28/09/21, par Jennifer Beneyton
D'un CAP boulangerie à un Master en ressources humaines à l'ESDES
Nous avons rencontré Bakay Fofana, 24 ans, actuellement en Master 2 en RH digital et business au sein de l’ESDES, l’école de commerce de la Fac catholique de Lyon. Bakay est autiste et a la particularité d’être le premier jeune du SESSAD les Passementiers à avoir suivi un cursus scolaire en milieu ordinaire. Nous sommes allées à la rencontre de Bakay et Michel, l’un de ses tuteurs au SESSAD, pour en savoir plus.
Bonjour Bakay, peux-tu nous parler un peu de ton parcours scolaire ?
Bakay : J’ai suivi un cursus général de la sixième à la troisième, au collège Jean Monnet dans le deuxième à Lyon. Pour mon stage de troisième, j’ai travaillé dans une boulangerie et comme ça m’avait bien plu, j’ai fait une seconde Bac Pro en boulangerie pâtisserie. Mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas une personne manuelle. Se lever tôt ne me dérangeait pas, mais le travail ne me convenait pas et je me suis réorienté vers un cursus plus administratif.
Michel : C’est là que tu as commencé au lycée Jacques de Flesselles, et le SESSAD est intervenu à cette époque. Ce n’était pas évident là-bas…
Bakay : J’étais en Bac Pro en gestion administrative dans une classe vraiment difficile. Mais heureusement, le SESSAD a commencé à me suivre pendant ma première année, en septembre 2013, même si mon diagnostic n’est intervenu qu’en 2015.
Michel : Effectivement, tu avais eu un diagnostic clinique, mais le vrai diagnostic n’avait jamais été clairement posé.
Bakay : Au lycée Jacques de Flesselles, nous avons travaillé sur un livre de cuisine internationale dont j’ai eu l’idée, nous avons monté une micro-entreprise et grâce à mon réseau en hôtellerie restauration, j’ai pu faire quelques ventes. Nous l’avons publié en version papier. J’étais aussi le délégué de ma classe. Comme la classe était agitée, je faisais le médiateur entre les profs et les élèves. Puis après mon Bac Pro, j’ai fait un BTS Assistant Manager pour lequel je devais faire deux stages dont au moins un à l’étranger. J’ai choisi de faire les deux stages en Angleterre : un dans une agence de communication et un dans un cabinet de recrutement.
Michel : Tu les as trouvés tout seul tes stages en plus, tu nous avais épaté ! C’est un malin, Bakay, il trouve toujours les bons plans (rire).
Bakay : Après le BTS, j’ai pris une année sabbatique car je n’avais pas réussi à trouver d’employeur pour ma licence pro. J’ai fait des petits boulots en attendant. Mais en 2019 j’ai réussi à me trouver un employeur : Renault Trucks, et j’ai donc pu valider ma licence pro en alternance à l’IUT Lyon 3.
Michel : D’ailleurs grâce à ça, nous avons même fait une formation auprès de tous leurs référents handicap de Renault Trucks au niveau national et depuis, nous sommes toujours en lien avec eux. On en a aussi fait une chez RTE, l’une des filiales d’EDF.
Bakay : Et je suis maintenant en Master de ressources humaines que je fais en alternance chez SANOFI. C’est suite à mon deuxième stage à Londres que j’ai voulu m’orienter dans cette branche.
As-tu rencontré des difficultés pendant ton parcours ?
Bakay : Oh oui. Au collège, ce n’était vraiment pas simple avec les élèves. J’arrivais à suivre les cours, mais les relations avec les autres étaient difficiles car je subissais beaucoup de moqueries liées à mon trouble.
Michel : C’est quelque chose qu’on observe auprès de tous les jeunes que nous suivons. Le collège est vraiment une période difficile.
Bakay : Oui, c’est la loi de la jungle. Je voudrais oublier ces années-là.
Michel : Et tes plus belles années ?
Bakay : Mes années BTS avec mes deux stages à Londres. Depuis que je suis dans le supérieur, les étudiants, les professeurs, les employeurs… sont plus tolérants. Mais parfois, ça pose encore problème. Par exemple, cette année, nous avions un cours de SI-RH (Système d’information en ressources humaines). Mais malgré mes demandes, le professeur ne nous a pas fourni de véritable cours, ce qui fait que j’ai raté l’examen. C’est le seul que j’ai raté, et je vais devoir le repasser au rattrapage. J’en ai parlé avec mon référent à l’université et il s’est entendu avec ce prof pour que l’année prochaine il fournisse des supports de cours. Au moins, j’espère que cela servira aux autres après moi !
Michel : On voit bien que sans support, lorsqu’un cours n’est pas bien préparé, cela te pose des difficultés. Tu en as parlé à la mission handicap de l’ESDES ?
Bakay : Non, mais j’aurais dû.
Peux-tu nous raconter ce que ton suivi au SESSAD a changé ?
Bakay : Déjà, c’est le SESSAD qui m’a permis d’avoir le diagnostic et ce fut un soulagement. Mais le SESSAD m’a aussi beaucoup aidé dans mes capacités sociales. Par exemple, j’avais beaucoup de mal à me présenter ou à répondre au téléphone.
Michel : C’est sûr qu’au début, ce n’était pas évident. Elodie (une éducatrice du SESSAD) en a fait beaucoup des jeux de rôles avec toi pour t’entrainer !
Bakay : Maintenant c’est moi qui fais des jeux de rôles à l’école pour coacher les autres.
Michel : Et les pauses café, tu te souviens ? Au début cela te posait problème. « Pourquoi ils vont à la pause café » ? « Qu’est-ce qu’ils se disent à la pause café » ?…
Bakay : Oui, ce n’était pas facile au début. Souvent les gens racontent un peu leur vie et même parfois celles des autres. Mais ça me gênait car pour moi les RH, c’est la confidentialité et la discrétion et certains n’en font pas preuve.
Michel : Nous avons suivi Bakay de 2013 à 2016, pour 3 ans, ensuite il est resté dans le groupe des anciens jusqu’en 2019 et depuis il n’a plus rien à voir avec le SESSAD, mais nous avons toujours conservé des liens forts. Il est devenu notre porte-parole auprès des jeunes qu’on accueille actuellement. Ainsi il leur parle un peu de son parcours pour leur faire un retour d’expérience aussi, notamment sur le fait de cacher son autisme.
Bakay : Au début, c’est vrai que je ne voulais pas en parler, puis, avec le soutien du SESSAD, j’ai commencé petit à petit à en parler et maintenant, j’en parle librement. Avant, je ne me sentais pas très à l’aise pour en parler, pour expliquer ce que c’était et puis je craignais aussi le regard des autres.
Michel : C’est vrai qu’au début, Bakay ne voulait pas du tout en parler. Nous respections bien évidemment son choix. Mais sa recherche d’employeur s’est révélée plus compliquée que prévu. Ses entretiens se passaient bien, mais il n’était jamais retenu, sans doute car il manquait une pièce du puzzle pour les recruteurs. À partir du moment où il en a parlé en entretien, ça a complètement débloqué la situation. Chez Renault Trucks, par exemple, ils ont dit qu’ils avaient justement apprécié cette honnêteté et cette authenticité. Mais toutes les entreprises ne sont pas aussi bienveillantes et c’est pourquoi c’est une décision qui ne doit pas être prise à la légère.
Bakay : J’ai aussi beaucoup travaillé sur le fait d’être flexible, ce qui n’est pas évident pour les personnes autistes. Comprendre l’autre, prendre en compte l’avis de l’autre ne sont pas des choses évidentes.
Michel : Tu es plus souple qu’avant alors !
Comment envisages-tu ton futur ?
Bakay : Je suis ouvert à tous les environnements professionnels, mais dans l’immédiat, j’aimerais bien rester chez SANOFI. Je m’y sens bien à tous points de vue. En plus, ils sont présents dans de nombreux pays, j’aimerais bien faire un VIE (volontariat international en entreprise) au Canada, en Irlande ou dans les pays nordiques. Je suis aussi en lien avec l’une des branches de SANOFI qui est à Reading, près de Londres car je m’occupe des formations des salariés sur ce site. Je partirais bien là-bas ! De manière générale, j’ai trouvé les Anglais plus bienveillants que les Français concernant mes particularités.
Michel : Je peux prendre ma retraite, quand je t’entends parler comme ça, je me dis qu’on a bien travaillé.
Quels conseils donnerais-tu à des jeunes comme toi ?
Bakay : Ayez confiance en vous. Si vous avez envie de travailler dans un domaine, allez-y. Écoutez les conseils des autres, mais ne les suivez pas forcément. Prouvez votre valeur. Montrez-leur que même si vous êtes autistes, vous pouvez viser haut, vous pouvez aller loin. Et assumez votre autisme.
Michel : Je suis tellement content Bakay de t’entendre parler ainsi. Cela m’émeut. Moi qui te connais depuis que tu as 16 ans, tu as tellement évolué. Je te félicite. Cet entretien me scotche.