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18/10/21, par Jennifer Beneyton

Dénutrition : trouble du comportement alimentaire ou autisme ?

Au sein du CHU de Rouen et de l’hôpital Croix-Rouge de Bois-Guillaume, le service de nutrition a développé une expertise en détection de troubles du spectre de l’autisme (TSA) sur les deux dernières années car cette patientèle est très représentée : on parle d’une moyenne de 2 à 4 patients sur les 22 lits que compte le service, ce qui est largement plus important que les chiffres de prévalence connus actuellement dans la population générale.

Le comportement alimentaire comme indicateur d’un TSA

Tout est parti du constat qu’une certaine proportion des patients pris en charge dans le service du Pr Déchelotte présentaient un profil de troubles du comportement alimentaire qui différait des schémas habituels. Les prises en charge proposées n’étaient donc pas pleinement satisfaisantes et impliquaient des hospitalisations répétées qui s’étalait dans le temps, atteignant parfois plusieurs années de suivi intermittent pas le service sans trouver de solution pérenne. On parle de chronicisation du trouble.

Depuis que le service traite ces cas atypiques par le biais d’une approche adaptée aux personnes TSA, la prise en charge est plus rapide et efficace. Cela permet de renforcer l’alliance thérapeutique entre les patients et les soignants qui pouvaient parfois avoir le sentiment d’être dans une incapacité de faire leur métier correctement, mais surtout, cela a un effet bénéfique sur l’état des patients avec une diminution des états anxieux et dépressifs et des indices de masse corporelle (IMC) qui remontent.

"Nos patients ne reviennent plus, ils tiennent dehors", nous dit le Dr Amandine Turcq, seule psychiatre du service.

Aborder ces patients par le prisme de l’autisme leur permet de se sentir davantage respectés dans leur singularité et dans leur individualité.

Grâce à des webinaires et des formations dispensées par l’équipe mobile du CRA de Normandie durant les confinements successifs, Amandine et ses collègues ont pu se former sur les particularités liées à l’autisme ce qui leur permet de recenser trois hypothèses diagnostiques, juste sur le mois dernier. Ramené à la population générale, on voit que ces chiffres sont conséquents.

Le professeur Déchelotte, de renommée internationale pour ses travaux sur le microbiote et l’axe cerveau-intestin, mène en parallèle des travaux de recherche au sein de son laboratoire INSERM (U1073). Y aurait-il un lien entre le microbiote et les troubles du neuro-développement tel que l’autisme ? La question passionne la communauté scientifique actuellement.

« Nos recherches sur les mécanismes biologiques impliqués dans les TCA, que ce soit en neuro-endocrinologie, en immunologie, au niveau du microbiote ou de la neurotransmission soulèvent des questions qu’on recoupe souvent avec les TSA, aussi bien au niveau des symptômes physiques, que des profils fonctionnels. » observe le Pr Déchelotte.

Les profils types

La grande majorité des patients identifiés comme TSA au sein du service sont des femmes. Ceci s’explique en partie par l’absence de connaissance de l’autisme au féminin. En effet, jusqu’à il y a peu, les études sur l’autisme étaient effectuées principalement sur des sujets masculins. Depuis quelques années, la littérature scientifique explose sur le sujet et on se rend compte que la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme diffère chez les sujets hommes et femmes. Ce manque de connaissance a eu pour conséquence de sous-évaluer largement la population autiste féminine. De plus, elles masquent mieux leurs symptômes et font donc globalement preuve d’une meilleure adaptation sociale et d’une meilleure insertion professionnelle. Les troubles du comportement alimentaire restent l’un des symptômes les plus visibles concernant cette population spécifique.

L’autre point commun entre ces patients TSA, c’est la dénutrition, souvent à un stade très avancé. Parmi les cas les plus graves avec des IMC de 8, 9 ou 10, on observe une surreprésentation des patients TSA. Ces patients mettent leur vie en danger, mais n’en ont pas conscience.

« Nous avons pris en charge une dame qui avait pourtant un bon bagage intellectuel, et même médical puisqu’elle était vétérinaire, mais elle était incapable de comprendre ce qui se passait dans son corps, d’identifier ses sensations de faim, de froid ou de fatigue. Du coup, elle était épuisée, portant des sandales en hiver malgré des engelures et oubliait régulièrement de manger » rapporte le Dr Turcq.

Cela dit, un premier diagnostic TSA est en cours concernant un homme hyperphage obèse. C’est une première pour le service qui soupçonne cependant qu’il ne soit pas un cas isolé. En effet, les patients obèses sont moins souvent hospitalisés que les cas de dénutrition sévère considérant que le pronostic vital n’est pas en jeu. Pourtant, cela peut être aussi sérieux. Le service travaille justement à l’élaboration d’un questionnaire en lien avec le comportement alimentaire qui pourrait aider les services de nutrition à la détection des TSA. L’ambition affiché est de parvenir à un questionnaire simple de repérage des patients présentant des élément en faveur d’un TSA en s’inspirant du SCOFF, et de l’adapter aux spécificités des TSA.

Anorexie ou troubles du spectre de l’autisme ?

Le comportement alimentaire des personnes TSA peut parfois s’apparenter à de l’anorexie, ce qui peut expliquer pourquoi il n’est pas toujours simple de poser un diagnostic. La dénutrition ne vient pas de la volonté de maigrir, mais plutôt de la pratique du « picky eating », c’est-à-dire que les personnes concernées ont tendance à être sélectives dans leurs aliments en termes de couleur, température et texture (ce qui est mousseux, gélatineux, visqueux est souvent problématique). Elles ont aussi beaucoup de mal avec la nouveauté que ce soit dans l’alimentation ou ailleurs, on parle de néophobie alimentaire.

« Il n’y a rien de pire pour les personnes autistes que nous suivons qu’un produit qui affiche la mention "nouvelle recette" » explique le Dr Turcq.

Ce sont aussi souvent des personnes qui ont des convictions personnelles sur le plan alimentaire (régime végétarien ou végétalien). Mais, au-delà de ces convictions, en se questionnant par le prisme des particularités sensorielles, on remarque que les protéines animales telles que la viande rouge sont fibreuses et donc difficiles à mâcher.

Cette hyperréactivité des organes du goût et de l’odorat, appelée dysoralité sensorielle, est très souvent couplée avec l’autisme. Les patients autistes souffrent pour la plupart de trouble gastro-intestinaux, souvent présents bien avant l’apparition du trouble alimentaire. Le diététicien va alors prendre en compte la dysoralité et les troubles intestinaux lorsqu’il choisira les repas avec le patient.

L’autre différence majeure avec une anorexie classique, c’est qu’il n’y a pas de véritable dysmorphophobie chez les patients TSA-TCA mais un trouble de dysmorphie corporelle appartenant aux champs des troubles obsessionnels compulsifs. Cela signifie que les personnes accompagnées possèdent une perception fragmentée de leur corps. Ainsi elles prennent en repère des zones corporelles non fiables telles que les muscles, ou des zones adipeuses pour s’identifier. Ces zones pouvant varier dans le temps, leurs repères sont bousculés ce qui peut générer la sensation que leur corps n’est plus le leur. Face à des IMC bas, la reprise de poids est nécessaire pour garantir une sécurité de santé, mais doit se coupler à un accompagnement sur l’appropriation des repères corporels.

Une prise en charge adaptée

Pour que la prise en charge soit efficace, il est primordial de tenir compte de leur hyperesthésie alimentaire, avant de mettre en place la stratégie de renutrition. L’approche thérapeutique du service a été repensée spécialement pour ces patients que ce soit au niveau de leur régime alimentaire ou des conditions de la prise alimentaire.

La première étape consiste en la proposition d’une diète sensorielle avant les repas. Les visites sont réduites, la lumière plus tamisée, le son amoindri. Le service veille à éviter la sur-stimulation. Il peut préconiser aussi la mise à disposition d’un outil, Z Vibe, qui permet de désensibiliser la sphère buccale.

Les menus sont adaptés aux spécificités sensorielles des patients. On reste donc sur des couleurs, textures et goûts que la personne maîtrise. Des assiettes compartimentées seront prochainement proposées pour ne pas mélanger les aliments (viande/légumes/féculents). Mais le service apporte aussi un soin particulier au déroulement du repas. Certains n’apprécient pas d’être face à d’autres personnes, d’autres tolèrent mal les bruits de mastication des autres, etc… Les besoins de chacun sont respectés pour permettre une prise alimentaire la plus sereine possible.

Enfin, des ateliers de cuisine thérapeutique sont proposés aux patients dont l’objectif est de décomposer des plats.

« Par exemple, quand une personne TSA voit sur le menu "salade bollywood", c’est source de stress car elle ne sait pas ce qu’il y a dedans et elle n’est pas sûre de tout aimer », rapporte Chloé Weyrig, l’ergothérapeute du service.

Ces ateliers permettent donc de déconstruire le repas pour mieux discriminer les aliments, les goûts et les textures. Les personnes concernées apprennent à goûter chaque composant avant qu’ils soient mélangés pour qu’ils puissent réassocier tous les aliments une fois que tout est assemblé.

Ces ateliers sont aussi destinés à aider les patients du service à cuisiner au quotidien. Cette activité leur est souvent difficile car cela engage trop de capacités en même temps : posture, odeurs, goûts, concentration, faire plusieurs choses en même temps.

Pour les personnes pour qui cela reste insurmontable, le recours aux plats cuisinés des grandes surfaces s’avère une solution idéale. Le fait que les plats perdurent invariablement dans le temps les rassure beaucoup. Finalement, la diversification alimentaire importe peu pour ces patients. Les diététiciens travaillent surtout au bon équilibre alimentaire.

« L’une de nos patientes s’est autonomisée sur ses repas grâce à Picard. Elle achète toujours les mêmes produits, et comme ça il n’y a pas de surprise au niveau du goût et le conditionnement permet de quantifier facilement la dose adéquate de nourriture à ingérer », conclut le Dr Turcq.

Comorbidité

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