Gérer mes cookies

Interview d'une ergothérapeute pour le TDAH

Ergothérapeute depuis 25 ans, Nathalie Desnaute s’est peu à peu spécialisée dans l’accompagnement des adultes ayant des Troubles du Neurodéveloppement (voir son site). Découvrez son interview :

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier d’ergothérapeute, et dans quel contexte les professionnels peuvent faire appel à vous ?

N.D. : Le métier d’ergothérapeute est axé sur le lien entre activité et santé. L’objectif de l’ergothérapie est de permettre aux personnes d’accomplir les activités quotidiennes qui sont importantes pour elles. Cela concerne autant les activités qui permettent de prendre soin de soi et des autres, que les activités scolaires et professionnelles, ainsi que toutes les activités dans lesquelles chacun se réalise et s’intègre socialement.

Les ergothérapeutes proposent des approches collaboratives. Ils co-construisent les moyens d’action avec les personnes accompagnées, en partenariat avec leur entourage et les intervenants autour de leur situation.

Nous intervenons à 3 niveaux : 

  • Au niveau de la personne en visant la récupération optimale des capacités cognitives, psychiques, motrices
  • Au niveau de l’environnement psychosocial et architectural en agissant sur les éléments qui peuvent faire obstacle ou au contraire faire levier et favoriser l’autonomie
  • Au niveau des caractéristiques de l’activité qui vont influencer son accomplissement (organisation dans le temps, choix des gestes…)

Les contextes d’adressage sont très variés. Ils concernent des personnes de tout âge en difficulté d’autonomie sociale et fonctionnelle ou à risque de développer des difficultés d’autonomie comme dans un contexte d’avancée en âge ou de pathologie évolutive.

Qu’est-ce qui vous a progressivement menée vers l’accompagnement des troubles du neurodéveloppement de l’adulte ?

N.D. : En cabinet libéral, j’ai toujours eu une forte demande concernant l’accompagnement d’enfants avec des troubles neurodéveloppementaux. Dans le cadre de ces soins, la guidance parentale a une importance fondamentale. Et les parents des jeunes avec TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), peuvent présenter eux aussi ce trouble, ils sont alors aux prises avec leurs propres difficultés de fonctionnement. Il est primordial d’avoir une bonne connaissance de l’impact du TDAH chez les adultes pour accompagner ces parents. J’ai commencé alors à m’intéresser particulièrement au TDAH et particulièrement à l’accompagnement des adultes pour qui l’offre de soin est limitée. Je prends tellement de plaisir à travailler avec ce public que j’ai décidé de me spécialiser.

Quelle approche adoptez-vous pour soutenir les troubles organisationnels ?

N.D. : J’ai eu la chance d’être formée à l’approche OPC (voir en orange ci-dessous) qui a modifié complètement ma pratique. J’ai été tellement enthousiasmée par cette approche que j’ai participé à un temps de supervision puis à une formation avancée donnée par la Docteure Fiona Graham qui est à l’origine d’OPC.

OPC n’a pas été spécifiquement développé pour les adultes avec un TDAH, mais elle s’appuie sur les techniques de coaching qui vont faciliter l’engagement des personnes et donc l’atteinte de leurs objectifs. Depuis que je pratique cette approche pour accompagner les adultes avec un TDAH, je vois à quel point elle est pertinente. C’est une modalité d’intervention qui nourrit le sentiment de compétence et qui impacte positivement le fonctionnement quotidien.

OPC : Occupational Performance Coaching ou Coaching en Performance Occupationnelle, est une approche basée sur des données probantes, développée par la Docteure Fiona Graham, la Professeure Sylvia Rodger et la Professeure Jenny Ziviani et basée sur les recherches de la Docteure Fiona Graham à l’Université de Queensland en Australie.
Elle est fondée sur les sciences de l’occupation dont l’objectif est de comprendre comment les occupations (toutes les activités et les tâches quotidiennes) façonnent l’identité des individus, favorisent leur participation dans la société et influencent leur santé. Les concepts issus des sciences de l’occupation sont les fondements de l’ergothérapie moderne, telle qu’elle se pratique aujourd’hui tout autour du globe.
Le concept central est la participation occupationnelle, c’est-à-dire l’engagement actif d’une personne dans les activités significatives ou nécessaires qui sont essentielles à son bien-être et à son identité (activités de soins personnels, productives, ressourçantes, qui favorisent les interactions sociales…). Le concept de participation occupationnelle ne se limite pas à l’exécution de la tâche, cela englobe aussi le sentiment de contrôle, de compétence, de plaisir et d’engagement émotionnel ressenti par la personne.
La performance occupationnelle est la capacité d’une personne à accomplir les activités ou les tâches qu’elle souhaite avec efficacité et de manière satisfaisante.
Ces 2 concepts sont interconnectés : une bonne performance permet une participation enrichissante et une participation engagée soutient la performance à long terme.
OPC une approche centrée sur la personne, qui vise à soutenir l’identification de ses objectifs et la mise en pratique de changements qui vont favoriser la performance occupationnelle au quotidien. L’accompagnement est proposé sous la forme d’entretiens, c’est une approche particulièrement bien adaptée au télésoin.
La discussion et la réflexion sont orientées sur les objectifs et non sur les difficultés. C’est une approche qui met en valeur les compétences et encourage la confiance en soi afin que la personne puisse gérer les situations actuelles et futures de façon autonome.
OPC est basée sur 3 piliers :

  • La connexion avec la personne accompagnée avec mise en place d’un partenariat dans la réflexion
  • La structure qui permet l’analyse collaborative de la performance et la définition d’objectifs clairs et signifiants pour la personne
  • Le partage qui replace la personne en position d’experte de sa propre situation

Il n’est pas nécessaire que le thérapeute ait une très bonne connaissance de la situation ou de la personne, en revanche il est nécessaire que la personne comprenne son propre fonctionnement et ses propres besoins pour trouver ses solutions sur mesure. C’est ce processus qu’OPC propose.

 

À ce jour il n’existe pas de formation spécifique pour accompagner les troubles organisationnels de l’adulte, quelles formations recommanderiez-vous aux ergothérapeutes et aspirants ?

N.D. : L’approche OPC est très intéressante.J’encourage mes collègues à se former aussi.
Il existe une autre approche en ergothérapie pour accompagner les adultes avec TDAH, il s’agit de Cog-Fun.

Cog-Fun est une approche fonctionnelle cognitive conçue pour les personnes avec TDAH et pratiquée par des ergothérapeutes certifiés. Elle est basée sur des données probantes issues de la recherche du laboratoire de réadaptation neurocognitive de l’Université de Jérusalem en Israël.
Son objectif est d’aider les personnes à gérer les conséquences fonctionnelles du TDAH dans leurs activités quotidiennes à long terme. Elle se base sur l’amélioration des connaissances sur les symptômes et leurs retentissements fonctionnels, l’acquisition de stratégies d’adaptation personnalisées, la régulation dans la mise en pratique des stratégies dans la vie quotidienne.

L’approche « adultes » est actuellement (2024) en cours de traduction et sera proposée en formation continue pour les ergothérapeutes en France dans les prochaines années.

Il existe plusieurs diplômes universitaires spécifiques au TDAH : tdah-france.fr/TDAH-les-offres-de-formation-professionnelle-sur-le-TDAH.html
En tant que soignant, il est nécessaire d’être bien formé et d’améliorer ses connaissances en continu, pour appréhender les dimensions multiples de ce trouble.
Il me semble indispensable que les étudiants en ergothérapie soient mieux sensibilisés sur le sujet. Je pense rapidement proposer des actions dans ce sens au sein des instituts de formation en ergothérapie et pourquoi pas une formation pour les ergothérapeutes cliniciens et/ou pour un public plus large.


Avez-vous des ressources à recommander pour les professionnels (ergothérapeute ou autre), et/ou les personnes concernées ?

N.D. : Il existe des ressources scientifiques, qu’il faut souvent aller chercher à l’international.
Certains professionnels consacrent leur activité à enrichir les connaissances de chacun, notamment Sébastien Henrard, psychologue spécialisé en neuropsychologie.
Certains sites sont destinés au grand public mais orientent vers des ressources plus spécialisées pour les professionnels comme tdah-france.fr et tdah-age-adulte.fr.

 

Retrouvez l’interview plus axée TDAH sur le site TDAH Âge Adulte →

À la découverte de l'ÉCLAH

Le trouble du déficit de l’attention-hyperactivité (TDAH) touche 6 % des enfants et 3 % des adultes. Pourtant, la stratégie nationale 2023–2027 pour les troubles du neurodéveloppement souligne l’absence de filière de soin dédiée, des difficultés d’accès au repérage, au diagnostic et au traitement, ainsi qu’un besoin de formation des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire français.

Équipe de Coordination Lyonnaise des troubles de l’Attention et de l’Hyperactivité

L’Équipe de Coordination Lyonnaise des troubles de l’Attention et de l’Hyperactivité (ECLAH), créée en novembre 2023, est une équipe pluridisciplinaire visant à répondre à ces enjeux. Elle coordonne le réseau de soin, offre des formations, et propose des consultations spécialisées pour des cas complexes. L’ECLAH collabore avec divers acteurs pour structurer un réseau de soins, fournit des informations aux professionnels et aux institutions, et organise des Réunions de Concertation Pluridisciplinaires (RCP). Elle participe également à des projets de recherche sur divers aspects du TDAH.

ÉCLAH se distingue par sa mission de complément aux dispositifs existants, sans s’y substituer, en apportant une expertise spécialisée.

Informations pratiques

Lien utile : https://www.evolupsy-competence.fr

Contact : tdah[at]ch-le-vinatier[dot]fr

ATTENTION : les demandes adressées à l’ECLAH doivent obligatoirement provenir du médecin référent.

Repenser l’espace urbain pour les personnes autistes

Illustration : Marion MENARDI

Bonjour Marie Pieron, votre projet AutiSenCité vient d’être financé par l’ANR (agence nationale de recherche), sur quoi porte-t-il ?

En tant qu’élue à la ville d’Ivry, j’ai échangé avec des représentant·es des collectivités territoriales sur les questions d’inclusion des personnes autistes dans notre ville. À la suite de ça, avec le Club Vision et Autisme, nous avons organisé plusieurs événements et ateliers rassemblant jusqu’à 180 personnes, dans le but de mieux comprendre l’impact des particularités visuelles des personnes autistes sur leur expérience urbaine. Ces rencontres m’ont permis d’échanger avec divers professionnels, tels que des chercheurs en neuroscience, des cliniciens, des élus de différentes villes françaises, ainsi que des représentants de l’Université de Dublin et une géographe de Sorbonne Université, Florence Huguenin Richard qui a d’ailleurs rejoint le projet. J’ai aussi eu l’occasion d’échanger avec des personnes autistes et des parents qui m’ont fait part d’une préoccupation majeure : les difficultés majeures auxquelles sont confrontées les personnes autistes lors de leurs déplacements à pied en ville : trop d’informations en même temps, un niveau de stimulation auditif et visuel intense, des lieux insécures (accès facile à la rue) . Il est crucial de recueillir ces témoignages et de collaborer avec les personnes autistes, les proches, les associations et les professionnels pour garantir la qualité de vie et l’autonomie des personnes autistes dans notre environnement urbain. Cet engagement participatif nous a permis de rédiger un livret regroupant les recherches et les témoignages sur l’expérience de la ville du point de vue des personnes autistes en espérant que les collectivités s’en emparent pour les projets d’aménagement urbain. Aujourd’hui, nous souhaitons aller plus loin avec ce projet de recherche participative, AutiSenCité.

Quels sont les objectifs d’AutiSenCité?

Nous avons deux objectifs principaux : d’une part, favoriser l’autonomie et améliorer la qualité de vie des personnes autistes dans la ville, et d’autre part, comprendre et atténuer les difficultés rencontrées lors de leurs déplacements urbains. Les témoignages recueillis sont souvent saisissant, certains allant jusqu’à qualifier ces déplacements de véritables épreuves, voire de torture. Cette réalité nous pousse à prendre conscience de l’ampleur des difficultés rencontrées. Même ceux qui parviennent à surmonter ces obstacles témoignent des efforts considérables que cela leur demande. Lors de mes propres déplacements en ville avec eux, j’ai pu constater à quel point cela représentait un véritable défi, se traduisant souvent par l’apparition de stéréotypies et une fatigue intense à la fin du trajet. Il est donc crucial de comprendre le véritable coût, parfois invisible, de ces déplacements en ville, même pour ceux qui parviennent à les accomplir.

Comment allez-vous procéder ?

Notre étude se divise en deux parties distinctes.

Tout d’abord, nous travaillons à la construction d’une méthodologie d’évaluation sensorielle de la ville en collaboration avec des personnes autistes, des proches et des professionnels. Cette approche participative garantit que chaque terme utilisé dans nos échelles d’évaluation sensorielle reflète la réalité vécue par les personnes autistes.  Des pictogrammes seront aussi associés à ces termes pour recueillir la parole la plus large possible au sein du spectre. Une fois cette méthodologie établie, nous recueillerons les retours des personnes autistes sur des aspects spécifiques de leur expérience urbaine : quels sont les aménagements qui sont bien ressentis, et ceux qui posent problème ?

Lorsque nous aurons terminé cette tâche, nous proposerons de réaliser des marches sensorielles dans des villes partenaires ou dans des universités (atypie-Friendly fait partie du consortium), où nous accompagnerons des personnes autistes sur des trajets familiers au cours desquels ils seront filmés, à bonne distance. Nous analyserons leurs réactions aux stimuli sensoriels (klaxons, sirènes, enseignes lumineuses, motos qui pétaradent, etc.), recueillerons des données sur l’environnement (mesure sonore à l’aide de l’application de science participative NoiseCapture) et leur demanderons de compléter les échelles d’évaluation. Ces observations nous permettront de dégager un indice d’évaluation sensorielle de l’environnement, alliant résultats scientifiques et sociétaux.

Quels sont les résultats attendus ?

La recherche participative offre l’avantage de diffuser rapidement les résultats à la société. Sur le plan sociétal, cela se traduit par la création d’un kit d’évaluation sensorielle de l’environnement, ainsi qu’une grille d’évaluation accessible aux non-scientifiques. Ces outils seront notamment utiles pour les structures comme les IME ou les SESSAD, qui accompagnent des groupes de jeunes et peuvent ainsi identifier les problèmes sensoriels sur les trajets quotidiens.

Nous prévoyons de collaborer avec cinq villes pour aller plus loin dans notre démarche dont la métropole de Lyon. Sur leur territoire, des parcours spécifiques seront effectués, et une urbaniste travaillera avec elles pour envisager des améliorations concrètes en termes de micro-aménagement. Notre approche repose sur une science frugale, visant à maximiser les résultats avec un investissement minimal. Nous espérons que ces recherches seront intégrées dans les documents d’urbanisme des villes, par exemple, dans le cadre de grands projets de renouvellement urbain ou par la commission intercommunale d’accessibilité. L’objectif est d’incorporer la prise en compte de la sensorialité dans les cahiers des charges ou les plans climat-air-énergie, car actuellement, il n’existe ni norme ni standard concernant l’accessibilité de la ville aux personnes autistes.

Ce projet est un projet de recherche participative, pouvez-vous nous dire comment cela se manifeste ?

La gouvernance de notre projet implique diverses parties prenantes, notamment des personnes autistes, des associations, des collectivités territoriales, des chercheurs et des cliniciens. Cette gouvernance joue un rôle crucial dans la prise de décision concernant toutes nos actions.

Par exemple, l’une de nos premières discussions a porté sur les termes à utiliser pour désigner les personnes autistes. Nous avons débattu des différentes terminologies, de leurs implications, et nous avons conclu que l’utilisation du terme « personnes autistes » était préférable, et nous avons banni tout vocabulaire médical. Cette décision, prise au sein de la gouvernance, souligne l’importance de reconnaître le rôle et l’expertise des personnes autistes dans tout le processus. Nous avons également travaillé sur notre mode de communication interne. Cela demande du temps, de la diplomatie et du compromis.

Ces discussions mettent en lumière les défis de la recherche participative et la manière dont elle est perçue au sein de la communauté scientifique. Comment faire pour que la communauté scientifique comprenne qu’on utilise en recherche participative des critères scientifiques identiques à ceux des autres types de recherche en termes de rigueur, etc. ?

Les personnes concernées, qui ont rejoint le projet progressivement, ont chacune leur vécu. Cependant, passer de l’individuel au collectif reste un défi. Cela dit, on mesure déjà l’impact significatif des contributions des personnes autistes sur notre protocole de recherche.

En définitive, leur participation enrichissante met en évidence l’importance de leur inclusion dans la gouvernance des projets de recherche participative. Sans eux, nous aurions probablement omis des aspects cruciaux, notamment en ce qui concerne la perception visuelle. Cela souligne l’importance capitale de leur implication dans ces processus.

Pour en savoir plus :