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À la découverte de l'ÉCLAH

Le trouble du déficit de l’attention-hyperactivité (TDAH) touche 6 % des enfants et 3 % des adultes. Pourtant, la stratégie nationale 2023–2027 pour les troubles du neurodéveloppement souligne l’absence de filière de soin dédiée, des difficultés d’accès au repérage, au diagnostic et au traitement, ainsi qu’un besoin de formation des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire français.

Équipe de Coordination Lyonnaise des troubles de l’Attention et de l’Hyperactivité

L’Équipe de Coordination Lyonnaise des troubles de l’Attention et de l’Hyperactivité (ECLAH), créée en novembre 2023, est une équipe pluridisciplinaire visant à répondre à ces enjeux. Elle coordonne le réseau de soin, offre des formations, et propose des consultations spécialisées pour des cas complexes. L’ECLAH collabore avec divers acteurs pour structurer un réseau de soins, fournit des informations aux professionnels et aux institutions, et organise des Réunions de Concertation Pluridisciplinaires (RCP). Elle participe également à des projets de recherche sur divers aspects du TDAH.

ÉCLAH se distingue par sa mission de complément aux dispositifs existants, sans s’y substituer, en apportant une expertise spécialisée.

Informations pratiques

Lien utile : https://www.evolupsy-competence.fr

Contact : tdah[at]ch-le-vinatier[dot]fr

ATTENTION : les demandes adressées à l’ECLAH doivent obligatoirement provenir du médecin référent.

Par Lucile Hertzog le 04/07/2024

Interview du Pr Pierre-Michel Llorca, président du comité scientifique des JNPN 2024

Le Pr Pierre-Michel Llorca est psychiatre et professeur des universités, exerçant au Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand. Spécialiste des troubles de l’humeur, il est une référence dans ce domaine.

Auteur de nombreuses publications scientifiques et reconnu pour son expertise, le Pr Llorca apporte une contribution majeure à l’avancée des connaissances et des pratiques cliniques dans la prise en charge des troubles psychiques. 

 

iIl est le président du comité scientifique des Journées Neurosciences Psychiatrie et Neurologie (JNPN). C’est dans ce cadre que nous l’avons interrogé.

Pr Pierre-Michel Llorca, JNPN

Quels sont les enjeux auxquels sont confrontés les domaines de la psychiatrie et de la neurologie aujourd’hui, et comment les JNPN tentent-elles d’y répondre ?

Aujourd’hui, nous travaillons en silo sur des pathologies très intriquées, comme les troubles neurologiques et les troubles psychiatriques. Cela altère la qualité de ce que l’on fait. Nous devenons spécialisés sur des sujets très précis, mais nous manquons de recul. Cela rend plus difficile le travail du point de vue purement clinique, de la recherche, et de la compréhension des troubles et des stratégies thérapeutiques en place.

Un des enjeux majeurs de la médecine, en tant que domaine hyperspécialisé, est de reconstruire une culture commune dans laquelle les neurosciences sont un véritable pont entre ces domaines cliniques qui ont longtemps été réunis.

Quel est l’intérêt d’une alliance entre psychiatrie et neurologie dans un contexte écologique et géopolitique de plus en plus tendu ?

La constatation c’est que le contexte écologique et géopolitique a des conséquences sur la santé mentale. Lorsque l’on pense par exemple aux liens bien connus entre l’alimentation, l’exposition environnementale (comme les pesticides), et certaines maladies neurologiques, tous ces éléments rendent indispensable l’amélioration de nos interactions entre les différentes disciplines. 

Nous avons un réel besoin de nous préoccuper de l’identification des rôles de l’environnement dans les troubles psychiatriques et neurologiques, mais aussi dans des stratégies de prévention. Aux JNPN, vous rencontrerez au-delà des psychiatres et des neurologues, des professionnels de la santé publique, mais aussi des sciences humaines. Les chercheurs de ces domaines contribuent à la meilleure compréhension des risques.

Que pensez-vous du décalage existant entre la recherche aux Etats-Unis et en Europe, notamment dans leur approche dimensionnelle ou catégorielle ?

C’est une question importante… Je ne suis pas certain qu’il y ait une avance ou un retard, mais je suis conscient de l’existence d’un décalage. Il a un intérêt puisque aujourd’hui, nous parvenons à avoir en France le développement de programmes moins dogmatiques que ce qui a été fait aux Etats-Unis il y a une dizaine d’années, avec les RDoC pour appréhender l’articulation dimension-catégorie, en créant une matrice basée sur des construits psychologiques et leur niveau d’étude allant du gène au comportement.

Peut-être que cela a été un bon moyen de prendre un peu de recul par rapport aux classifications “classiques” (ICD ou DSM). Saura-t-on bénéficier de ce recul pour ne pas faire les mêmes erreurs ? Je ne sais pas. On peut s’y employer, mais je ne suis pas sûr que l’on arrive à dépasser la rigidité de nos modalités de réflexion. 

Le côté dogmatique des RDoC vient de l’ambition initiale de remplacer les classifications catégorielles, mais en réalité c’est plutôt une matrice qui permet la réflexion surtout de caractériser les projets de recherche, ce qui n’est pas la même chose. Le côté extrêmement rigide de cette matrice fait que tous les troubles ou tous les projets de recherche ne peuvent pas “passer à la moulinette” des Rdoc. Cela a servi aux Etats-Unis à structurer les financements des projets de recherche. Et ça, c’est un problème très américain qui n’est pas le nôtre.

Quelles sont les avancées scientifiques récentes les plus prometteuses en psychiatrie et en neurologie ?

En psychiatrie, les avancées sur l’utilisation des psychédéliques par exemple, sont assez intéressantes d’un point de vue sociologique, puisque l’on est passé de drogues récréatives pour “ouvrir l’esprit” qui étaient bannies du champ de la recherche, à des outils majeurs de l’innovation pharmacologique. Cela permet de réelles innovations, mais pose un certain nombre de problèmes de mise en œuvre. Cette évolution que je trouve très prometteuse, issue d’un long chemin assez intéressant, permettra, je l’espère, des bénéfices  pour les patients à court terme.

En neurologie, je retiens deux choses.

D’une part, la conférence du Pr Duffaut sur la neurochirurgie éveillée, et la manière de prendre en compte la connectomique comme un outil de préservation fonctionnelle dans des pathologies neuro-oncologiques sévères. C’est tout à fait remarquable et cela reste peu connu. L’enjeu est que cela devienne accessible au plus grand nombre.
D’autre part, tout ce qui a été évoqué sur les perspectives concernant la maladie d’Alzheimer, avec notamment des nouvelles stratégies thérapeutiques. Elles ne stoppent pas l’évolution de cette maladie dégénérative, mais il y a des enjeux fonctionnels majeurs pour les patients, après de nombreuses promesses non abouties dans ce champ de recherche.

Au cours des JNPN, de nombreuses pistes de recherche ont été présentées, sur de nombreux sujets. Je viens d’évoquer les résultats qui sont à court terme, potentiellement d’intérêt pour les patients. Mais il y a beaucoup, beaucoup de choses qui, dans deux ans, cinq ans, dix ans, seront probablement des outils de demain.

Quelle place occupe la prévention dans les réflexions menées lors des JNPN, que ce soit en termes de facteurs de risque ou de dépistage précoce ?

Dans l’aspect santé publique, nous avons eu une session spécifique sur un concept développé aux Etats-Unis. Il a un enjeu réel concernant la santé des soignants : c’est la notion de “blessure morale” (moral injury). Elle permet de ne pas résumer les difficultés des soignants au “simple burn-out” en ne mettant pas l’accent sur la vulnérabilité individuelle des soignants, mais plutôt sur le rôle de pratiques systémiques soignantes entraînant des conflits de valeurs chez les professionnels, et une souffrance du fait de ces conflits. C’est probablement une des causes de la désaffection des soignants. Identifier des causes à de telles situations de santé publique, cela permettrait de développer des stratégies préventives. L’idée est de pouvoir se saisir de ces enjeux pour essayer de promouvoir cela en Europe, et de mesurer sa pertinence. Cela pourrait-il nous permettre des changements qui auront une action préventive ? Il ne s’agit plus de se centrer sur les soignants uniquement. Cela concerne tout de même la désaffection des professionnels pour les métiers du soin, et c’est une vraie question dans une telle société.

Quels sont les défis spécifiques liés à la prise en charge des troubles psychiatriques résistants aux traitements conventionnels ?

La prise en charge spécifique, c’est à mon avis l’un des enjeux immédiats. Le principal problème de la résistance, passe par une amélioration de l’identification et des pratiques qui permettent de les éviter. C’est un premier enjeu de modification des pratiques. 

Le deuxième enjeu : l’exploration physiopathologique de ces patients résistants sont des outils qui sont des situations à fort enjeu, pour trouver des stratégies pertinentes pour ses patients. À l’heure actuelle, cela se fait souvent de manière incrémentale, en modifiant des traitements, en les associant avec des petits progrès, mais qui sont non négligeables. Et de l’autre côté, c’est la compréhension physiopathie des troubles en eux-mêmes et la modification des stratégies.

Nous remercions chaleureusement le Pr Pierre-Michel Llorca de nous avoir accordé de son temps.

Retrouvez le résumé d’une partie des conférences sur notre compte LinkedIn  ainsi que le replay de la journée :

 

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04/10/21, par Jennifer Beneyton

Nouvelle publication iMIND dans Molecular Psychiatry

Présentation

L’amélioration de la qualité de vie des personnes avec des troubles du neurodéveloppement reste au coeur des préoccupations de l’hôpital du Vinatier, de l’Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod et du Centre d’Excellence iMIND. Pour ce faire, il est urgent d’améliorer la démarche diagnostique, le repérage précoce et la compréhension des mécanismes biologiques impliqués. Une équipe de chercheurs·es Vinatier/iMIND, sous l’impulsion de la Professeure Caroline Demily, explore une piste prometteuse dans ce domaine en se concentrant sur les interactions entre le corps et le cerveau. En effet, la recherche sur les troubles du neurodéveloppement dont l’autisme se concentre largement sur le cerveau. Or, comme le cerveau interagit de façon continue avec le reste du corps, l’étude des interactions entre le cerveau et d’autres organes, comme les intestins et la peau, semble particulièrement intéressante. Cette hypothèse de recherche, acceptée dans la revue universitaire internationale Molecular Psychiatry appartenant au prestigieux groupe d’édition Nature Publishing, examine le potentiel de l’imagerie cellulaire en 3D par microscopie à feuilles de lumière pour étudier la biologie du développement et la connectivité le cerveau et d’autres organes périphériques, offrant ainsi de nouvelles perspectives pour une prise en charge davantage personnalisée.

Publication

Soumier A, Lio G, Demily C (2024) Current and future applications of light-sheet imaging for identifying molecular and developmental processes in autism spectrum disorders, Molecular Psychiatry.

Lien vers l’article : https://www.nature.com/articles/s41380-024-02487-8

 

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04/10/21, par Jennifer Beneyton

Série vidéo : déconstruisons les idées reçues sur l'autisme

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« Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. »

Pascal Bellanca-Penel avait une passion pour son métier d’enseignant de physique-chimie. Après 23 ans de carrière dans l’Éducation Nationale et au terme d’une décennie de plus en plus difficile à gérer, 2019 marque la fin définitive de sa carrière et aussi le début d’une nouvelle vie où il apprend à vivre avec un TSA. Éternel enthousiaste et foisonnant de projet, il vient de lancer un podcast pour sensibiliser différemment les professionnels de la santé au spectre de l’autisme.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Pascal Bellanca Penel, j’ai 50 ans, j’ai enseigné la physique et la chimie la moitié de ma vie au Lycée, dont deux années en classe prépa, à Istanbul ; deux années merveilleuses de découvertes. J’ai suivi en parallèle des études d’histoire et de philosophie des sciences et j’ai obtenu mon doctorat en 2016 sur un sujet d’histoire de physique nucléaire. Le métier d’enseignant m’a passionné toute ma vie et m’a porté du matin au soir et beaucoup occupé pendant ce que l’on appelle  « les vacances ». Ça a été un grand privilège pour moi de partager ma passion de la physique avec ces milliers de jeunes gens.

Mais, depuis une dizaine d’année, chaque année était un peu plus difficile. En 2018, j’ai perdu le sommeil, des douleurs thoraciques sont apparues, sans que je fasse de lien avec une angoisse quelconque. J’ai toujours été très intolérant au bruit. Le brouhaha des élèves m’a toujours beaucoup gêné, mais là, c’était devenu insupportable physiquement.

Je pensais que tout cela était le signe que je vieillissais. Les rentrées ont toujours été particulièrement éprouvantes, mais celle de 2019 fut la dernière pour moi. La réforme Blanquer des lycées est dans doute la goutte d’absurdités qui m’a fait basculer dans l’autre monde. J’ai toujours été très impliqué dans des collectifs de recherches liés à l’enseignement et j’y trouvais un réel plaisir. Je participais à 3 ou 4 d’entre eux. Lors de la réforme, je voyais quotidiennement la différence entre l’affichage (« l’école de la confiance ») et la réalité du terrain. C’est devenu pour moi insupportable. Je suis allé voir un psychiatre qui m’a hospitalisé pendant 3 semaines. De fil en aiguille, j’ai finalement eu deux diagnostics de TSA au CRA puis au TS2A. Je suis maintenant, une « personne concernée » par l’autisme.

J’ai compris beaucoup de choses rétrospectivement par rapport à mes angoisses, mes douleurs et à ma fatigabilité. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais il y avait des manifestations depuis toujours. Je suis marié depuis 24 ans, ma femme a toujours su qu’il y avait quelque chose d’atypique chez moi. Cela a été parfois très compliqué pour mon entourage, qui a dû vivre mes angoisses, mes intérêts totalement envahissants et parfois, mes décompensations. Le fait d’avoir une vie professionnelle « suffisamment bonne et acceptable » pour l’institution, se payait par contrecoup sur le plan privé, personnel et familial. Cela, jusqu’à ce que je n’arrive plus à circonscrire mes difficultés dans mon cercle privé et que ça déborde du coté professionnel. Mais je crois être resté professionnel jusqu’au bout ; je l’espère en tout cas.

Quel est votre parcours d’usager ?

Ça commence en 2019 avec ce psychiatre qui me propose de m’hospitaliser pour une durée de trois semaines dans le cadre d’un programme qu’il avait mis en place. Je quitte son cabinet sous le choc (ai-je vraiment besoin d’être hospitalisé ?) mais j’accepte finalement d’aller dans cette clinique sans aucune appréhension mais comme dans un état second. Pour moi, il y avait deux espèces de hors-lieu, de lieux que je n’avais jamais investi dans mon imaginaire des possibles : la prison et l’hôpital psychiatrique. Je ne me rendais pas compte à quel point un hôpital psychiatrique est un endroit normal. C’est juste un endroit où des professionnels prennent soin de vous et des liens que vous avez au monde. J’ai trouvé ça fantastique et tellement apaisant d’être pour la première fois de ma vie, dans un lieu coupé du monde qui fonctionne ; plus rien de sa toxicité ne pouvait me faire de mal. J’ai été très privilégié. Cette clinique privée est un écrin magnifique, arboré, silencieux ; un espace apaisant et totalement bienveillant. Je sais évidemment que toute institution est dysfonctionnelle, par certains côtés, mais j’ai eu beaucoup de chance de trouver ce psychiatre et cette clinique sur mon chemin. 

Pendant les 3 semaines, j’ai participé aux activités journalières. Il y avait tout un programme pour « nous remettre dans le circuit ». Je suis sorti avec 15 jours d’arrêt, hyper angoissé de ce que pourrait être la suite. Je n’ai pas été médiqué durant ce premier séjour en clinique. C’est après ma sortie, que j’ai chuté et que j’ai été aspiré par le trou noir de la dépression. Je me suis retrouvé face à un immense vide. J’ai été suivi en hôpital de jour à partir de janvier 2020 avec la promesse d’un suivi psychothérapeutique en libéral. J’ai mis du temps à trouver ma psychothérapeute car je voulais faire de l’EMDR, une technique que j’avais expérimenté en clinique. Mais au bout de deux entretiens, elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas continuer son travail avec moi avant d’en savoir plus. Elle suspectait un TSA et voulait connaître « les murs porteurs de mon psychisme ». J’ai donc pris contact avec le CRA et j’ai été diagnostiqué en mai 2020. C’est comme ça que je suis rentré dans la psychiatrie. Enfin, j’avais eu des contacts avec les psychiatres tout au long de ma vie, mais aucun n’avait mis le doigt sur un TSA. Mais de manière globale, j’ai une gratitude énorme pour tous les soignants que j’ai rencontré. Je leur dois beaucoup.

Que signifie comorbidités selon vous ?

On parlait de « murs porteurs » du psychisme. Je pense que les comorbidités sont des murs non porteurs, mais qui sont très visibles en revanche, car très colorés dans mon imaginaire. Ils prennent beaucoup de places mais ne soutiennent pas la structure psychique de la personne. Ils peuvent donc se construire et se déconstruire tout au long de la vie, mais ont la particularité d’être plus visibles que les murs porteurs.

Je pense aussi à la notion d’écran en référence à une personne que j’ai rencontré grâce au podcast, Florence, qui a un parcours tellement difficile. Elle a été diagnostiquée entre 28 et 30 ans. Elle a tellement de comorbidités : des TOCs extrêmement forts, un trouble anxieux généralisé tellement important que tout cela faisait écran à son TSA.

Les SISM viennent de s’achever, avez-vous une expérience en lien avec la santé mentale à partager avec nous ?

J’ai découvert un podcast qui s’appelle les garde-fous. Dans l’épisode du 31 janvier 2021, ils ont interviewé le psychiatre Mathieu Bellahsen. Il est très engagé et a écrit un livre qui s’appelle « la santé mentale : vers un bonheur sous contrôle ». Dans ce podcast, il raconte que dans un rapport officiel de 2009, la santé mentale était définie comme la capacité de s’adapter à une situation à laquelle on ne peut rien changer. Je trouve ça horrible ! Cela présuppose qu’il y a des situations auxquelles on ne peut rien changer. C’est la plus grande des violences. Pourtant, il n’y a rien qu’on ne puisse déconstruire. Dysfonctionner reviendrait à ne pas ou ne plus s’adapter à une situation considérée comme inamovible. Si c’est ça, il faut que tout le monde se mette à dysfonctionner. Pour moi, une bonne santé mentale c’est l’inverse, c’est la capacité à arrêter de s’adapter à un moment donné, la capacité à dire stop à un système qu’on considère toxique.

La crise sanitaire liée au COVID semble derrière nous, comment appréhendez-vous ce retour à la vie d’avant ?

J’ai adoré la période COVID : ma famille était autour de moi, ce qui me rassurait beaucoup car j’ai toujours peur qu’il leur arrive quelque chose. Il n’y avait plus de circulation et on entendait à nouveau le chant des oiseaux. Le chant des martinets en particulier est une source de joie extraordinaire pour moi. Cela me fait penser au programme Papageno pour la prévention du suicide. Papageno est un personnage de la Flûte enchantée de Mozart qui projette de se suicider après avoir été éconduit par Papagena. Au moment où il passe à l’acte, un chant d’oiseau le ramène à la vie, le reconnecte avec la beauté du monde. D’où l’envie de vivre.

Maintenant que la vie reprend plus ou moins son cours, je remarque que les surcharges arrivent vite. Je sais qu’après une interaction de 2h, il va me falloir 2h pour m’en remettre, soit dans le silence total ou avec mon casque sur lequel j’ai des enregistrements naturalistes. Toutes les interactions que j’engage me coûtent beaucoup psychiquement. J’organise donc mon emploi du temps en fonction. Avant, je ne sais pas comment je faisais. Je ne m’écoutais pas. Je travaillais comme un forcené, les week-ends, les vacances… J’ai appris au bout de 15 ans de travail, au cours d’un déjeuner entre collègue, que certains ne travaillaient pas le week-end. Cela m’a semblé surréaliste. C’est tellement délicat pour moi la relation sociale qu’il faut que je « borde » de tous les côtés. Pour moi 1h de cours, c’était 10h de mon temps. Beaucoup de préparation angoissée en amont, une performance de prof attentif à chacun où je dois savoir réagir à tout ce qui se passe et des ruminations post-cours ; bref, l’épuise totale.

Ce qui est dur, c’est que je ressens maintenant des situations de handicap, que je ne ressentais pas avant. Je n’ai pas de souci avec le handicap dans le sens où je sais qu’il n’y a que des situations de handicap et que ce n’est pas essentiel à ma personne. Mais j’ai 50 ans, je n’ai plus la même énergie pour compenser, il faut que je compose avec tout ça.

Vous avez lancé un podcast qui s’appelle TroubleS dans le spectre à destination des professionnels de santé. Comment vous est venu l’idée ?

Ma première idée, c’était de parler au psychiatre que j’ai rencontré en 2019, qui m’a hospitalisé et qui a continué de me suivre pendant quelques temps. Il m’a un jour questionné sur mes avancées avec ma psychothérapeute. Quand je lui ai dit que cette psychologue avait émis l’idée d’un TSA, il m’a dit « si vous êtes autiste, moi je change de métier ». Finalement, quand j’ai partagé avec lui mon diagnostic, il a été un peu choqué, mais par la suite, il a complètement intégré cet élément de mon psychisme dans l’appréhension de ma personne et de cette dépression résistante. J’ai trouvé ça assez fort de sa part de revenir sur une son appréhension première. Il est devenu un allié.

L’autre élément déclencheur, c’était lorsque j’ai participé à un atelier au CRA et que tous les participants sans exception ont fait part de difficultés avec le personnel soignant. En rentrant chez moi, je me suis dit qu’il fallait atteindre ces gens-là, et qu’on les rende sensible à la parole à toute l’étendue du spectre, à travers la parole des personnes concernées. L’idée du podcast est née comme ça. J’en ai parlé au TS2A, au CRA et au CRR. Et puis, la belle équipe (Floriane, Céline, Aude, Romain, Sandrine et Alejandra) s’est constituée pour développer ce projet.

Je voulais communiquer sur un mode sensible, mais pas un mode savant. Je sais qu’en France, la tradition psycho-psychanalytique est encore très forte. Les stéréotypes sur l’autisme sont aussi institutionnels. Avec ce podcast, on ne cherche pas à convaincre, mais à enrichir les représentations des personnels de santé. Le personnel soignant est souvent très « sachant ». Il est entraîné à s’endurcir face à des situations parfois très complexes à gérer. Je pense que se rendre perméable et se laissant affecter par les autres est aussi très important. Avec ce podcast, je ne cherche pas à rajouter une couche expérientielle, je ne suis pas en train de dire non plus qu’il n’y a que les personnes TSA qui détiennent la vérité. Ce podcast est une proposition de lien qu’on fait aux professionnels de santé pour qu’ils tissent ou retissent différemment leurs relations avec les personnes concernées. S’ils ont la possibilité et la disponibilité de se laisser affecter par ce qu’ils vont entendre, alors, c’est gagné pour nous.

Si vous aviez un conseil pour les professionnels soignants, quel serait-il ?

Je pense qu’il est très important qu’ils adoptent – pompeusement –  une « posture épistémique ouverte », c’est-à-dire qu’ils ne se placent pas systématiquement en position de « sachant ». Les praticiens ou les psychiatres ont une parole, mais ils ne sont pas les seuls à savoir. Il est important que la voix des personnes concernées soit aussi portée et représentée.

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04/10/21, par Jennifer Beneyton

Dépression et périnatalité : le cas des femmes autistes

Devenir maman est un bonheur certes, mais qui vient avec son lot de difficultés, d’insécurité et de doutes. Et quand la future maman est autiste, l’équation peut vite devenir un casse-tête. Julien Dubreucq, post-doc au département de psychiatrie périnatale de l’Erasmus Medical College de Rotterdam travaille à améliorer la détection et la prise en charge de cette maladie.

La dépression périnatale, cette maladie invisible…

Quand nous rencontrons Julien Dubreucq, psychiatre-pédopsychiatre, le tableau qu’il nous dépeint est alarmant : la dépression touche 12% des mères et 60% des cas de dépression périnatale (de la grossesse à 1 an après la naissance) ne sont pas repérés, 85% ne sont pas traités et seulement 5% sont traités de façon adéquate.

« Le suicide est la première cause de mortalité maternelle en période périnatale. Il y a urgence ! »

Julien et son équipe travaille sur un projet de recherche qui vise à améliorer le parcours de santé des parents avec dépression périnatale – fait méconnu, 10% des pères sont aussi touchés par cette pathologie. Pour ce faire, ils recueillent les témoignages de tous les acteurs concernés : les parents et futurs parents, les parents concernés par un antécédent de dépression périnatale mais aussi les sages-femmes, les gynécologues obstétriciens, les pédiatres, les médecins généralistes ainsi que tous les professionnels de la santé mentale qui travaille en périnatalité. L’objectif est d’avoir dans un premier temps une vision globale des difficultés et ressentis de chacun pour en extraire des recommandations visant à prévenir cet état, ou tout au moins à le prendre en charge le plus rapidement et efficacement possible. À terme, une application numérique devrait être développée pour faciliter le processus.

Risque accru chez les femmes autistes

Le fait d’être autiste ajoute un défi supplémentaire à ceux que rencontrent déjà les jeunes et/ou futurs parents. Selon une étude anglaise récente, les femmes autistes sont plus sujettes à la dépression périnatale pour différentes raisons. D’une part, cela peut s’expliquer, pour certaines, par leur hypersensibilité. Mais c’est aussi beaucoup lié aux difficultés de communication inhérentes à leurs troubles. Certaines partageront peu leur joie et apparaîtront comme des personnes froides ce qui peut ouvrir la voie chez les professionnels à des suspicions de lien défaillant mère-enfant. D’autres auront du mal à communiquer sur leurs besoins, notamment pour gérer la douleur. L’environnement sonore et lumineux est aussi une épreuve pour certaines, tout comme la rapidité des gestes médicaux qui nécessiteraient davantage d’explications et de préparation. Par ailleurs, devenir maman s’accompagne d’un nouveau rôle social au sein de sa famille et belle-famille qui ajoute de la pression et du stress et qui peut parfois faire basculer un équilibre précaire. Elles ont aussi peur d’être jugées négativement dans leurs compétences parentale : être parent nécessite de faire maîtriser l’art des doubles tâches ce qui, pour une personne qui a besoin de temps et qui peut vite se sentir submergée, complique beaucoup la gestion du quotidien.

Sans compter que parfois, la dépression peut être très difficile à détecter chez les femmes autistes. En effet, la personne a mis en place des stratégies de compensation superficielle (c’est-à-dire inflexibles, difficilement adaptables au contexte et peu résistantes au stress), qui lui permettent de s’adapter aux situations, mais qui peuvent donner lieu à des discordances entre discours et comportement.

« Je me souviens du cas de cette jeune étudiante autiste qui s’était construit un personnage très expressif, très joyeux et un peu excentrique qui est venue en consultation pour dépression. Les professionnels ne la croyaient pas car son attitude pouvait laisser penser le contraire. »

Le personnage social que ces personnes se créent et qu’elles utilisent depuis des dizaines d’années peut prendre le pas sur leur personnalité réelle provoquant parfois un sérieux questionnement identitaire mais aussi des burn-outs car maintenir ce personnage social est épuisant. Mettre des stratégies en place est souhaitable si cela peut permettre aux personnes concernées d’atteindre leurs objectifs personnels, mais pas au prix de leur santé mentale.

« Il faut qu’elles s’autorisent à être plus autistes, à condition toutefois que l’environnement les y autorise. »

La divulgation de son autisme, une question délicate

Tout serait tellement plus aisé en effet, mais la réalité est, comme souvent, complexe. Parler de son autisme aux professionnels de santé, c’est encore aujourd’hui potentiellement s’exposer à des préjugés, s’entendre dire que c’est la raison de tous ses maux et être disqualifié dans son rôle de (futur) parent. Toutes les jeunes mamans font face à des difficultés parentales, mais les mamans autistes ont beaucoup moins le droit au faux pas. Fort heureusement de plus en plus de professionnels se forment et appréhendent de mieux en mieux les troubles du spectre de l’autisme, mais le chemin est encore long. C’est pourquoi la décision de la divulgation ne doit pas être prise à la légère. Elle peut se révéler aussi libératrice que destructrice et doit donc être murement réfléchie. Un accompagnement par des professionnels formés et spécialisés, peut se révéler nécessaire.

Afin de faciliter le parcours des futures/jeunes mamans autistes, une expérience avait été conduite au CH Alpes Isère, sous la direction de Julien Dubreucq, qui consistait à désigner une sage-femme référente de parcours en périnatalité. Son rôle était d’accompagner les personnes concernées le souhaitant, de les aider à identifier leurs forces et ressources et de faire l’interface entre les personnes concernées et les professionnels de santé. L’expérience qui s’est révélée très fructueuse est décrite dans une revue récente de la littérature et se poursuivra au CHU de Saint Étienne en 2022. De cette réflexion est née un groupe de travail parentalité, associant personnes concernées et professionnels et coordonné par Marine Dubreucq, sage-femme référent de parcours. Un autre groupe de travail sur les besoins des parents avec troubles psychiques sévères de la cohorte REHABase sera mis en place sur le centre ressource de réhabilitation psychosociale.

Faire évoluer les mentalités : le rôle des campagnes publiques

Changer le regard et faire évoluer les mentalités sur tout ce qui a trait à la santé mentale prend du temps. La France accuse beaucoup de retard.

« Aux Pays-Bas, comme dans les pays du Nord en général, ils ont 25 ans d’avance sur nous. »

C’est grâce à plusieurs campagnes de dé-stigmatisation qui ont été diffusées très largement ces dernières années avec tous les acteurs du domaine : pair-aidant, professionnels de santé, personnes concernées…

Ceci dit, une étude a montré l’efficacité relative de ces campagnes. En effet, plusieurs campagnes publiques de déstigmatisation sur la schizophrénie et la dépression ont été menées en Allemagne entre 2001 et 2011. L’attitude de la population générale n’avait pas changé vis-à-vis de la dépression et avait même empiré vis-à-vis de la schizophrénie. Mais, la grande réussite de ces campagnes réside dans l’effet très positif sur les personnes concernées : leurs troubles ont été abordés de façon positive et moins caricaturale ce qui leur a donné l’impression que la société était moins stigmatisante et leur a donné le courage de s’exposer davantage avec des réussites à la clé. Cette expérience montre que les campagnes de ce genre ne changent pas nécessairement les mentalités, mais elles changent la perception des personnes concernées sur elles-mêmes et c’est déjà très précieux.

Faire évoluer les mentalités passe principalement par une éducation plus tolérante dès le plus jeune âge.

« Les enfants construisent leur représentation du monde dès trois ou quatre ans. Ils ont déjà des stéréotypes, y compris au niveau des troubles psychiques. »

Ces stéréotypes passent par l’environnement familial, l’école, les amis, … et les dessins animés. Par exemple, dans cet extrait de Madagascar (1 :34), Alex le Lion dit des pingouins qu’ils sont « psychotiques » car ils veulent retourner à l’état sauvage. L’emploi de ce genre de mot est problématique car il n’est pas utilisé dans le contexte approprié et il a une connotation péjorative.

Une étude européenne est actuellement en cours pour évaluer les représentations et les connaissances de la dépression périnatale auprès des parents et des sages-femmes à travers une dizaine de pays (France, Pays-Bas, Italie, Espagne, Portugal, Norvège, Suède, Estonie, Chypre, Grèce et Bulgarie). Un questionnaire devrait être prochainement diffusé largement. Il sera intéressant de comparer les perceptions de chaque pays en sachant que les programmes de formation, les dispositifs de prises en charge et les campagnes de déstigmatisation sont différents.

Ressources:

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