16/09/21, par Jennifer Beneyton
On s’intéresse enfin aux étudiants dyslexiques…
Une étude récente dans la revue Brain Science montre que contrairement à ce qu’on pourrait penser, les étudiants dyslexiques font plus d’erreurs sur les mots simples et courants que sur les mots complexes et que malgré le fait qu’ils font des erreurs, ils ne s’auto-censurent pas dans leurs choix linguistiques. Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre d’Audrey Mazur Palandre, ingénieure de recherche à l’Université de Lyon et autrice principale de l’article.
Votre étude permet de mieux caractériser le profil de scripteur des étudiants dyslexiques. Quels sont les points majeurs à retenir ?
Audrey Mazur-Palandre: Nous savions déjà que ces étudiants présentaient des difficultés persistantes en lecture et écriture et qu’ils avaient un comportement attentionnel atypique, qui pourrait, entre autres, expliquer les erreurs d’orthographe, les faibles performances enregistrées lors du processus de révision (le fait de corriger ses erreurs lors de la relecture), les difficultés à gérer son emploi du temps, les difficultés à combiner prise de note, écoute et compréhension du cours. Plusieurs articles scientifiques, allant dans ce sens, ont été publiés. Certains de ces travaux montrent par exemple que ces étudiants font beaucoup plus d’erreurs en général que des étudiants contrôles : 0 à 10 pour les contrôles tandis qu’on enregistre un minimum de 15 erreurs pour les étudiants dyslexiques, avec un maximum pouvant monter à 65 erreurs par texte. Notre récent article apporte des informations supplémentaires sur les choix lexicaux et les erreurs en production écrite des étudiants dyslexiques. L’un des résultats importants de cette étude est que ces erreurs touchent davantage les mots courts : prépositions, déterminants et homophones (mais-met, pré-près, etc…) alors que nous pensions qu’elles toucheraient les mots plus longs.
Par ailleurs, nous avions fait l’hypothèse que les étudiants utiliseraient un vocabulaire simple et courant pour essayer de limiter leurs erreurs. Or il s’est avéré que les étudiants de notre étude ne se sont pas auto-censurés. Ils sont conscients de leur trouble, mais ils savent aussi qu’ils ont des choses intéressantes à dire. On peut penser qu’ils sont résignés sur le fait qu’ils font des fautes, alors autant ne pas se limiter en plus sur le fond.
Afin d’étudier le comportement de scripteurs des étudiants, Audrey et ses collègues leur ont demandé d’écrire sur des tablettes tactiles et grâce au logiciel Eye and Pen, ont pu rétrospectivement retracer tout ce qui s’est passé, que ce soit, les pauses, les retours en arrière pour se corriger, les ratures, les erreurs…
Comment expliquer ce phénomène ?
AMP: Les personnes dyslexiques ont globalement peu de confiance en elles. Mais ici, nous nous intéressons à un public spécifique : les étudiants du supérieur. Si ces étudiants sont arrivés jusqu’à l’université, c’est qu’ils ont généralement un parcours scolaire plutôt réussi, même si souvent difficile, laissant supposer que leur entourage était bienveillant et qu’une remédiation efficace, dès l’enfance, a été mise en place. Le fait de parvenir en étude supérieure montre que, malgré une faible confiance en soi, ils restent pugnaces, volontaires et sont néanmoins en réussite scolaire.
Il existe beaucoup d’études chez l’enfant, alors qu’elles sont quasiment inexistantes chez l’adulte. Comment l’expliquer ?
AMP: Si ce trouble est détecté tôt, on peut mettre en place une remédiation efficace qui ne va pas effacer le trouble mais qui va permettre à l’enfant de vivre sa scolarité au mieux. Le Plan Ringard de 2001 a effectivement mis l’emphase sur les enfants qui sont mieux détectés et plus étudiés. Ceci dit, les idées reçues ont la vie dure : beaucoup de gens considèrent encore que la dyslexie s’arrête miraculeusement en grandissant. On ne le répètera jamais assez, il s’agit d’un trouble neuro-développemental qu’on a dès la naissance et pour toute sa vie. L’autre idée reçue c’est que la dyslexie se soigne. Autrement dit, si la remédiation mise en place dès l’enfance est efficace, alors on « guérit » de ce trouble à l’âge adulte. C’est évidemment faux. Il est vrai que certaines personnes ne vivent plus leur trouble comme un problème grâce aux aménagements mis en place et aux diverses stratégies de compensation, mais cela ne veut pas dire que ces personnes ont « guéri ». En fait, ce trouble complexe et multifactoriel évolue différemment selon les individus, leur environnement et les remédiations mises en place… ce qui rend ces profils adultes plus difficiles à caractériser et donc à étudier. Cela étant dit, on peut trouver de nombreuses études internationales sur les adultes dyslexiques, et plus spécifiquement sur l’étudiant présentant une dyslexie dans l’enseignement supérieur. Et les études, en France, se multiplient, ce qui est une excellente chose et ce qui va permettre de toujours mieux comprendre la dyslexie, et notamment la dyslexie à l’âge adulte.
Dyslexie phonologique et dyslexie de surface
Dans l’apprentissage de la lecture, on peut passer par deux voies : la voie de décodage par assemblage et la voie par adressage. La voie de décodage par assemblage consiste à décomposer et associer chaque graphème à un phonème pour arriver à lire le mot. C’est souvent ce qui se passe pendant l’apprentissage de la lecture. Plus le lecteur devient expert, moins il a besoin de passer par le décodage. Il voit un mot, il le lit sans difficulté. C’est la voie par adressage qui est alors sollicitée. Lorsque la voie par décodage est touchée, on parle de dyslexie phonologique. Dans ce cas-là, le lecteur compensera et utilisera davantage la voie par adressage en enrichissant leur lexique interne. Lorsque la voie par adressage est touchée, on parle de dyslexie de surface ce qui signifie que ces personnes, quand elles lisent vite ont tendance à deviner les mots, ce qui entraîne des erreurs. Il existe aussi la dyslexie mixte : ce trouble est très sévère car il affecte les deux voies.
Il est, en effet, très important d’étudier l’adulte.
AMP: Effectivement, comme on l’a dit, ce trouble ne s’arrête pas en grandissant, donc pourquoi cesser d’étudier cette population ? D’une part, tous les outils de remédiation développés pour les enfants ne sont pas adaptés pour les adultes dont les besoins ont évolué au fil des stratégies de compensation mises en place. Utiliser des outils destinés aux enfants pour les adultes a un côté infantilisant. Comme je le disais, ces personnes ont souvent des problèmes de confiance en eux, il n’est pas souhaitable d’en rajouter. D’autre part, le savoir, c’est le pouvoir. Plus les personnes se connaissent, plus elles connaissent leurs troubles, mieux elles feront face. Savoir que ce trouble est d’origine neurobiologique les aide beaucoup à déculpabiliser. Attention, cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire et subir. Mieux connaitre les manifestations de ce trouble chez elles permet aussi de mieux parler de ses besoins. Par exemple, pour en revenir aux étudiants dyslexiques, on leur offre souvent un tiers-temps pour les examens. Or au fil des enquêtes que nous avons mené, nous nous sommes rendues compte qu’ils avaient besoin de temps supplémentaire, certes, mais surtout pour faire des pauses cognitives. Ce tiers-temps est-il vraiment adapté à leurs besoins réels ? Est-ce que nous les formons à l’utiliser à bon escient ?
Dans les média, on a souvent tendance à parler de la dyslexie de façon négative. Pourriez-vous nous parler des compétences liées à la dyslexie ?
AMP: Absolument ! Les personnes dyslexiques sont très persévérantes et volontaires. Ce sont des personnes qui ont toujours dû travailler plus que les autres, donc elles ont des capacités de travail énormes et se montrent pleines de ressources. Elles font souvent preuve d’une grande intelligence sociale, sont très empathiques et résilientes ce qui leur permet de rebondir plus vite. Ce sont aussi des personnes très créatives. On a parfois tendance à croire qu’elles ont un QI inférieur, mais ce n’est pas du tout vrai, c’est la transposition à l’écrit qui pose problème, pas les capacités cognitives. Il n’y a aucun lien entre QI et dyslexie. Nous avons des personnes présentant une dyslexie, possédant un QI plus élevé que la moyenne et étant haut potentiel !
Pouvez-vous nous parler de votre MOOC ?
AMP: À l’origine, c’est la mission handicap de l’Université de Lyon qui m’avait missionnée pour en savoir davantage sur les étudiants dyslexiques. Dès que j’ai lancé ses études, mes collaborateurs et moi-même avons reçu beaucoup de sollicitations pour nous demander d’intervenir auprès d’établissements ou pour faire des conférences. Comme il nous était impossible de répondre à toutes les sollicitations, nous avons eu l’idée de faire un MOOC pour aider les enseignants à être plus inclusifs. Étant donné que les enfants sont mieux détectés et pris en charge, on compte de plus en plus d’étudiants dyslexiques dans l’enseignement supérieur. Il est donc temps de faire évoluer les pratiques.
Notre MOOC « Des étudiants DYS dans mon amphi » est pluridisciplinaire. Nous avons fait intervenir une neuropsychologue, un orthophoniste, des associations de parents, des chercheures (en psycholinguistique et orthophonie), les missions handicap, et une maitre de conférence en psychologie de l’enfant, et bien évidemment des personnes concernées. Il était très important pour nous qu’elles puissent nous parler de leur expérience et de la façon dont elles vivent leurs troubles.
En 4 ans, on compte plus de 23 200 inscrits à travers 86 pays. Certains établissements m’ont contacté pour l’intégrer dans leur cursus de formation initiale pour leurs étudiants, ou pour leur personnel. Ce MOOC rencontre un réel succès car il répond à un véritable manque. Nous avons eu aussi des sollicitations outre-Manche donc nous envisageons de le traduire pour le public anglophone.
Quelques tips en attendant le MOOC
Il n’est pas forcément facile de donner des tips car chaque situation est très personnelle et il faut avant tout écouter la personne concernée exprimer ses besoins. Néanmoins, certaines choses peuvent être mises en place facilement:
- Distribuer les supports de cours en amont pour que les étudiants aient le temps de les lire
- Pour chaque nouveau mot important, il convient d’en donner la définition, de l’écrire au tableau, le pointer plusieurs fois pour qu’il s’intègre au lexique interne.
- Utiliser une police DYS-friendly comme Arial et en taille 14 minimum.
- Écrire en noir sur fond blanc pour le contraste visuel.
- Lors d’un examen, prendre le temps de lire les consignes et veiller à ne pas inclure de nouveaux termes dans les questions.
- Limiter au maximum les distracteurs sur les slides.
Pour le reste, rendez-vous en janvier!
Ressources:
- Mazur-Palandre A, Quignard M, Witko A (2021) Confronting Lexical Choice and Error Distribution in Written French: New Insights into the Linguistic Insecurity of Students with Dyslexia. Brain Sciences, 2021, 11(7), 922
- Site web du LabEx ASLAN
- Plaquette de santé publique
- Numéro spécial des Cahiers Pédagogiques
- Numéro spécial l’Orthophoniste
- Vidéo de la Journée des DYS 2020
- Un article de CORTEX mag qui porte sur le projet ETUDYS