Gérer mes cookies

Par Jennifer Beneyton le 12/10/2021

Pierre Gadéa : "Transformer le soin en activité ludique"

Passer des jeux vidéos au soin, c’est un grand écart que Pierre Gadéa et son associé Romain Streichemberger ont réalisé avec succès en créant la Start-up, C2 Care. Nous avons interviewé Pierre pour en comprendre le cheminement et en savoir plus sur ce qui les anime aujourd’hui.

Pierre Gadéa et son associé Romain Streichemberger sur un canapé Pierre Gadéa (gauche) et Romain Streichemberger (droite)

Pouvez-vous nous raconter comment vous vient l’idée de C2Care ?

Mon associé et moi-même avions monté une start-up dans les serious games, en d’autres termes, c’est l’application des jeux vidéos à des domaines « sérieux ». On a trente ans et on est en quête de sens dans notre vie professionnelle. C’est là qu’on rencontre le Dr Malbos du service du professeur Lançon à l’hôpital de la Conception à Marseille qui nous raconte qu’il utilise la réalité virtuelle auprès de ses patients souffrant de TAG (troubles anxieux généralisés) depuis une dizaine d’année et qu’il a de bons résultats. Mais il a besoin de développer un partenariat avec une entreprise pour développer plus d’environnements virtuels.  Avec Romain, nous sommes très emballés par le projet et c’est comme ça que C2Care est né.

Logo_C2Care vert

Sur quels types de troubles travaillez-vous ?

Tout dépend de la structure avec laquelle nous travaillons. On évalue les besoins ensemble, le service établit un cahier des charges basés sur un protocole précis. Nous nous occupons de la réalisation technique et de la distribution. Au départ, nous avons commencé avec trois protocoles pour traiter les phobies les plus répandues : la claustrophobie, l’acrophobie (vertige) et l’aviophobie (avion). Puis les services d’addictologie ont commencé à s’intéresser à notre travail. Ils avaient besoin d’immerger leurs patients dans des environnements avec la présence potentielle de stupéfiants. C’était donc bien plus facile en réalité virtuelle. Puis, ce sont des neuropsychologues qui ont commencé à faire appel à nous pour leurs patients cérébro-lésés mais aussi les patients porteurs de troubles du neurodéveloppement dont des personnes TSA. Actuellement on développe trois axes : la remédiation cognitive, la remédiation psychosociale et la formation des professionnels de santé pour les mises en situation.

Comment mesurer l’efficacité de ces thérapies ?

Je suis lié par la confidentialité concernant les activités de recherche, mais les environnements que nous développons sont tous basés sur des protocoles qui nous ont été fourni par les CHU ou des structures spécialisées. Ils répondent à des critères scientifiques très précis et ont été évalués par des comités d’éthique. L’évaluation scientifique est une question primordiale pour les CHU. Avec C2Care, nous ne sommes pas dans le même espace-temps. Je comprends tout à fait le besoin des évaluations scientifiques pour valider ces pratiques et pour faire avancer la recherche, mais pour nous, l’important, c’est le retour des patients et des professionnels pour que nous puissions mettre notre travail à disposition des structures le plus rapidement possible.

Vous parlez de comité d’éthique, comment vous assurez-vous du consentement des patients ?

Nous avons travaillé sur cette question avec Gérald Debussy qui est neuropsychologue ainsi que le Dr Moreno: comment met-on un casque sur une personne qui n’est pas en pleine capacité intellectuelle ? Nous nous sommes rendus compte de la forte propension des patients à adhérer à ces pratiques, sans doute en partie pour le côté ludique du numérique. Certains montrent même de très fines capacités d’observation. C’était le cas d’un patient Asperger qui, au cours des tests de réglage, a observé un décalage infime de l’image que ni vous ni moi ne peuvent voir. C’était assez extraordinaire !
Pour les patients non-verbaux, nous nous assurons de la présence d’un éducateur ou d’un soignant qui connaît bien le patient et qui peut, à tout moment, nous alerter de son état. Je me souviens de cette séance d’exposition avec une personne non verbale, en fauteuil, qui s’est mis à hurler pendant le test avec le casque. Je me suis précipité pour lui enlever mais l’éducateur m’a arrêté : ces cris étaient en fait des cris de joie.

On sent vraiment que les patients sont au cœur de votre démarche.

Absolument ! Chez C2Care, notre volonté c’est de déstigmatiser la psychiatrie grâce au côté ludique de la réalité virtuelle et ainsi de contribuer à proposer des thérapies innovantes pour améliorer la prise en charge des patients et non pas la déshumaniser contrairement à ce qu’on pourrait craindre.

L’autre danger, c’est d’utiliser nos dispositifs en « occupationnel », c’est-à-dire, de mettre le patient dans un coin avec un casque, des heures durant, sans qu’il n’y ait de véritable projet thérapeutique. Je m’oppose fermement à cela. Nous n’avons pas vocation à être la télé de demain. J’y suis très vigilant lors de la construction du projet, mais en 6 années d’existence de C2Care, je n’ai rencontré que des personnes profondément humanistes, impliquées dans le mieux-être de leurs patients.

En ce moment, on parle beaucoup de santé mentale, selon vous, comment la réalité virtuelle peut-elle révolutionner la santé mentale ?

Je vais aborder la question plus largement en parlant du digital plutôt que de la réalité virtuelle seulement. Pendant très longtemps, la santé mentale a été très négligée au profit de la santé physique. Or on sait aujourd’hui qu’une personne sur 5 souffrira de troubles mentaux. On l’a vu pendant la crise du COVID. La santé mentale revient sur le devant de la scène et c’est grâce au digital que les relations patients-soignants ont pu être maintenues. En France, nous avons beaucoup de retard à rattraper. C’est ce que nous sommes en train de faire grâce à la rencontre de la recherche, de la santé et du numérique. Grâce à la réalité virtuelle, le soin se transforme en activité ludique.

Nous venons de développer une nouvelle activité chez C2Care. En effet, nous nous sommes aperçus qu’entre deux séances de thérapies, il ne se passe pas grand-chose pour certains patients. Nous avons donc mis au point un système de thérapie en stand alone contrôlé. Cela signifie que nous proposons un suivi psychologique classique grâce aux deux psychologues qui font partie de notre équipe, mais entre les séances, le patient peut s’entraîner sur un aspect particulier en réalité virtuelle via un casque que nous mettons à sa disposition. Les patients progressent plus vite et la psychologue peut suivre les exercices et l’évolution du patient pour adapter son suivi. Nous suivons actuellement 63 personnes alors que nous avons commencé en juillet 2021.

Nous n’inventons rien, mais nous travaillons d’arrache-pied pour améliorer les modes de prises en charge et évoluer vers la psychiatrie de demain.

 

+ ressources :

Newsletter