasi exclusive de pédosychiatres sur-spécialisés. Bien que l’accès au diagnostic de TSA à l’âge adulte s’améliore constamment, il reste encore beaucoup de chemin à faire afin de permettre un dépistage à grande échelle puis un diagnostic dans cette population adulte. Désormais, former les médecins d’aujourd’hui et de demain au dépistage et au diagnostic des troubles du neurodéveloppement (TND) à tous les âges est devenu notre priorité afin de pouvoir accompagner les personnes qui en auraient besoin avec des prises en charges adaptées.

Pourquoi est-ce si difficile d’avoir accès à un diagnostic TSA à l’âge adulte aujourd’hui ?

Je vois plusieurs raisons à cela. D’une part la France est restée très (trop) longtemps ancrée dans une tradition psychanalytique forte qui pensait que l’autisme était le résultat d’un dysfonctionnement de la relation mère-enfant. Aujourd’hui, bien que ces théories aient été discréditées par l’avancée des connaissances scientifiques, il persiste de fausses croyances dans l’imaginaire collectif, y compris parmi certains professionnels de santé.

D’autre part, les Centres Ressources Autisme (CRA) ont beaucoup aidé au début car ils étaient des centres d’information, de coordination et de diagnostic bien identifiés par les professionnels et les familles. Mais, avec le temps, les professionnels ne se sont pas emparés de la question, considérant que c’était l’apanage des CRA. On constate aussi un manque d’investissement de la part de la psychiatrie : les troubles du neuro-développement restent un champ encore relativement peu investi en France contrairement à l’Amérique du Nord. À noter qu’en France, une scission historique entre la neurologie et la psychiatrie qui jusqu’en 1968 formaient la neuropsychiatrie, a probablement impacté négativement l’exploration conjointe des TND qui sont situés à leur frontière.

Enfin, il existe encore de grandes inégalités territoriales dans l’accès au diagnostic. La pénurie de psychiatres, associée au manque de professionnels formés aux TND, rend l’accès à un bilan diagnostic de proximité compliqué, aussi bien en libéral que dans des CMPs. De plus en plus de psychologues libéraux se forment et permettent ainsi de faciliter l’accès à un bilan pré-diagnostic mais ceux-ci ne sont actuellement pas pris en charge par la sécurité sociale et leur coût constitue une source majeure d’inégalité d’accès. C’est d’autant plus discriminant qu’il persiste un écart important entre les moyens qui sont disponibles dans le secteur public et les demandes, avec entre autres, des listes d’attente importantes pouvant retarder le diagnostic puis la prise en charge de plusieurs années.

Comment améliorer cela ?

Il faut que les professionnels se forment massivement au dépistage et au diagnostic des TSA. Aujourd’hui, les futurs médecins sont sensibilisés aux TND et les futurs psychiatres ont une formation théorique mais ils sont relativement peu nombreux à faire des stages dans des services spécialisés. Aujourd’hui il est impensable qu’un psychiatre, récemment formé, ne sache pas diagnostiquer une schizophrénie mais pour les TND dont les TSA, cela reste encore relativement fréquent… Pourtant la schizophrénie et les TSA ont des prévalences similaires.

Il est vraiment regrettable que cela ne fasse pas partie des exigences actuelles, d’autant plus quand on connait l’impact d’un diagnostic sur la trajectoire des personnes concernées. Beaucoup de formations continues se développent afin de former les professionnels de santé tel que des DU et DIU et un grand plan de formation des médecins généralistes et pédiatres de 22 millions d’euros vient d’être lancé par la stratégie nationale pour l’autisme au sein des TND.

Comment se passe un diagnostic ?

Le diagnostic est médical c’est-à-dire qu’il doit être établi par un médecin. Lorsque c’est un médecin qui est consulté en premier, il va choisir les outils les plus adaptés pour cette évaluation, en fonction de la complexité du diagnostic et de ses enjeux. Depuis quelques années, de plus en plus de personnes s’orientent directement vers des psychologues libéraux formés afin de faire des bilans pré-diagnostic puis consultent un psychiatre qui conlura la démarche diagnostique. Dans tous les cas, l’exploration diagnostique se divise en 4 parties:

  • L’histoire développementale dont l’objectif est d’obtenir des informations générales sur le fonctionnement de la personne, passé et présent. Cela peut prendre la forme d’un entretien avec les proches qui connaissent la personne depuis l’enfance. Lorsque cela n’est pas possible, il est commun d’avoir recours à des photos et vidéos de famille, du carnet de santé, des bulletins scolaires etc…qui vont permettre de favoriser la récupération des souvenirs et donner des informations au professionnel. Généralement, cet examen est effectué à l’aide de l’ADIR (Autism Diagnostic Interview Revised) qui est un entretien dirigé mettant en avant les signes évocateurs d’autisme dans l’enfance via des questions précises. Cet outil de référence est très précis mais également très long à réaliser. En pratique, c’est parfois impossible à utiliser avec des adultes et n’est pas toujours nécessaire donc beaucoup de professionnels formés posent des questions adaptées de ce questionnaire.
  • Le fonctionnement interne de la personne, qui peuvent faire l’objet de questions précises sur sa compréhension et son ressenti vis-à-vis de son l’environnement physique, sensoriel et social… Parfois, l’individu peut effectuer des tests psychométriques avec une psychologue permettant de mettre en évidence son fonctionnement cognitif global: on utilise un test standardisé appelé WAIS (Wechsler Adult Intelligence Scale), le fameux « test de QI » dont le score global présente un intérêt limité bien qu’il fasse l’objet de nombreux fantasmes populaires… Ce qui nous intéresse c’est de voir la répartition des compétences cognitives de la personnes au travers de différents indices (compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement) qui permettront de mettre en évidence ses points forts et ses points faibles. Des tests de cognitions sociales peuvent également parfois être proposés afin de mieux explorer les différents mécanismes cognitifs impliqués dans la compréhension des interactions sociales.
  • Le comportement adaptatif exploré par exemple avec la VINELAND qui renseigne sur l’autonomie de la personne dans la réalisation des tâches quotidiennes afin de mettre en évidence d’éventuelles difficultés.
  • La recherche des éléments cliniques reste le point central du diagnostic. L’outil de référence pour cela est l’ADOS (Autism Diagnosis Observation Schedule) mais c’est un outil relativement long qui n’est pas réalisé en routine. Les différents signes cliniques recherchés durant une interaction standardisée peuvent être également mis en évidence autrement notamment lors d’entretien avec un psychiatre ou le psychologue formé.

Dans tous les cas, le travail en réseau présente de nombreux avantages, qu’il soit via un bilan pré-diagnostic ou via des bilans paramédicaux prescrits par le médecin. Tout d’abord cela permet d’optimiser le temps médical disponible qui est le facteur le plus limitant à l’accès au diagnostic. L’approche pluridisciplinaire peut s’avérer indispensable pour certains diagnostics complexes et pourra faciliter l’acceptation du diagnostic et le sentiment de légitimité de celui-ci. Les bilans complémentaires ainsi que la communication d’un ou plusieurs comptes rendus peuvent aussi aider à l’acceptation du diagnostic aussi bien par la personne concernée que par ses proches. Enfin la démarche diagnostique se termine par la proposition de consultations post-diagnostic que cela soit pour des prises en charge spécialisées, pour poser des questions en rapport avec le TSA ou pour échanger sur son vécu du diagnostic d’autant plus lorsque le diagnostic est tardif.

Pourquoi est-il important d’avoir un diagnostic ?

Le diagnostic de TSA va impacter la personne à plusieurs niveaux dont les enjeux vont varier selon les situations. D’une part, cela ouvre de nouvelles perspectives à la personne et met fin à l’errance diagnostique subie par la plupart de ces adultes qui est source de souffrance. Beaucoup d’adultes avec un diagnostic tardif rapportent avoir beaucoup souffert de cette différence invisible, source de difficultés souvent incomprises. La plupart du temps c’est un soulagement pour la personne concernée car cela lui permet de se sentir enfin comprise et d’envisager l’avenir autrement, en fonction de ses besoins particuliers.

D’autre part, les personnes avec TSA ont souvent moins recours aux soins de manière générale et sont plus susceptibles d’avoir des comorbidités psychiatriques et des idées suicidaires que la population générale. Le diagnostic avec des professionnels connaissant les TSA et leurs spécificités de fonctionnement pourra faciliter l’orientation de la personne vers des soins adaptés à ses besoins. C’est d’autant plus important que certaines personnes ont développé un évitement des professionnels de santé suite à des expériences vécues comme traumatisantes en lien avec des diagnostics psychiatriques erronés et des traitements inadaptés. Le processus diagnostic est un moment propice à réinstaurer une relation de confiance entre la personne et des soignants pouvant impacter positivement la santé.

Cela permet aussi de relire son histoire personnelle via le prisme du diagnostic et c’est primordial car plus on comprend son histoire, plus on peut se projeter de manière adaptée dans le futur. Savoir c’est pouvoir mieux s’adapter, ce qui permet de réfléchir à comment mobiliser ses compétences afin de compenser ses difficultés.

Par ailleurs, après des années à se sentir seul dans sa différence, le diagnostic donne lieu à un sentiment d’appartenance à une communauté qui a parfois longtemps fait défaut. Se reconnaître dans l’autre, pouvoir échanger ses ressentis et ses astuces, s’entraider, c’est la base d’une meilleure santé mentale et la fin d’un isolement souvent subi. Cela permet aussi à l’entourage de mieux comprendre la personne et son fonctionnement. Les aidants peuvent trouver du soutien via des dispositifs associatifs, des réseaux d’entraides ou des accompagnements spécialisés comme des programmes de psychoéducation spécifiques. Le diagnostic va également permettre à l’entourage d’aider à l’adaptation de la personne concernée avec son environnement physique et social.

Enfin, cela permet aussi d’avoir accès à des avantages sociaux via un dossier MDPH, mais aussi la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), qui peut donner accès à des mesures favorisant l’insertion professionnelle ou le maintien dans l’emploi.

Cela étant dit, le diagnostic n’est pas une fin en soi, il n’est qu’une porte d’entrée vers un après qui peut nécessiter un accompagnement sur mesure, et là aussi, ça avance, mais il y a encore du chemin à parcourir.

Ressources :

Newsletter

Diagnostiquer les troubles du neuro-développement

Libération et légitimation de ce que je suis.

J’apprends à me respecter (enfin, j’essaie).

Un mieux être. Une meilleure écoute de mes besoins.

Apaisement, calme.

La poésie des expériences : ce sont les mots de personnes neuroatypiques qui ont reçu un diagnostic de trouble du neuro-développement. 

Á la recherche d’un diagnostic

Le processus de recherche d’un diagnostic de troubles du neuro-développement suscite de nombreux sentiments et impacts variés. Pour l’individu et son entourage, il peut transformer la compréhension que l’on a de soi-même. Il peut offrir une source de soulagement qui explique, ou du moins donne un sens, à une façon d’être. Il peut aussi donner accès aux aides et aux accompagnements. Mais avoir une étiquette peut aussi être une source de difficulté et de stigmatisation selon l’environnement et la bienveillance, ou non, des autres. 

Comme on peut le constater, un diagnostic n’est pas simplement un document, mais plutôt un processus complexe souvent chargé d’émotion et de signification.

Au cours des prochains mois, on va se pencher sur les différents aspects de la quête et de la démarche d’une évaluation diagnostique des troubles du neuro-développement, ainsi que sur ce qui se passe par la suite.

Un neuropsychologue assise en face d'une patiente tenant des papiers.

Évaluations diagnostiques pour les adultes

Une évaluation diagnostique prend une forme différente selon le TND que l’on veut évaluer. Différents tests ont été mis au point dans différents pays, dans différentes langues, pour diagnostiquer différents troubles. Dans le cas de l’autisme, cela peut impliquer de remplir un questionnaire sur soi-même et de partager des informations sur votre enfance et les difficultés que vous avez rencontrées.  

La majorité des tests, cependant,  sont conçus pour les enfants, sauf le WAIS-4, L’EFI et  l’échelle de Vineland qui sont adaptés aux adolescents et aux adultes. Cela soulève une question importante : s’assurer que nous disposons de tests efficaces et de professionnels formés pour répondre aux besoins des adultes. 

Pour mettre cela en perspective, les troubles du spectre de l’autisme (TSA) représentent, eux, entre 0,9 % et 1,2 % des naissances, soit environ 7 500 bébés chaque année. Pourtant, la Haute Autorité de santé estime qu’environ 100 000 jeunes de moins de 20 ans et près de 600 000 adultes sont autistes en France.

Où puis-je aller pour un diagnostic ?

Un diagnostic pour un trouble du neuro-développement peut être posé dans des différentes structures, tel que :

  • un service hospitalier (de pédiatrie, de génétique etc) 
  • un centre de ressources autisme
  • un centre de référence des troubles spécifiques du langage et des apprentissages
  • un centre médico-psychologique (CMP)
  • les professionnels de seconde ligne en libéral

Un diagnostic peut être réalisé par un médecin généraliste, un psychologue, un neuropsychologue ou un psychiatre.

L’attente d’un diagnostic

L’un des 5 engagements fondamentaux de la stratégie nationale autisme et troubles du neuro-développement est d’intervenir précocement auprès des enfants présentant des écarts inhabituels de développement. Il s’agit d’améliorer le repérage et de faciliter et accélérer l’accès aux évaluations diagnostiques. 

Sous l’impulsion de la stratégie nationale on voit qu’il y a une augmentation importante dans le repérage des enfants pendant les dernières années, à la suite de différents facteurs tels que la création de nouvelles plateformes de coordination et d’orientation (PCO) et la formation de davantage de professionnels.

Nombre d'enfants repérés et accompagnés. Un diagramme en barres qui montre que 150 enfants ont été repérés en février 2020, 6,800 en Fev 2021 et 11,000 en juin 2021

L’étude d’impact de la stratégie nationale autisme-troubles du neurodéveloppement.

Cependant, actuellement, un nombre important de personnes qui soupçonnent un TND doivent attendre plus d’un an pour être diagnostiqué, comme le montre le graphique ci-dessous. Les temps d’attente ont légèrement augmenté entre 2020 et 2021 pour tous les TNDs, ce qui s’explique en grande partie par la situation sanitaire.

Ces chiffres viennent de la deuxième édition de l’étude d’impact de la stratégie nationale autisme-troubles du neurodéveloppement.

De nombreux adultes cherchent à obtenir un diagnostic à la suite de difficultés qu’ils ont rencontrées. Le fait de devoir attendre longtemps pour obtenir un diagnostic représente donc un autre obstacle indésirable.

Quel est le retour général des personnes concernées sur le processus de diagnostic ?

Nous avons mené une enquête à laquelle ont répondu 100 personnes porteuses de différents troubles du neuro-développement, de l’autisme à la dyslexie, etc. En général, les réactions à un diagnostic sont variées et marquent un événement important dans la vie de nombreuses personnes. 

A la fois un peu « déboussolé » et « soulagé ».

Très souvent, une personne ressentira des émotions à la fois négatives et positives face à un nouveau diagnostic, représentant souvent un arc d’ajustement ou d’acceptation.

“Choc, honte, puis soulagement et alignement”

De nombreuses personnes interrogées ont partagé des sentiments de soulagement, de validation et de réassurance. Une personne a partagé qu’elle a été soulagée car le diagnostic l’a rendue plus sûre d’elle et a enfin pu en parler autour d’elle : elle ne se sentait plus comme une imposteure. 

Une autre a trouvé du réconfort dans le fait de pouvoir formaliser enfin sa différence ,

“J’ai été soulagée de pouvoir mettre un mot sur un point d’interrogation que j’ai eu toute ma vie. En même temps, cela a soulevé d’autres questions et problématiques.”.

Une personne a témoigné, que pour elle son diagnostic représentait un « soulagement de trouver des professionnels qui pouvaient aider. Le diagnostic a été posé à presque 18 ans, après une errance médicale très lourde (diagnostic de schizophrénie, hospitalisations en psychiatrie, tentative de suicide, …)”. 

Par contre, parallèlement, une errance médicale peut aussi révéler de la colère :

“J’ai été suivi durant des années par des psychiatres privés qui ne m’ont jamais donné de diagnostic, qui me donnaient des antidépresseurs qui ne me servaient à rien. J’ai abordé l’autisme à quelques reprises mais visiblement, c’est une piste qui ne semblait pas les intéresser. Et pendant ce temps, ma vie et mon état empirait. J’ai été dépisté en 1h, sans tests, juste un entretien, mon autisme est flagrant. Alors j’étais en colère contre ces psychiatres.”.

…Tandis que d’autres étaient dans le déni, éprouvaient de la honte et du stress. Pour certaines personnes, il s’agit d’un processus difficile de confrontation avec les traumatismes de l’enfance,

épisode dépressif à posteriori, à revisiter mes difficultés d’enfance à la lumière de cette confirmation (et constat combien il aurait été simple de m’expliquer ce que je n’étais pas en mesure de comprendre spontanément)”.

“Beaucoup de regrets sur ce qu’aurait pu être mon existence si on avait su plus tôt. Est-ce que j’aurais été harcelée comme ça à l’école ?Ce sont des questions que je me pose toujours maintenant. J’ai également été désespérée de savoir que mes difficultés ne pourraient pas disparaître… En quelque sorte, je craignais de ne jamais pouvoir être normale, et c’est effectivement le cas. Je le vis un peu mieux maintenant, depuis que j’ai rencontré d’autres autistes, mais il y a encore des jours où je le vis très mal.”.

…et après un diagnostic ?

“D’abord le chaos. Maintenant plus de confiance.”

En lisant ces différents témoignages, nous constatons que la confirmation d’un diagnostic peut être simultanément une étape positive dans la vie d’une personne, tout en soulevant d’autres questions et inquiétudes. 

Ce que nous savons, c’est que l’accompagnement d’une personne nouvellement diagnostiquée dans la compréhension de son diagnostic est extrêmement important. Un professionnel a la responsabilité de s’assurer que la personne concernée part avec une compréhension globale de ce que cela signifie par rapport à son identité, ses forces et ses challenges, le soutien auquel elle peut avoir droit, les questions relatives à la divulgation du diagnostic à son entourage, etc. 

La possibilité d’accéder à un soutien approprié après avoir reçu un diagnostic est également d’une importance capitale. Il peut s’agir d’une étape importante pour appréhender une nouvelle étiquette ou la vivre comme un fardeau. 

“Au début cela m’a confortée dans l’idée que j’étais « bizarre », j’ai fait une dépression qui était déjà latente. Puis, avec le temps et l’accompagnement, cela m’a aidée à m’accepter et à me faire respecter comme je suis.”

La majorité des personnes qui ont participé à notre enquête ont déclaré que le diagnostic leur avait permis de mieux se comprendre ainsi que leur fonctionnement, “Une meilleure acceptation et écoute de moi même et de mes particularités et souffrances.”… “je sais mieux comment je fonctionne, je sais quand je dois me reposer et ce que je dois adapter”. 

Pour beaucoup de personnes cela a aussi permis d’avoir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), la possibilité de soumettre un dossier à la maison départementales des personnes handicapées (MDPH) et débloquer une prise en charge qui leur a permis de mieux gérer leur besoins, leur santé mentale, leur fatigue,  leur vie professionnelle,  leur vie sociale… 

“Juste après le diagnostic (ou plutôt les diagnostics), j’ai été déstabilisée, le temps de « digérer ». Puis impact très positif. Les premiers mois, mes symptômes ont été beaucoup plus visibles pour mes proches. Cela fait plus de 2 ans maintenant et c’est globalement très positif. Je sais désormais ce qui me convient et ce que je dois éviter, en particulier au niveau sensoriel. Je respecte mieux les besoins de mes proches aussi (j’évite de leur parler à longueur de journée de mes centres d’intérêt). Je peux également mieux accompagner mon fils (même si nous n’avons pas toujours les mêmes particularités)”

De nombreuses personnes ont déclaré que la possibilité d’expliquer leurs besoins aux autres, en utilisant une étiquette connue, a amélioré la compréhension et les relations avec leurs proches et leurs collègues. 

“Il m’est désormais plus facile d’être compris et inclus par mes relations sociales et professionnelles, je n’ai plus besoin d’expliquer systématiquement mes besoins ou ma situation de handicap car il suffit d’en parler une fois en début de relation et la personne en face le comprend et l’accepte plus facilement. Cela m’a également permis d’avoir davantage confiance en moi, d’oser poser mes limites pour mieux adapter mon quotidien.”

Malheureusement, il existe aussi des exemples de cas où le fait de révéler un trouble du neuro-développement entraîne un jugement, une discrimination et une stigmatisation. C’est pourquoi nous, les autres centres d’excellence, les associations, les personnes concernées et nous tous collectivement avons toujours du travail à faire en changeant le regard autour des troubles du neuro-développement. Lorsqu’une personne est diagnostiquée, il faut lui rappeler, ainsi qu’à son entourage, qu’il s’agit d’une des nombreuses façons d’être, et que cela apporte une grande valeur et une diversité indispensable à notre société. Chacun a sa place.

« Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. »

Pascal Bellanca-Penel avait une passion pour son métier d’enseignant de physique-chimie. Après 23 ans de carrière dans l’Éducation Nationale et au terme d’une décennie de plus en plus difficile à gérer, 2019 marque la fin définitive de sa carrière et aussi le début d’une nouvelle vie où il apprend à vivre avec un TSA. Éternel enthousiaste et foisonnant de projet, il vient de lancer un podcast pour sensibiliser différemment les professionnels de la santé au spectre de l’autisme.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Pascal Bellanca Penel, j’ai 50 ans, j’ai enseigné la physique et la chimie la moitié de ma vie au Lycée, dont deux années en classe prépa, à Istanbul ; deux années merveilleuses de découvertes. J’ai suivi en parallèle des études d’histoire et de philosophie des sciences et j’ai obtenu mon doctorat en 2016 sur un sujet d’histoire de physique nucléaire. Le métier d’enseignant m’a passionné toute ma vie et m’a porté du matin au soir et beaucoup occupé pendant ce que l’on appelle  « les vacances ». Ça a été un grand privilège pour moi de partager ma passion de la physique avec ces milliers de jeunes gens.

Mais, depuis une dizaine d’année, chaque année était un peu plus difficile. En 2018, j’ai perdu le sommeil, des douleurs thoraciques sont apparues, sans que je fasse de lien avec une angoisse quelconque. J’ai toujours été très intolérant au bruit. Le brouhaha des élèves m’a toujours beaucoup gêné, mais là, c’était devenu insupportable physiquement.

Je pensais que tout cela était le signe que je vieillissais. Les rentrées ont toujours été particulièrement éprouvantes, mais celle de 2019 fut la dernière pour moi. La réforme Blanquer des lycées est dans doute la goutte d’absurdités qui m’a fait basculer dans l’autre monde. J’ai toujours été très impliqué dans des collectifs de recherches liés à l’enseignement et j’y trouvais un réel plaisir. Je participais à 3 ou 4 d’entre eux. Lors de la réforme, je voyais quotidiennement la différence entre l’affichage (« l’école de la confiance ») et la réalité du terrain. C’est devenu pour moi insupportable. Je suis allé voir un psychiatre qui m’a hospitalisé pendant 3 semaines. De fil en aiguille, j’ai finalement eu deux diagnostics de TSA au CRA puis au TS2A. Je suis maintenant, une « personne concernée » par l’autisme.

J’ai compris beaucoup de choses rétrospectivement par rapport à mes angoisses, mes douleurs et à ma fatigabilité. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais il y avait des manifestations depuis toujours. Je suis marié depuis 24 ans, ma femme a toujours su qu’il y avait quelque chose d’atypique chez moi. Cela a été parfois très compliqué pour mon entourage, qui a dû vivre mes angoisses, mes intérêts totalement envahissants et parfois, mes décompensations. Le fait d’avoir une vie professionnelle « suffisamment bonne et acceptable » pour l’institution, se payait par contrecoup sur le plan privé, personnel et familial. Cela, jusqu’à ce que je n’arrive plus à circonscrire mes difficultés dans mon cercle privé et que ça déborde du coté professionnel. Mais je crois être resté professionnel jusqu’au bout ; je l’espère en tout cas.

Quel est votre parcours d’usager ?

Ça commence en 2019 avec ce psychiatre qui me propose de m’hospitaliser pour une durée de trois semaines dans le cadre d’un programme qu’il avait mis en place. Je quitte son cabinet sous le choc (ai-je vraiment besoin d’être hospitalisé ?) mais j’accepte finalement d’aller dans cette clinique sans aucune appréhension mais comme dans un état second. Pour moi, il y avait deux espèces de hors-lieu, de lieux que je n’avais jamais investi dans mon imaginaire des possibles : la prison et l’hôpital psychiatrique. Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. C’est juste un endroit où des professionnels prennent soin de vous et des liens que vous avez au monde. J’ai trouvé ça fantastique et tellement apaisant d’être pour la première fois de ma vie, dans un lieu coupé du monde qui fonctionne ; plus rien de sa toxicité ne pouvait me faire de mal. J’ai été très privilégié. Cette clinique privée est un écrin magnifique, arboré, silencieux ; un espace apaisant et totalement bienveillant. Je sais évidemment que toute institution est dysfonctionnelle, par certains côtés, mais j’ai eu beaucoup de chance de trouver ce psychiatre et cette clinique sur mon chemin. 

Pendant les 3 semaines, j’ai participé aux activités journalières. Il y avait tout un programme pour « nous remettre dans le circuit ». Je suis sorti avec 15 jours d’arrêt, hyper angoissé de ce que pourrait être la suite. Je n’ai pas été médiqué durant ce premier séjour en clinique. C’est après ma sortie, que j’ai chuté et que j’ai été aspiré par le trou noir de la dépression. Je me suis retrouvé face à un immense vide. J’ai été suivi en hôpital de jour à partir de janvier 2020 avec la promesse d’un suivi psychothérapeutique en libéral. J’ai mis du temps à trouver ma psychothérapeute car je voulais faire de l’EMDR, une technique que j’avais expérimenté en clinique. Mais au bout de deux entretiens, elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas continuer son travail avec moi avant d’en savoir plus. Elle suspectait un TSA et voulait connaître « les murs porteurs de mon psychisme ». J’ai donc pris contact avec le CRA et j’ai été diagnostiqué en mai 2020. C’est comme ça que je suis rentré dans la psychiatrie. Enfin, j’avais eu des contacts avec les psychiatres tout au long de ma vie, mais aucun n’avait mis le doigt sur un TSA. Mais de manière globale, j’ai une gratitude énorme pour tous les soignants que j’ai rencontré. Je leur dois beaucoup.

Que signifie comorbidités selon vous ?

On parlait de « murs porteurs » du psychisme. Je pense que les comorbidités sont des murs non porteurs, mais qui sont très visibles en revanche, car très colorés dans mon imaginaire. Ils prennent beaucoup de places mais ne soutiennent pas la structure psychique de la personne. Ils peuvent donc se construire et se déconstruire tout au long de la vie, mais ont la particularité d’être plus visibles que les murs porteurs.

Je pense aussi à la notion d’écran en référence à une personne que j’ai rencontré grâce au podcast, Florence, qui a un parcours tellement difficile. Elle a été diagnostiquée entre 28 et 30 ans. Elle a tellement de comorbidités : des TOCs extrêmement forts, un trouble anxieux généralisé tellement important que tout cela faisait écran à son TSA.

Les SISM viennent de s’achever, avez-vous une expérience en lien avec la santé mentale à partager avec nous ?

J’ai découvert un podcast qui s’appelle les garde-fous. Dans l’épisode du 31 janvier 2021, ils ont interviewé le psychiatre Mathieu Bellahsen. Il est très engagé et a écrit un livre qui s’appelle « la santé mentale : vers un bonheur sous contrôle ». Dans ce podcast, il raconte que dans un rapport officiel de 2009, la santé mentale était définie comme la capacité de s’adapter à une situation à laquelle on ne peut rien changer. Je trouve ça horrible ! Cela présuppose qu’il y a des situations auxquelles on ne peut rien changer. C’est la plus grande des violences. Pourtant, il n’y a rien qu’on ne puisse déconstruire. Dysfonctionner reviendrait à ne pas ou ne plus s’adapter à une situation considérée comme inamovible. Si c’est ça, il faut que tout le monde se mette à dysfonctionner. Pour moi, une bonne santé mentale c’est l’inverse, c’est la capacité à arrêter de s’adapter à un moment donné, la capacité à dire stop à un système qu’on considère toxique.

La crise sanitaire liée au COVID semble derrière nous, comment appréhendez-vous ce retour à la vie d’avant ?

J’ai adoré la période COVID : ma famille était autour de moi, ce qui me rassurait beaucoup car j’ai toujours peur qu’il leur arrive quelque chose. Il n’y avait plus de circulation et on entendait à nouveau le chant des oiseaux. Le chant des martinets en particulier est une source de joie extraordinaire pour moi. Cela me fait penser au programme Papageno pour la prévention du suicide. Papageno est un personnage de la Flûte enchantée de Mozart qui projette de se suicider après avoir été éconduit par Papagena. Au moment où il passe à l’acte, un chant d’oiseau le ramène à la vie, le reconnecte avec la beauté du monde. D’où l’envie de vivre.

Maintenant que la vie reprend plus ou moins son cours, je remarque que les surcharges arrivent vite. Je sais qu’après une interaction de 2h, il va me falloir 2h pour m’en remettre, soit dans le silence total ou avec mon casque sur lequel j’ai des enregistrements naturalistes. Toutes les interactions que j’engage me coûtent beaucoup psychiquement. J’organise donc mon emploi du temps en fonction. Avant, je ne sais pas comment je faisais. Je ne m’écoutais pas. Je travaillais comme un forcené, les week-ends, les vacances… J’ai appris au bout de 15 ans de travail, au cours d’un déjeuner entre collègue, que certains ne travaillaient pas le week-end. Cela m’a semblé surréaliste. C’est tellement délicat pour moi la relation sociale qu’il faut que je « borde » de tous les côtés. Pour moi 1h de cours, c’était 10h de mon temps. Beaucoup de préparation angoissée en amont, une performance de prof attentif à chacun où je dois savoir réagir à tout ce qui se passe et des ruminations post-cours ; bref, l’épuise totale.

Ce qui est dur, c’est que je ressens maintenant des situations de handicap, que je ne ressentais pas avant. Je n’ai pas de souci avec le handicap dans le sens où je sais qu’il n’y a que des situations de handicap et que ce n’est pas essentiel à ma personne. Mais j’ai 50 ans, je n’ai plus la même énergie pour compenser, il faut que je compose avec tout ça.

Vous avez lancé un podcast qui s’appelle TroubleS dans le spectre à destination des professionnels de santé. Comment vous est venu l’idée ?

Ma première idée, c’était de parler au psychiatre que j’ai rencontré en 2019, qui m’a hospitalisé et qui a continué de me suivre pendant quelques temps. Il m’a un jour questionné sur mes avancées avec ma psychothérapeute. Quand je lui ai dit que cette psychologue avait émis l’idée d’un TSA, il m’a dit « si vous êtes autiste, moi je change de métier ». Finalement, quand j’ai partagé avec lui mon diagnostic, il a été un peu choqué, mais par la suite, il a complètement intégré cet élément de mon psychisme dans l’appréhension de ma personne et de cette dépression résistante. J’ai trouvé ça assez fort de sa part de revenir sur une son appréhension première. Il est devenu un allié.

L’autre élément déclencheur, c’était lorsque j’ai participé à un atelier au CRA et que tous les participants sans exception ont fait part de difficultés avec le personnel soignant. En rentrant chez moi, je me suis dit qu’il fallait atteindre ces gens-là, et qu’on les rende sensible à la parole à toute l’étendue du spectre, à travers la parole des personnes concernées. L’idée du podcast est née comme ça. J’en ai parlé au TS2A, au CRA et au CRR. Et puis, la belle équipe (Floriane, Céline, Aude, Romain, Sandrine et Alejandra) s’est constituée pour développer ce projet.

Je voulais communiquer sur un mode sensible, mais pas un mode savant. Je sais qu’en France, la tradition psycho-psychanalytique est encore très forte. Les stéréotypes sur l’autisme sont aussi institutionnels. Avec ce podcast, on ne cherche pas à convaincre, mais à enrichir les représentations des personnels de santé. Le personnel soignant est souvent très « sachant ». Il est entraîné à s’endurcir face à des situations parfois très complexes à gérer. Je pense que se rendre perméable et se laissant affecter par les autres est aussi très important. Avec ce podcast, je ne cherche pas à rajouter une couche expérientielle, je ne suis pas en train de dire non plus qu’il n’y a que les personnes TSA qui détiennent la vérité. Ce podcast est une proposition de lien qu’on fait aux professionnels de santé pour qu’ils tissent ou retissent différemment leurs relations avec les personnes concernées. S’ils ont la possibilité et la disponibilité de se laisser affecter par ce qu’ils vont entendre, alors, c’est gagné pour nous.

Si vous aviez un conseil pour les professionnels soignants, quel serait-il ?

Je pense qu’il est très important qu’ils adoptent – pompeusement –  une « posture épistémique ouverte », c’est-à-dire qu’ils ne se placent pas systématiquement en position de « sachant ». Les praticiens ou les psychiatres ont une parole, mais ils ne sont pas les seuls à savoir. Il est important que la voix des personnes concernées soit aussi portée et représentée.

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18/10/21, par Jennifer Beneyton

Dénutrition : trouble du comportement alimentaire ou autisme ?

Au sein du CHU de Rouen et de l’hôpital Croix-Rouge de Bois-Guillaume, le service de nutrition a développé une expertise en détection de troubles du spectre de l’autisme (TSA) sur les deux dernières années car cette patientèle est très représentée : on parle d’une moyenne de 2 à 4 patients sur les 22 lits que compte le service, ce qui est largement plus important que les chiffres de prévalence connus actuellement dans la population générale.

Le comportement alimentaire comme indicateur d’un TSA

Tout est parti du constat qu’une certaine proportion des patients pris en charge dans le service du Pr Déchelotte présentaient un profil de troubles du comportement alimentaire qui différait des schémas habituels. Les prises en charge proposées n’étaient donc pas pleinement satisfaisantes et impliquaient des hospitalisations répétées qui s’étalait dans le temps, atteignant parfois plusieurs années de suivi intermittent pas le service sans trouver de solution pérenne. On parle de chronicisation du trouble.

Depuis que le service traite ces cas atypiques par le biais d’une approche adaptée aux personnes TSA, la prise en charge est plus rapide et efficace. Cela permet de renforcer l’alliance thérapeutique entre les patients et les soignants qui pouvaient parfois avoir le sentiment d’être dans une incapacité de faire leur métier correctement, mais surtout, cela a un effet bénéfique sur l’état des patients avec une diminution des états anxieux et dépressifs et des indices de masse corporelle (IMC) qui remontent.

"Nos patients ne reviennent plus, ils tiennent dehors", nous dit le Dr Amandine Turcq, seule psychiatre du service.

Aborder ces patients par le prisme de l’autisme leur permet de se sentir davantage respectés dans leur singularité et dans leur individualité.

Grâce à des webinaires et des formations dispensées par l’équipe mobile du CRA de Normandie durant les confinements successifs, Amandine et ses collègues ont pu se former sur les particularités liées à l’autisme ce qui leur permet de recenser trois hypothèses diagnostiques, juste sur le mois dernier. Ramené à la population générale, on voit que ces chiffres sont conséquents.

Le professeur Déchelotte, de renommée internationale pour ses travaux sur le microbiote et l’axe cerveau-intestin, mène en parallèle des travaux de recherche au sein de son laboratoire INSERM (U1073). Y aurait-il un lien entre le microbiote et les troubles du neuro-développement tel que l’autisme ? La question passionne la communauté scientifique actuellement.

« Nos recherches sur les mécanismes biologiques impliqués dans les TCA, que ce soit en neuro-endocrinologie, en immunologie, au niveau du microbiote ou de la neurotransmission soulèvent des questions qu’on recoupe souvent avec les TSA, aussi bien au niveau des symptômes physiques, que des profils fonctionnels. » observe le Pr Déchelotte.

Les profils types

La grande majorité des patients identifiés comme TSA au sein du service sont des femmes. Ceci s’explique en partie par l’absence de connaissance de l’autisme au féminin. En effet, jusqu’à il y a peu, les études sur l’autisme étaient effectuées principalement sur des sujets masculins. Depuis quelques années, la littérature scientifique explose sur le sujet et on se rend compte que la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme diffère chez les sujets hommes et femmes. Ce manque de connaissance a eu pour conséquence de sous-évaluer largement la population autiste féminine. De plus, elles masquent mieux leurs symptômes et font donc globalement preuve d’une meilleure adaptation sociale et d’une meilleure insertion professionnelle. Les troubles du comportement alimentaire restent l’un des symptômes les plus visibles concernant cette population spécifique.

L’autre point commun entre ces patients TSA, c’est la dénutrition, souvent à un stade très avancé. Parmi les cas les plus graves avec des IMC de 8, 9 ou 10, on observe une surreprésentation des patients TSA. Ces patients mettent leur vie en danger, mais n’en ont pas conscience.

« Nous avons pris en charge une dame qui avait pourtant un bon bagage intellectuel, et même médical puisqu’elle était vétérinaire, mais elle était incapable de comprendre ce qui se passait dans son corps, d’identifier ses sensations de faim, de froid ou de fatigue. Du coup, elle était épuisée, portant des sandales en hiver malgré des engelures et oubliait régulièrement de manger » rapporte le Dr Turcq.

Cela dit, un premier diagnostic TSA est en cours concernant un homme hyperphage obèse. C’est une première pour le service qui soupçonne cependant qu’il ne soit pas un cas isolé. En effet, les patients obèses sont moins souvent hospitalisés que les cas de dénutrition sévère considérant que le pronostic vital n’est pas en jeu. Pourtant, cela peut être aussi sérieux. Le service travaille justement à l’élaboration d’un questionnaire en lien avec le comportement alimentaire qui pourrait aider les services de nutrition à la détection des TSA. L’ambition affiché est de parvenir à un questionnaire simple de repérage des patients présentant des élément en faveur d’un TSA en s’inspirant du SCOFF, et de l’adapter aux spécificités des TSA.

Anorexie ou troubles du spectre de l’autisme ?

Le comportement alimentaire des personnes TSA peut parfois s’apparenter à de l’anorexie, ce qui peut expliquer pourquoi il n’est pas toujours simple de poser un diagnostic. La dénutrition ne vient pas de la volonté de maigrir, mais plutôt de la pratique du « picky eating », c’est-à-dire que les personnes concernées ont tendance à être sélectives dans leurs aliments en termes de couleur, température et texture (ce qui est mousseux, gélatineux, visqueux est souvent problématique). Elles ont aussi beaucoup de mal avec la nouveauté que ce soit dans l’alimentation ou ailleurs, on parle de néophobie alimentaire.

« Il n’y a rien de pire pour les personnes autistes que nous suivons qu’un produit qui affiche la mention "nouvelle recette" » explique le Dr Turcq.

Ce sont aussi souvent des personnes qui ont des convictions personnelles sur le plan alimentaire (régime végétarien ou végétalien). Mais, au-delà de ces convictions, en se questionnant par le prisme des particularités sensorielles, on remarque que les protéines animales telles que la viande rouge sont fibreuses et donc difficiles à mâcher.

Cette hyperréactivité des organes du goût et de l’odorat, appelée dysoralité sensorielle, est très souvent couplée avec l’autisme. Les patients autistes souffrent pour la plupart de trouble gastro-intestinaux, souvent présents bien avant l’apparition du trouble alimentaire. Le diététicien va alors prendre en compte la dysoralité et les troubles intestinaux lorsqu’il choisira les repas avec le patient.

L’autre différence majeure avec une anorexie classique, c’est qu’il n’y a pas de véritable dysmorphophobie chez les patients TSA-TCA mais un trouble de dysmorphie corporelle appartenant aux champs des troubles obsessionnels compulsifs. Cela signifie que les personnes accompagnées possèdent une perception fragmentée de leur corps. Ainsi elles prennent en repère des zones corporelles non fiables telles que les muscles, ou des zones adipeuses pour s’identifier. Ces zones pouvant varier dans le temps, leurs repères sont bousculés ce qui peut générer la sensation que leur corps n’est plus le leur. Face à des IMC bas, la reprise de poids est nécessaire pour garantir une sécurité de santé, mais doit se coupler à un accompagnement sur l’appropriation des repères corporels.

Une prise en charge adaptée

Pour que la prise en charge soit efficace, il est primordial de tenir compte de leur hyperesthésie alimentaire, avant de mettre en place la stratégie de renutrition. L’approche thérapeutique du service a été repensée spécialement pour ces patients que ce soit au niveau de leur régime alimentaire ou des conditions de la prise alimentaire.

La première étape consiste en la proposition d’une diète sensorielle avant les repas. Les visites sont réduites, la lumière plus tamisée, le son amoindri. Le service veille à éviter la sur-stimulation. Il peut préconiser aussi la mise à disposition d’un outil, Z Vibe, qui permet de désensibiliser la sphère buccale.

Les menus sont adaptés aux spécificités sensorielles des patients. On reste donc sur des couleurs, textures et goûts que la personne maîtrise. Des assiettes compartimentées seront prochainement proposées pour ne pas mélanger les aliments (viande/légumes/féculents). Mais le service apporte aussi un soin particulier au déroulement du repas. Certains n’apprécient pas d’être face à d’autres personnes, d’autres tolèrent mal les bruits de mastication des autres, etc… Les besoins de chacun sont respectés pour permettre une prise alimentaire la plus sereine possible.

Enfin, des ateliers de cuisine thérapeutique sont proposés aux patients dont l’objectif est de décomposer des plats.

« Par exemple, quand une personne TSA voit sur le menu "salade bollywood", c’est source de stress car elle ne sait pas ce qu’il y a dedans et elle n’est pas sûre de tout aimer », rapporte Chloé Weyrig, l’ergothérapeute du service.

Ces ateliers permettent donc de déconstruire le repas pour mieux discriminer les aliments, les goûts et les textures. Les personnes concernées apprennent à goûter chaque composant avant qu’ils soient mélangés pour qu’ils puissent réassocier tous les aliments une fois que tout est assemblé.

Ces ateliers sont aussi destinés à aider les patients du service à cuisiner au quotidien. Cette activité leur est souvent difficile car cela engage trop de capacités en même temps : posture, odeurs, goûts, concentration, faire plusieurs choses en même temps.

Pour les personnes pour qui cela reste insurmontable, le recours aux plats cuisinés des grandes surfaces s’avère une solution idéale. Le fait que les plats perdurent invariablement dans le temps les rassure beaucoup. Finalement, la diversification alimentaire importe peu pour ces patients. Les diététiciens travaillent surtout au bon équilibre alimentaire.

« L’une de nos patientes s’est autonomisée sur ses repas grâce à Picard. Elle achète toujours les mêmes produits, et comme ça il n’y a pas de surprise au niveau du goût et le conditionnement permet de quantifier facilement la dose adéquate de nourriture à ingérer », conclut le Dr Turcq.

Comorbidité

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