Le premier magazine dédié à la neurodiversité
À l’occasion de la sortie du premier numéro de « Zèbres & cie », nous avons rencontrées la directrice de publication et la rédactrice en cheffe pour échanger à propos du magazine :
Céline LIS-RAOUX
Directrice de publication de “Zèbres & cie”, ancienne cheffe de service et journaliste à l’Express, fondatrice de Rose Magazine à destination des femmes atteintes d’un cancer. Il est distribué gratuitement dans les services de cancérologie, sur le modèle de ventes de pages de publicité, mécénat de compétences et dons (Association Roseup). En 2012 elle est élue femme de l’année par France Télévision, RTL et Marie-Claire. En 2017, elle est faite chevalière de l’ordre national du mérite.
Claudine PROUST
Rédactrice en cheffe et journaliste de “Zèbres & cie”, magazine dédié à la neurodiversité, elle est ex-cheffe de la rubrique santé au Parisien-Aujourd’hui, journaliste spécialisée dans les questions d’éducation et de santé ; régulière de : Particulier Santé, Top Santé, Pleine Vie et Rose Magazine. Elle est également l’auteure d’ouvrages de santé et d’éducation.
Couverture du premier numéro du magazine Zèbres & cie : www.zebre-et-compagnie.fr
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer
ce magazine ?
Nous avons créé ce magazine parce que nous sommes mamans d’enfants atypiques. En tant que parents, nous faisons souvent preuve de créativité pour trouver des astuces, et nous voulons partager ces expériences.
Il est essentiel de changer le regard du grand public sur la neurodiversité. La neurodiversité, c’est le vivant. Trop souvent, on essaie de mettre le vivant dans des cases : on entend des jugements comme « c’est un feignant » ou « vous êtes un mauvais parent », alors qu’il est crucial de comprendre que ces cases ne sont pas adaptées.
Les programmes scolaires sont conçus par et pour des neurotypiques, ce qui contribue à reproduire cette norme, comme l’a souligné Bourdieu. Nous ne pourrons pas changer cela uniquement par des lois. Nous voulons savoir comment d’autres parents font face à ces défis.
Chaque association opère souvent dans son propre couloir, avec des parents qui tentent de changer la loi en fonction de leurs propres difficultés. Cela crée des micro-marchés. Pourtant, nous sommes nombreux dans cette communauté, et ensemble, nous pouvons avoir un poids plus important. Si nous sommes suffisamment nombreux pour nous unir, nous pourrons interroger la norme sociale actuelle, qui est souvent déconnectée de la réalité. Si nous parvenons à faire évoluer le territoire de cette norme, nous pourrons véritablement faire avancer les choses.
Le titre du magazine a suscité quelques réactions sur les réseaux, le terme « zèbre » étant généralement associé aux personnes à haut potentiel intellectuel, de façon controversée*.
Dès la couverture de votre 1er numéro, vous titrez « HPI, n’en faites pas une maladie » comprenant une interview de Nicolas Gauvrit.
Le choix du terme « zèbre » fait-il référence au HPI, pourquoi ce choix ?
Le choix du terme « zèbre » pour notre magazine a effectivement suscité quelques réactions, mais nous l’assumons. Nous ne considérons pas ce terme comme la propriété exclusive d’un groupe particulier. Pour nous, le « zèbre » évoque plus largement la différence et la diversité, ce qui correspond parfaitement à notre vision éditoriale.
Notre décision repose sur plusieurs critères journalistiques et éditoriaux soigneusement réfléchis. « Zèbres & Cie » crée immédiatement un univers visuel positif et accueillant, incarnant un titre sympathique et mémorable. Le zèbre, vivant en troupeau tout en étant unique, symbolise parfaitement la neurodiversité que nous souhaitons mettre en lumière. De plus, l’expression « drôle de zèbre » évoque la différence de manière bienveillante, ajoutant une connotation tendre à notre approche.
Ce choix fait également écho à tout un imaginaire littéraire et culturel autour de la différence, enrichissant ainsi l’univers de notre magazine. Nous recherchions un terme suffisamment général pour englober diverses formes de neurodiversité, sans nous limiter à une condition spécifique, ce qui permet une approche inclusive. Notre objectif est d’offrir des solutions et du soutien, tout en maintenant une tonalité positive, sans alourdir le quotidien des personnes concernées et de leurs familles.
La réception de notre magazine a été globalement très positive, dépassant même nos attentes. Le fait que nous nous soyons retrouvés en rupture de stock après seulement deux semaines témoigne de l’intérêt du public pour cette approche. Cette réponse enthousiaste confirme que notre choix éditorial répond à un véritable besoin dans la communauté, et nous encourage à poursuivre dans cette voie pour les prochains numéros.
Quelles neurodiversités explorez-vous ?
Dans notre magazine, nous explorons une large gamme de neurodiversités, en reconnaissant que ces conditions sont souvent interconnectées et peuvent se chevaucher. Voici les principales neurodiversités que nous abordons :
- Tous les troubles « dys » (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, etc.)
- Le Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH)
- Les Troubles du Spectre Autistique (TSA)
- Le syndrome de Gilles de la Tourette
- Le trouble du déficit intellectuel (incluant la trisomie 21)
- Le Haut Potentiel Intellectuel (HPI), abordé d’un point de vue scientifique
Nous gérons l’équilibre entre les différentes neurodiversités en adoptant une approche transversale qui met en lumière les défis quotidiens communs à plusieurs d’entre elles. Par exemple, les difficultés de socialisation peuvent toucher aussi bien les personnes atteintes de troubles du spectre autistique que celles souffrant de TDAH ou ayant un haut potentiel intellectuel. Au lieu de nous concentrer uniquement sur les spécificités de chaque condition, nous privilégions des solutions pratiques et des stratégies applicables à diverses neurodiversités. Nous abordons des questions pertinentes, comme celle du harcèlement, qui peut affecter plusieurs profils neuroatypiques.
Nous reconnaissons également que les troubles sont souvent croisés, ce qui signifie qu’une personne peut présenter plusieurs neurodiversités simultanément. Cette compréhension nous pousse à adopter une approche inclusive, veillant à ce que chaque numéro aborde un éventail de neurodiversités sans favoriser une condition par rapport aux autres. Nous nous efforçons de fournir un contenu scientifique équilibré, en présentant des informations à jour et validées, tout en évitant les stéréotypes ou les simplifications excessives.
Cette approche nous permet de créer un contenu riche et varié, tout en soulignant l’importance de considérer chaque individu dans sa globalité, au-delà des étiquettes diagnostiques. En mettant l’accent sur la diversité des expériences et des défis rencontrés par les personnes neurodivergentes, nous espérons contribuer à une meilleure compréhension et acceptation de la neurodiversité dans la société.
Parmi votre comité de conseil on retrouve le Pr Franck Bellivier, Mme Agnès Buzyn, le Pr Richard Delorme, le Pr Thomas Bourgeron, le Pr Yann Le Strat et M. Adrien Taquet.
Comment travaillez-vous avec ces experts pour garantir la qualité des informations publiées ?
Notre collaboration avec des experts et des professionnels de santé renommés est essentielle pour garantir la qualité et la précision des informations que nous publions dans notre magazine. Nous travaillons en étroite relation avec ces conseillers médicaux, dont le Pr Franck Bellivier, Mme Agnès Buzyn, le Pr Richard Delorme, le Pr Thomas Bourgeron, le Pr Yann Le Strat et M. Adrien Taquet. Avant chaque publication, nous leur envoyons le chemin de fer du magazine afin qu’ils puissent donner leur avis sur les sujets que nous prévoyons d’aborder.
Après la rédaction des articles, ces experts relisent l’intégralité du contenu du magazine. Cette étape cruciale nous permet de nous assurer que les informations présentées sont exactes, à jour et conformes aux connaissances scientifiques actuelles. Leur expertise dans divers domaines liés aux neurosciences et aux troubles du neurodéveloppement est un atout majeur pour valider la pertinence et la précision de nos articles.
Suite à leurs retours, nous effectuons les ajustements nécessaires pour garantir la qualité optimale de nos publications. Cette approche rigoureuse, impliquant des experts reconnus à chaque étape du processus éditorial, nous permet d’offrir à nos lecteurs un contenu fiable et de haute qualité scientifique. En intégrant les recommandations de ces spécialistes, nous renforçons notre engagement envers une information précise et bien documentée, essentielle pour aborder les enjeux complexes liés à la neurodiversité.
Pouvez-vous nous décrire votre processus éditorial ?
Notre processus éditorial pour « Zèbres & Cie » est à la fois rigoureux et flexible, visant à créer un contenu équilibré et pertinent pour notre communauté diverse.
Nous commençons par un brainstorming qui nous permet de constituer une pile d’idées de sujets. Dans cette phase, nous veillons à ce que chaque numéro aborde un éventail de neurodiversités, afin que tout le monde puisse s’y retrouver. Après un premier numéro axé sur les parents, nous cherchons également à élargir notre audience, notamment vers les jeunes adultes.
Pour établir la priorité des sujets à traiter, nous privilégions ceux qui touchent à la vie quotidienne. Par exemple, nous abordons des thèmes comme l’alimentation pour un enfant atteint de TSA ou de TDAH, ainsi que l’organisation des vacances. Nous intégrons systématiquement des « petits tips pratiques » dans chaque numéro pour apporter une valeur ajoutée aux lecteurs. De plus, nous nous assurons d’inclure des témoignages représentant chaque trouble, afin de combattre le sentiment de solitude souvent ressenti par les familles concernées. Nous cherchons également à ouvrir notre magazine sur des loisirs et des aspects culturels, tout en abordant des sujets d’actualité scientifique.
Une fois les sujets identifiés, nous procédons à une validation rigoureuse. Pour chaque thème, nous identifions des personnes ressources à interviewer. Nous autorisons systématiquement les scientifiques à relire leurs citations et les articles qui les concernent. Notre conseil scientifique est également impliqué dans ce processus : nous soumettons les articles scientifiques pour obtenir un regard extérieur et des suggestions de correction, notamment sur la terminologie utilisée.
Cette approche nous permet de maintenir un « temps plus long » dans notre traitement de l’information, en nous éloignant du rythme effréné du quotidien. Nous voulons offrir à nos lecteurs un contenu réfléchi et approfondi, tout en garantissant la qualité et la précision de nos publications.
Comment ce magazine s’inscrit-il dans le paysage médiatique actuel et quel impact espérez-vous avoir ?
Notre magazine s’inscrit de manière unique dans le paysage médiatique actuel en tant que premier média dédié spécifiquement à la neurodiversité. Nous nous positionnons comme un trimestriel qui aborde des sujets sociétaux à travers le prisme de la diversité neurologique, offrant ainsi une perspective nouvelle et nécessaire. Les retours que nous avons reçus, notamment lors de réunions avec des partenaires comme Bayard, sont très positifs. Cela nous encourage à poursuivre notre mission d’informer et de sensibiliser.
Notre impact sur la perception et la compréhension de la neurodiversité dans la société se manifeste à plusieurs niveaux. Tout d’abord, notre objectif principal est de contribuer à modifier la perception de la neurodiversité, en la présentant comme une source de diversité et de richesse plutôt que comme un handicap ou un fardeau. Nous cherchons ainsi à remettre en question la catégorisation systématique des personnes neurodivergentes, en les plaçant au centre du discours.
Nous proposons également des contenus fouillés et des sujets longs qui s’inscrivent dans l’actualité, permettant une compréhension approfondie des enjeux liés à la neurodiversité. À travers des portraits inspirants et des reportages variés, nous mettons en lumière les réussites et les contributions des personnes neurodivergentes dans divers domaines. De plus, notre magazine se veut une véritable « boîte à outils » pour les personnes neurodivergentes et leurs familles, offrant des conseils concrets pour améliorer leur qualité de vie.
Bien que le prix soit une contrainte due à notre indépendance et à nos coûts de production, nous nous efforçons de rendre notre contenu accessible au plus grand nombre, que ce soit en kiosque ou en ligne. En choisissant une périodicité trimestrielle, nous nous donnons le temps nécessaire pour produire un contenu de qualité, approfondi et réfléchi.
Cette approche s’inscrit dans une tendance plus large de reconnaissance de la neurodiversité comme une forme essentielle de diversité humaine, comparable à la biodiversité. Bien que notre démarche ne soit pas explicitement militante, notre existence même et notre contenu contribuent à faire évoluer les mentalités et à promouvoir une société plus inclusive et compréhensive envers la neurodiversité.
Intégrez-vous les retours critiques des lecteurs ?
Ont-ils une influence sur vos choix éditoriaux ?
Nous accordons une grande importance aux retours et critiques de nos lecteurs, car ils sont essentiels pour améliorer notre magazine et répondre au mieux aux besoins de notre communauté. Notre approche de gestion des retours est proactive et structurée.
Demain, nous organisons une rencontre avec une vingtaine de lecteurs pour écouter attentivement ce qu’ils ont à nous dire. Cette démarche s’inscrit dans notre volonté de maintenir un dialogue ouvert et constructif avec notre public. Jusqu’à présent, nous n’avons pas reçu de retour négatif sur le contenu, ce qui est encourageant.
Les commentaires que nous avons reçus mettent en lumière l’importance de notre approche centrée sur la diversité. Cette notion semble rassurer nos lecteurs, qui apprécient de se voir représentés sous un angle différent de celui du handicap traditionnellement associé aux troubles du neurodéveloppement.
Notre objectif est de créer un magazine qui reflète véritablement les expériences et les besoins de notre communauté neurodivergente. Les retours des lecteurs sont donc un outil précieux pour nous guider dans cette mission et pour continuer à améliorer « Zèbres & Cie » numéro après numéro.
Leur engagement illustre parfaitement comment l’expertise des personnes concernées peut être mise au service de la communauté, créant ainsi des ponts entre la recherche, les professionnels de santé et le grand public. Leur magazine s’ajoute aux efforts collectifs pour promouvoir une société plus inclusive envers la neurodiversité.
Nous leur souhaitons un bon lancement et attendons le numéro 2 avec impatience !
* Rappelons que le terme “zèbre” a été largement utilisé par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin, qui a proposé ce terme dans son livre « Trop intelligent pour être heureux ? » paru en 2008. Ce terme a été beaucoup critiqué pour les raisons suivantes : il a été abusivement utilisé pour mettre en avant les “difficultés” que rencontreraient les personnes avec un HPI (à tort), certains estiment qu’il tend à romantiser excessivement le profil HPI, d’autres qu’il contribue à une forme d’élitisme ou de séparatisme.